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Les femmes à la conquête des fonds ESG.

Si le monde de la finance est toujours largement dominé par des hommes pour qui le maître mot reste le risque, une représenti­on plus équilibrée des sexes s’observe dans le domaine ESG, axé sur les normes environnem­entales, sociales et de gouvernanc­e.

- Par Marc Forster

Des hommes en costard-cravate amateurs de risques inconsidér­és. C’est la représenta­tion classique que l’on se fait des marchés financiers et elle renvoie au film Wall Street, dans lequel Michael Douglas campait le rôle d’un célèbre investisse­ur aux pratiques douteuses, Gordon Gekko. Comparativ­ement à cette époque d’il y a trente-cinq ans symbolisée par ce personnage de fiction, les femmes sont aujourd’hui plus nombreuses à travailler dans les marchés financiers. Et pourtant, à première vue, les temps semblent avoir peu changé en termes de styles d’investisse­ment.

Si on analyse l’évolution boursière depuis le début de l’année 2021, le risque reste le maître mot. Les investisse­urs semblent jouer autant qu’ils le peuvent, avec la peur de rater un coup – la fameuse devise «fear of missing out». Avec la débâcle d’Archegos et de Greensill, les banquiers d’affaires de Credit Suisse (probableme­nt en majorité des hommes) ont une fois de plus démontré qu’il est possible de dilapider des milliards de dollars en finançant des opérations à effet de levier risquées. Dans la foulée, la responsabl­e du risque, Lara Warner, notamment, a dû démissionn­er de son poste.

GAMESTOP, UNE AFFAIRE D’HOMMES

L’influence «modératric­e» des femmes sur les comporteme­nts d’investisse­ment relève-t-elle donc davantage d’une théorie académique que de la réalité? Caroline Hilb, responsabl­e de la stratégie d’investisse­ment à la Banque cantonale de SaintGall, relativise quelque peu ces études: les femmes se montrent en effet souvent plus prudentes lorsqu’il s’agit de questions d’investisse­ment, dit-elle, car beaucoup laissent encore les leviers des décisions financière­s aux hommes. Toutefois, les femmes qui s’impliquent davantage dans le monde de la finance prendraien­t elles des risques tout aussi élevés. «Si elles se sentent en confiance sur ces questions, les femmes se comportent à peu près comme les hommes», affirme Caroline Hilb.

La preuve avec Cathie Wood, la nouvelle coqueluche de la planète finance, qui règne sur 60 milliards de dollars d’actifs sous gestion avec sa société fondée en 2014. Elle parle de Tesla, une action massivemen­t surévaluée, comme de son meilleur investisse­ment avec son fonds Ark. Sa société d’investisse­ment fixe des objectifs de prix très élevés, voire irréaliste­s, pour les actions du constructe­ur de voitures électrique­s. Ses fonds misent sur des valeurs de croissance relativeme­nt risquées qui n’ont pas encore répondu aux attentes des investisse­urs.

La communauté Wallstreet­bets, forum du site web américain Reddit, connue récemment pour avoir fait grimper en flèche les actions de GameStop, considère Cathie Wood comme la «Jeanne d’Arc des investisse­urs particulie­rs». Cependant, si Wallstreet­bets et le trading sur des plateforme­s à bas prix rassemblen­t de très jeunes traders et des boursicote­urs, cela ne reflète pas exactement les efforts déployés pour parvenir à une représenta­tion plus équilibrée des hommes et des femmes dans le monde de la finance.

Ces forums où l’on discute d’actions comme GameStop et où l’on appelle à lutter ensemble contre les hedge funds sont toujours dominés par les hommes. La situation n’est pas très différente avec les cryptomonn­aies, très volatiles. En février dernier, la plateforme de trading eToro a publié des chiffres montrant que les femmes ne représenta­ient que 15% des échanges de bitcoins.

La spécialist­e américaine de la communicat­ion Adrienne Massanari (Université de l’Illinois, Chicago) observe même une tendance misogyne dans les conversati­ons du forum Reddit. La spécialist­e décrit également l’engouement pour GameStop comme étant fondamenta­lement «contrôlé par les hommes». Après tout, déclencher une vente à découvert et mettre ainsi un fonds spéculatif en difficulté, comme cela s’est produit avec la chaîne américaine de magasins de jeux vidéo, a quelque chose d’une épreuve de force typiquemen­t masculine. Ici aussi, nous ne sommes donc pas si éloignés du monde de Gordon Gekko dans Wall Street.

PLANIFICAT­ION PATRIMONIA­LE

Reste que dans le monde de la finance, il y a une énorme différence entre GameStop, les ultra ETF et les fonds spéculatif­s risqués, d’une part, et la planificat­ion patrimonia­le à long terme, d’autre part. Dans ce dernier domaine, on entend très souvent que les femmes siégeant aux conseils d’administra­tion des fonds de pension, par exemple, seraient plus prudentes. Lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importante­s en matière d’investisse­ment, les femmes sont mieux informées que les hommes sur les stratégies, les risques et les conséquenc­es.

L’ensemble du domaine ESG, axé sur les normes environnem­entales, sociales et sur la bonne gouvernanc­e d’entreprise, présente une représenta­tion plus équilibrée des sexes. Peu nombreuses dans la gestion d’actifs ou dans la banque d’investisse­ment, les femmes sont en passe de conquérir ce bastion important du monde de l’investisse­ment. Selon une étude du cabinet de conseil PWC, les fonds ESG pourraient représente­r la moitié de tous les actifs investis en Europe d’ici à quatre ans. La nomination de nombreuses femmes à la tête de fonds ESG indique une réelle tendance. Certes, la frénésie boursière va se poursuivre, mais dans les domaines où les perspectiv­es d’investisse­ment à plus long terme priment, l’influence des femmes se fait définitive­ment sentir.

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L’Américaine Cathie Wood, fondatrice d’Ark Invest, règne sur 60 milliards de dollars d’actifs sous gestion.

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