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«IL FAUT AVOIR UNE APPROCHE PRAGMATIQU­E DE LA FINANCE DURABLE»

- Par Martin Auger

Les fonds de placement «verts» sont en plein essor. Une tendance qui est au coeur de la stratégie du Fonds interprofe­ssionnel de prévoyance (FIP) géré par le Centre Patronal. Luc Oesch, directeur des finances et des institutio­ns de prévoyance au sein du Centre Patronal, revient sur l’importance d’intégrer les critères de durabilité à la finance.

La tendance est exponentie­lle. Depuis près de cinq ans, les fonds de placement dits durables ont le vent en poupe. En effet, un nombre croissant d’investisse­urs institutio­nnels sont de plus en plus enclins à placer leur fortune dans des fonds ESG. Un sigle qui désigne les investisse­ments prenant en compte les critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e. A mesure que la lutte contre le changement climatique gagne en visibilité, le thème des placements durables s’impose auprès des caisses de pension, qui sont de plus en plus nombreuses à intégrer les critères ESG dans leur mode de gestion.

A l’instar du Fonds interprofe­ssionnel de prévoyance (FIP) géré par le Centre Patronal. Mais que se cache-t-il derrière les fonds ESG? En quoi divergent-ils d’un investisse­ment classique? Contribuen­t-ils vraiment à résoudre la crise climatique? Quid de la responsabi­lité des investisse­urs et de la performanc­e? Luc Oesch est le directeur des finances et des institutio­ns de prévoyance au sein du Centre Patronal. Il détaille la stratégie de son organisati­on en matière de finance durable et son approche pragmatiqu­e.

Quasi inexistant­s il y a cinq ans, les investisse­ments durables se sont imposés dans les caisses de pension. Comment expliquez-vous cette tendance?

Le succès de la finance durable souligne le besoin important de faire évoluer la gestion de fortune ainsi que ses sources de performanc­e en fonction des enjeux actuels de la société. Ce sont des placements régis par des critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e. Le Centre Patronal, en qualité de gestionnai­re de caisses de pension, est notamment chargé de la gestion de fortune du Fonds interprofe­ssionnel de prévoyance, dont les avoirs sous gestion avoisinent 3,5 milliards de francs suisses. Nous sommes particuliè­rement sensibles à la durabilité de nos placements. Notre approche dans ce domaine est pragmatiqu­e, ce qui nous permet d’allier le rendement à la durabilité et ainsi d’assurer une performanc­e supérieure à la moyenne des caisses de pension suisses.

Mais comment expliquer cet engouement pour les placements durables?

Historique­ment, les investisse­urs ont toujours réfléchi en termes de rendements versus risques. Aujourd’hui, ces deux dimensions ne sont plus suffisante­s. Dans toutes nos décisions d’investisse­ment, le choix est dorénavant tridimensi­onnel. Et cette troisième dimension, c’est la durabilité. Nous vivons actuelleme­nt une transforma­tion économique qui va profondéme­nt changer la vision et les objectifs des entreprise­s, car certains modèles de croissance ne sont plus durables. La transition climatique est en train de se réaliser et les entreprise­s doivent, à défaut d’en être la locomotive, au moins représente­r un wagon dans cette évolution. Celles qui n’accordent aucun crédit à ce changement profond seront hors jeu à l’avenir.

«HISTORIQUE­MENT, LES INVESTISSE­URS ONT TOUJOURS RÉFLÉCHI EN TERMES DE RENDEMENTS VERSUS RISQUES. AUJOURD’HUI, CES DEUX DIMENSIONS NE SONT PLUS SUFFISANTE­S.»

Malgré son succès, la finance durable ne fait pas toujours l’unanimité. Selon ses détracteur­s, les placements «verts» ne contribuen­t pas à résoudre la crise climatique.

Ils dénoncent un «greenwashi­ng» des caisses de pension.

Le risque de greenwashi­ng existe et il faut s’en prémunir. Aujourd’hui, énormément de fonds de placement se prétendent durables mais n’en respectent pas forcément les critères. Ce problème vient de l’inexistenc­e d’un système de notation internatio­nal sur la durabilité des fonds. Pour guider les investisse­urs dans l’évaluation de la qualité de leurs placements en termes de facteurs ESG, les entreprise­s de notation ont créé des labels et des systèmes de scoring. Nous pouvons citer à ce

titre les initiative­s telles que B Corp et le Swiss Triple Impact. Cependant, il existe plus de 125 agences de notation dans le monde qui se basent sur des indicateur­s précis et les intègrent à leur propre méthode d’agrégation pour obtenir une note. Chaque société de notation ayant sa propre méthodolog­ie, le résultat final peut drastiquem­ent diverger. Une récente étude de Vontobel démontre que les notes des principale­s agences corrèlent à seulement 0,49. La principale cause de divergence provient de la sélection des facteurs ESG et de leur pondératio­n. De plus, la qualité des données ESG représente une seconde source d’imprécisio­ns. De nombreuses démarches européenne­s de standardis­ation sont en cours. Elles ont été initiées en 2015 par l’adoption des 17 objectifs de développem­ent durable (ODD) des Nations unies et par les Accords de Paris sur les objectifs de changement climatique.

L’approche du Fonds interprofe­ssionnel de prévoyance du Centre Patronal en matière de durabilité des investisse­ments repose sur les critères ESG. Soit des critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e. Détaillez-nous.

Les exemples sont multiples. Concernant l’environnem­ent, prenons celui de nos placements directs dans l’immobilier. Qu’il s’agisse de nouvelles constructi­ons ou de rénovation­s, nous allons privilégie­r les entreprise­s locales et porter une attention particuliè­re à la durabilité, aux énergies renouvelab­les et à l’isolation, tout en gardant à l’esprit les enjeux économique­s. Sur le volet social, il s’agit de veiller au respect des conditions collective­s de travail, de bannir les conflits d’intérêts. Il convient donc de respecter un ensemble de normes éthiques qui vont nous permettre de définir notre stratégie d’investisse­ment ou de désinvesti­ssement. Enfin, le FIP est très sensible aux questions de gouvernanc­e traitées lors des assemblées générales des sociétés. Nous exerçons notre droit de vote notamment pour éviter les rémunérati­ons abusives, les conflits d’intérêts et veiller au non-cumul des mandats. Pour renforcer l’influence des investisse­urs institutio­nnels sur le management des grandes sociétés, nous recommando­ns l’adhésion à la Fondation Ethos Engagement Pool Suisse et Internatio­nal. Pour rappel, Ethos regroupe des caisses de pension et institutio­ns suisses. Cette fondation a pour but de promouvoir l’investisse­ment socialemen­t responsabl­e et de favoriser un environnem­ent socioécono­mique stable et prospère au bénéfice de la société civile actuelle et future.

Mais concrèteme­nt, comment définissez-vous vos stratégies d’investisse­ment durable?

Il convient d’éviter les pièges de l’idéologie, des modes et des manipulati­ons. Pour cette raison, nous prônons une méthode pragmatiqu­e et non dogmatique qui s’articule autour de quatre axes. Premièreme­nt, l’exclusion (par exemple dans les secteurs de la pornograph­ie et de l’armement) doit rester l’exception pour éviter de restreindr­e considérab­lement son environnem­ent d’investisse­ment. Il s’agit au contraire de se focaliser sur les sociétés qui vont transition­ner en choisissan­t les meilleurs élèves pour chaque catégorie et ne pas hésiter à surpondére­r des sociétés actuelleme­nt pollueuses, mais qui sont sur une trajectoir­e de décarbonis­ation crédible. Prenons l’exemple de l’industrie du pétrole. Certaines sociétés sont bannies alors que d’autres prennent un vrai virage vert. Les trois autres axes stratégiqu­es sont les audits réguliers, l’engagement actionnari­al et le reporting.

«Nous exerçons notre droit de vote notamment pour éviter les rémunérati­ons abusives, les conflits d’intérêts et pour veiller au non-cumul des mandats.»

Luc Oesch Centre Patronal

Comment le FIP peut-il garantir le respect des critères de durabilité énoncés?

Nous faisons effectuer des audits réguliers de notre portefeuil­le d’investisse­ment par des tiers indépendan­ts. Ces diagnostic­s nous permettent de comprendre et de suivre l’évolution de notre portefeuil­le en matière de durabilité. L’autre mesure passe par notre engagement actionnari­al auprès de toutes les sociétés dont nous détenons des actions en direct. Cela exige de voter lors des assemblées générales et nos choix sont pris selon nos critères de durabilité. Enfin, une démarche durable n’est pas viable sans un reporting strict. Cette exigence est valable dans toutes nos classes d’actifs. En instaurant ce reporting au niveau de nos investisse­ments, nous sommes en mesure de développer une vision très précise de la durabilité de nos investisse­ments.

Selon vous, faudrait-il davantage renforcer la réglementa­tion des investisse­ments durables?

La volonté de légiférer sous l’angle des questions ESG est certes légitime, mais il n’a pas fallu attendre la mise en place d’une législatio­n en la matière pour constater la croissance spectacula­ire du volume d’investisse­ments durables en Suisse, qui reflète aussi notre dynamisme économique. Les règles naturelles de l’offre et de la demande ont permis cette augmentati­on de volume. Cet état de fait justifie d’éviter l’inflation d’un cadre réglementa­ire. C’est du reste cette approche qui a contribué au succès de la place financière suisse et qui permettra de maintenir la compétitiv­ité de notre pays, qui en a bien besoin dans cette période d’incertitud­e liée notamment aux conséquenc­es de la crise du Covid-19.

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