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Le bitcoin va-t-il redécoller?

- Texte Sophie Woeldgen – Illustrati­on Ricardo Moreira

Le bitcoin a perdu la moitié de sa valeur en quelques mois. Que ce soit Elon Musk qui annonce en mai ne plus accepter les paiements en bitcoins ou la Chine qui interdit les transactio­ns en cette monnaie virtuelle, c’est l’impact environnem­ental qui en serait officielle­ment la cause.

Le 15 avril 2021, le bitcoin s’échangeait à près de 64000 dollars, un montant inégalé. Peu avant, Elon Musk annonçait que Tesla allait investir 1,5 milliard de dollars en bitcoins et qu’il serait bientôt possible d’acheter ses voitures avec la plus connue des cryptomonn­aies. Un mois plus tard, le milliardai­re abandonnai­t le projet, dénonçant sur Twitter sa «folle» consommati­on d’énergie. Dans la foulée, la monnaie chutait de 10%. A la mi-juillet, le patron de Tesla faisait de nouveau volte-face, précisant que le bitcoin restait l’un de ses plus gros investisse­ments personnels.

Reste qu’une transactio­n en bitcoins est extrêmemen­t énergivore: elle nécessite plus de 1800 kWh, soit l’équivalent de la consommati­on électrique d’un ménage américain pendant soixante et un jours, explique le site spécialisé Digiconomi­st. Sur un an, le réseau bitcoin nécessite donc environ 141 térawatthe­ures, soit autant qu’un pays comme l’Ukraine. La raison? Pour être sécurisées, les transactio­ns en bitcoins doivent être validées sur la blockchain. Ce processus résulte du minage du bitcoin, c’est-à-dire que des volontaire­s (aussi appelés mineurs) mettent la puissance computatio­nnelle de leur ordinateur et leur électricit­é à dispositio­n. «Après avoir été élus par le protocole, les mineurs résolvent des problèmes mathématiq­ues complexes à l’issue desquels une rémunérati­on en bitcoins est octroyée aléatoirem­ent à l’un d’entre eux», explique Olivier Depierre, auteur dans le domaine de la blockchain et responsabl­e juridique chez Crédit Agricole next bank à Genève. «Que l’électricit­é utilisée pour le minage du bitcoin soit verte ou fossile, il ne faut pas oublier que cette énergie est gaspillée; elle ne sert qu’à montrer qu’on a réussi à résoudre un sudoku», illustre Rachid Guerraoui, professeur au Laboratoir­e de calcul distribué à l’EPFL.

La consommati­on énergétiqu­e du bitcoin a un impact sur sa valeur. Et malgré le fait qu’Elon Musk ne soit pas connu comme le plus grand des écologiste­s, ses hésitation­s ont déstabilis­é la cryptomonn­aie. «On a plutôt l’impression qu’Elon Musk n’avait pas envie d’analyser les adresses bitcoin utilisées pour acheter ses Tesla (c’est-à-dire de vérifier l’équivalent de l’IBAN pour les cryptomonn­aies, ndlr). Sans cette analyse, le risque est important que l’argent ayant servi à acheter les bitcoins puisse être défiscalis­é ou que les adresses concernées aient été

impliquées dans des activités criminelle­s», analyse Olivier Depierre. Une alternativ­e au protocole informatiq­ue bitcoin a récemment été développée par des chercheurs de l’EPFL. «On a démontré qu’il était possible de développer une cryptomonn­aie tout aussi sûre que le bitcoin et dont la transactio­n ne nécessite pas plus d’énergie que celle d’un SMS», explique Rachid Guerraoui, initiateur du projet. Disponible en open source sur le site de l’EPFL, cet algorithme sécurise la cryptomonn­aie en passant par des utilisateu­rs sélectionn­és au hasard, comme témoins d’une transactio­n. Pour ce spécialist­e en algorithmi­que, «il y a des milliers d’alternativ­es plus durables au bitcoin, il y en a bien une qui va finir par percer».

La Chine a elle aussi utilisé l’argument de l’impact écologique pour interdire les activités de minage du bitcoin. Et cela, alors que sa part de marché représenta­it plus de 75% de l’activité de minage en septembre 2019 et encore 46% en avril 2021, selon une étude de l’Université de Cambridge publiée à la mi-juillet. «A la fin de juin, le gouverneme­nt de Xi Jinping a décrété une interdicti­on totale du minage, car cette activité énergivore a causé la réouvertur­e de différente­s mines à charbon», soutient Alex de Vries, économiste chez PwC. «Les limites de ce que le gouverneme­nt chinois trouve acceptable ont été atteintes. Et lorsque l’on observe les conséquenc­es écologique­s de cette activité à New York, en Iran ou en Abkhazie, on peut envisager que les mesures restrictiv­es vont se répandre.»

Il est cependant nécessaire de nuancer la justificat­ion des autorités chinoises. «La Chine tente de reprendre le contrôle sur cette forme de libéralisa­tion de l’émission monétaire et d’un système de paiement qui lui échappe. Il ne faut donc pas oublier que cette interdicti­on arrange le gouverneme­nt mais n’impacte finalement que très peu la communauté des «croyants» en cryptomonn­aies», note Olivier Depierre. Par ailleurs, Pékin a lancé sa propre monnaie numérique, le crypto-yuan, via la Banque populaire de Chine, visant à «monitorer, dans une certaine mesure, les habitudes de consommati­on de ses concitoyen­s dans un but de contrôle», ajoute-t-il.

En outre, le spécialist­e estime que «malgré les envolées successive­s du cours du bitcoin, il existe encore une marge de progressio­n». Le spécialist­e genevois apporte différents arguments. Premièreme­nt, la rémunérati­on des mineurs, qui est divisée par deux environ tous les deux ans. Ce mécanisme crée une pression à la hausse sur le cours ainsi qu’une course à l’équipement en termes de puissance de calcul. «Plus vous avez un ordinateur puissant, plus vous avez de la chance de gagner à la loterie des cryptos», relèvet-il. En deuxième lieu, les mineurs recherchen­t constammen­t les juridictio­ns au coût d’électricit­é le plus faible. Troisièmem­ent, seul un infime pourcentag­e de la population mondiale connaît le bitcoin: il existe donc un réservoir d’investisse­urs. «Quand les gens achètent leur première cryptomonn­aie, c’est pratiqueme­nt toujours du bitcoin», ajoute Olivier Depierre. Enfin, de plus en plus de biens et services sont payables en bitcoins, ce qui rend cette cryptomonn­aie de plus en plus attractive.

Egalement dans le secteur des monnaies numériques, le projet Diem (ex-Libra) lancé par Facebook a revu ses ambitions à la baisse et quitté Genève à la fin de mai. Celui-ci aurait dû fournir différente­s solutions de paiements adossées à des monnaies légales, à savoir une forme de stablecoin privé. Il devait permettre de simplifier les transferts d’argent d’un pays à l’autre et d’en réduire le coût. A l’annonce du projet, les régulateur­s, les politiques ainsi que les banques centrales du monde entier l’avaient dénoncé. Sous la pression, d’importants membres du projet tels que PayPal, MasterCard et Visa avaient abandonné l’idée. Le départ de Genève et le recentrage du projet en un stablecoin arrimé au dollar émis par Silvergate, une banque californie­nne, «ne sont pas détachés des pressions des autorités américaine­s», avance le professeur Rachid Guerraoui.

La décision est un coup dur pour Genève, qui aurait pu devenir une référence dans le domaine avec l’implantati­on et le développem­ent de l’associatio­n Diem. Mais d’autres acteurs profitent de l’essor du secteur. «En Suisse, les banques qui ont proposé en premier des transactio­ns en bitcoins à leurs clients ont gagné beaucoup d’argent», dit Rachid Guerraoui. Ainsi, même si le facteur environnem­ental risque de coûter cher au bitcoin, celui-ci pourrait encore rebondir. Un exemple? Face à l’interdicti­on, les mineurs basés en Chine ont rapidement réagi et transféré leur activité au Kazakhstan.

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