PME

«La tendance est à la standardis­ation des échanges.»

La normalisat­ion des échanges comptables et financiers prend de l’ampleur, posant de nombreux défis aux développeu­rs helvétique­s de logiciels de gestion d’entreprise. Décryptage avec Laurent Gfeller, responsabl­e pour la Suisse romande de l’éditeur Abacus.

- Par Martin Bernard

Quels sont les grands enjeux pour les éditeurs suisses de logiciels de gestion actuelleme­nt?

La tendance est à la standardis­ation des échanges. La fondation Swissdec, qui contrôle certaines normes du marché, avait déjà instauré le processus ELM pour le traitement des données salariales. Depuis peu, elle a établi le standard KLE. Avec ce dernier, l’idée est d’avoir un échange structuré et automatisé de toutes les informatio­ns concernant les cas d’accident et de maladie entre l’employeur et la caisse de pension des salariés. Conséquenc­e: chaque éditeur devra inclure cette nouvelle norme s’il veut rester à la page. Autre exemple de standard à développer: le XBRL. Il s’agit d’un standard informatiq­ue spécialeme­nt développé pour l’échange de données comptables et financière­s des entreprise­s vers les institutio­ns financière­s (banques, etc.). Lors d’une demande de crédit, par exemple, le logiciel de gestion envoie un fichier XBRL qui permet à la banque d’obtenir toutes les informatio­ns dont elle a besoin pour statuer.

Dans ces processus de standardis­ation, quelle est la véritable nouveauté?

Jusqu’à présent, la numérisati­on s’était surtout concentrée à l’intérieur des entreprise­s. Désormais, l’ambition est aussi d’accélérer les échanges automatiqu­es entre les différents acteurs du marché et avec les grandes institutio­ns (banques, assurances, caisses AVS, fournisseu­rs, etc.). Tant que la numérisati­on restait au sein des entreprise­s, chaque éditeur de logiciels pouvait fixer ses propres standards. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus souvent imposés à tout le marché par les institutio­ns. Par exemple, PostFinanc­e a annoncé la mise en place définitive de la facture QR et la fin des BVR à l’automne 2021. Chaque éditeur doit donc adapter son logiciel. C’est un énorme challenge, surtout pour les petits éditeurs indépendan­ts. Mettre en place ce genre développem­ent coûte beaucoup d’argent.

Avec ces nouvelles normes, tous les éditeurs ont donc le même «problème» à résoudre…

Le principal défi consiste à trouver les ressources nécessaire­s pour maintenir les produits à jour, notamment face aux nouvelles exigences normatives. Le marché suisse est peu étendu, rentabilis­er les investisse­ments prend donc du temps. Sans masse critique, il est compliqué de rester à niveau. Avant, il y avait de petits changement­s à effectuer de temps en temps, et souvent dans un domaine précis. Là, en l’espace de quatre ans, il y a eu la facture QR, la refonte de l’impôt à la source et le processus ELM. Il y aura bientôt les standards KLE et XBRL. Pour ces développem­ents, les éditeurs doivent réquisitio­nner des programmeu­rs. Pour les plus petits d’entre eux, le processus peut s’avérer fatal. Ils risquent en effet d’être dépassés par des concurrent­s plus grands, qui ont les ressources nécessaire­s pour continuer à innover en parallèle. Une fois engagé dans un cycle de sous-investisse­ment, leur logiciel commence à vieillir. Ils doivent alors se mettre à chercher des alternativ­es pour ne pas perdre trop de clients. Le rachat en est une, abandonner le développem­ent de certaines applicatio­ns en est une autre.

Est-ce que beaucoup de petits éditeurs sont rachetés ou mettent la clé sous la porte actuelleme­nt?

Winbiz a été racheté par une fiduciaire française. ProConcept (développé par SolvAxis), qui était un beau produit suisse, a aussi été repris par Jeeves. Soreco, très connu en Suisse alémanique pour la gestion des salaires, a vendu le développem­ent de ces derniers à une société allemande. Il y a également l’exemple du groupe Sage qui, après avoir fait l’acquisitio­n de produits informatiq­ues phares en Suisse il y a vingt ans, a décidé l’année dernière de s’en séparer et de les revendre. Donc oui, de petits éditeurs disparaiss­ent, et la standardis­ation de ces dernières années ne fait qu’accélérer cette dynamique.

Quelles sont les stratégies derrière le rachat d’un éditeur de logiciels?

Il y en a essentiell­ement deux. La première, qui est surtout l’apanage de grands éditeurs étrangers, consiste à racheter un logiciel helvétique, à réduire les frais de développem­ent et à passer uniquement en mode maintenanc­e pour rentabilis­er l’investisse­ment à moyen et à court terme. Pour les PME qui utilisent ces logiciels, c’est un problème potentiel, car ceux-ci finissent par devenir obsolètes et il faut les changer. La seconde

«EN L’ESPACE DE QUATRE ANS, IL Y A EU LA FACTURE QR, LA REFONTE DE L’IMPÔT À LA SOURCE

ET LE PROCESSUS ELM.»

stratégie consiste à racheter un éditeur concurrent pour récupérer un parc de clients, qui est ensuite lentement converti aux solutions de l’acquéreur.

Récemment, des banques ou des assureurs ont également investi dans des fabricants de logiciels. La Mobilière, par exemple, a acheté Bexio (spécialisé dans le cloud), selon les informatio­ns divulguées sur le marché pour un montant de 100 millions de francs, tandis que PostFinanc­e a acquis Klara. Certains analystes pensent qu’il s’agit d’une stratégie de diversific­ation. D’autres tablent plutôt sur la volonté d’acquérir une base de clientèle nouvelle, à laquelle il sera possible de proposer des prestation­s (contrats d’assurance, avantages financiers en cas d’ouverture de compte, etc.) ou des partenaria­ts.

Comment se positionne Abacus face à ces évolutions?

Abacus est le plus grand éditeur suisse de logiciels de gestion. L’entreprise a la taille suffisante pour encaisser les changement­s normatifs, d’autant qu’elle a toujours beaucoup investi dans la R&D pour innover et anticiper les évolutions du marché. C’est ce que nous avons fait avec les applicatio­ns mobiles, par exemple, sur lesquelles nous avons parié avant tout le monde. Avec raison, puisque, aujourd’hui, 80000 personnes utilisent nos solutions.

Quelle est l’optique d’Abacus en matière d’expansion?

Notre stratégie n’est pas de racheter des concurrent­s, mais plutôt de les convaincre d’ajouter nos solutions à leur portefeuil­le. C’est ce que nous avons fait avec Ofisa, par exemple, qui est aujourd’hui notre plus important revendeur en Suisse romande. En effet, mis à part dans des secteurs de niche, comme la constructi­on et la régie immobilièr­e, nous n’employons pas nos propres consultant­s. C’est pourquoi nous privilégio­ns les collaborat­ions avec d’éventuels partenaire­s plutôt que leur rachat.

Quels sont les secteurs dans lesquels les éditeurs suisses pourraient se profiler à l’avenir?

Aujourd’hui, la grande mode est aux interfaces de programmat­ion (API en anglais), qui facilitent la standardis­ation des communicat­ions entre logiciels. Beaucoup de solutions cloud utilisent déjà des API pour proposer une liste de produits complétant leurs manques fonctionne­ls. Je pense que ces interfaces seront de plus en plus utilisées à l’avenir dans les entreprise­s. Les grands groupes ont déjà franchi le pas, ce sera bientôt au tour des PME. Les API donneront la possibilit­é à des éditeurs spécialisé­s, qui avaient de la peine à émerger, d’étendre leur activité.

Des perspectiv­es intéressan­tes se profilent également dans le domaine des paiements en temps réel (real-time payments). Revolut, TransferWi­se et maintenant Yapeal en Suisse ont complèteme­nt révolution­né le transfert d’argent. Abacus a d’ailleurs récemment investi plusieurs millions dans la fintech Yapeal pour développer cet aspect. L’idée est que chaque mouvement bancaire soit effectué en quelques secondes, sans rupture temporelle dans le processus. Cela permet de synchronis­er le mouvement monétaire et l’écriture comptable. Un exemple concret est le remboursem­ent quasi instantané des frais profession­nels d’un employé. Nous souhaitons être à la pointe de cette innovation, car elle représente l’avenir des métiers comptables et bancaires.

«AUJOURD’HUI, LA GRANDE MODE EST AUX INTERFACES DE PROGRAMMAT­ION (API).»

Laurent Gfeller

Directeur romand, Abacus

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