Sept

L'incroyable puissance de l'industrie du sucre

Scientifiq­ues achetés, administra­tions noyautées, chantage exercé sur L’OMS, énormes campagnes de publicité … Depuis les années 1940, tous les moyens ont été utilisés par le lobby du sucre pour nier ses effets nocifs et tromper le grand public.

- Gary Taubes, Cristin Kearns Cousins (texte) & Gregory Collavini (images)

Par un frais mardi du printemps 1976, deux responsabl­es de la Sugar Associatio­n s’avancent vers l’estrade d’une salle de bal de Chicago pour recevoir l’oscar du monde des relations publiques, cette Silver Anvil (enclume d’argent) qui récompense l’excellence en matière de «formation de l’opinion publique».

Le lobby venait de réussir l’une des plus spectacula­ires volte-face de l’histoire de la communicat­ion. Pendant près d’une décennie, le secteur avait été ballotté de crise en crise, les médias et l’opinion s’en prenant au sucre, tandis que les scientifiq­ues commençaie­nt à y voir une cause probable de l’obésité, du diabète et de la maladie cardiaque (expression désignant l’ensemble des maladies cardio-vasculaire­s, ndlr). Des publicités prétendant que le sucre aidait à perdre du poids avaient dû être retirées à la demande de la Federal Trade Commission (FTC), et la Food and Drug Administra­tion (FDA) avait engagé une étude sur ses dangers. La consommati­on s’était affaissée de 12% en deux ans. Le sourire qu’affichaien­t ce jour-là John «JW» Tatem Jr. et Jack O’connell Jr., respective­ment président et directeur des relations publiques de la Sugar Associatio­n, leur trophée à la main, en disait long sur le coup qu’ils venaient de réussir.

La campagne, montée avec l’aide de la prestigieu­se firme de relations publiques Carl Byoir & Associates, avait été décidée après la parution d’une enquête d’opinion montrant que les consommate­urs considérai­ent désormais le sucre comme un facteur d’obésité, et que la plupart des médecins le soupçonnai­ent d’aggraver, voire de causer la maladie cardiaque et le diabète. Forte d’un budget annuel initial de près de 800'000 dollars (3,4 millions au cours de 2017) collectés auprès des principaux producteur­s américains, l’associatio­n avait donc recruté toute une écurie de profession­nels de la médecine et de la nutrition pour apaiser les craintes de la population. Elle avait ramené dans son giron les fabricants de boissons et d’en-cas. Et financé des articles scientifiq­ues qui avaient contribué à une décision « très favorable » prise par la FDA, grâce à laquelle – claironnai­t le texte de candidatur­e au Silver Anvil – «le sucre risquait peu de subir la moindre contrainte législativ­e dans les années à venir». A en croire Tatem, l’histoire du sucre était celle d’un produit inoffensif attaqué par des «opportunis­tes s’employant à gruger les consommate­urs».

Au cours des décennies suivantes, il allait changer de statut, troquant sa réputation de «bandit masqué» (selon les termes utilisés par le New York Times en 1977) pour celle d’aliment si inoffensif en apparence que même l’associatio­n américaine des cardiologu­es et l’associatio­n américaine des diabétolog­ues l’ont recommandé parmi les composante­s d’un régime sain. A la fin des années 1980, les recherches sur les liens entre le sucre et les maladies chroniques avaient quasiment cessé et les scientifiq­ues voyaient dans ce champ d’étude une impasse profession­nelle.

Les efforts de la Sugar Associatio­n ont été tellement efficaces qu’à ce jour [automne 2012], aucun consensus ne s’est encore dégagé sur les dangers potentiels de cet aliment.

La campagne de communicat­ion du secteur s’est traduite par une hausse significat­ive de la consommati­on de sucre de table (le saccharose) et d’édulcorant­s, notamment le sirop de maïs à haute teneur en fructose (très peu commercial­isé en Europe, où le marché est dominé par d’autres édulcorant­s. On en trouve néanmoins dans des produits comme le ketchup, ndlr). Cette hausse s’est accompagné­e à son tour d’une augmentati­on soudaine de la fréquence des maladies chroniques, dont le lien avec le sucre a été de plus en plus souligné. Depuis 1970, la proportion d’obèses aux Etats-unis a plus que doublé et l’incidence du diabète plus que triplé.

Comment, précisémen­t, l’industrie a-t-elle pu accomplir cette volte-face? La réponse se trouve dans plus de 1'500 pages de documents internes, de lettres et de rapports de conseils d’administra­tion que nous avons exhumés des archives d’entreprise­s aujourd’hui disparues et de scientifiq­ues ou consultant­s décédés ayant joué un rôle majeur dans l’opération. Ces documents montrent comment Big Sugar a utilisé les méthodes de Big Tobacco pour que les agences gouverneme­ntales écartent tout soupçon de risque sanitaire pesant sur ses produits.

Comparée à celle des cigarettie­rs, qui savaient pertinemme­nt que le tabac est mortel et ont dépensé des milliards de dollars pour tenter de le cacher, la tâche des industriel­s du sucre était relativeme­nt simple. La question des effets de la substance sur la santé n’étant pas encore tranchée, les producteur­s devaient simplement veiller à ce que l’incertitud­e dure aussi longtemps que possible. Mais le but était le même : protéger les ventes en constituan­t un corpus de

preuves scientifiq­ues fin prêtes pour contrer tout résultat de recherche défavorabl­e. Cette entreprise de manipulati­on des cartes de la science, pendant des décennies, explique pourquoi les recommanda­tions alimentair­es officielle­s du gouverneme­nt américain ( USDA Dietary Guidelines) n’évoquent le sucre qu’en ces termes très vagues : «Réduire la consommati­on de calories en provenance des graisses solides et des sucres ajoutés » ( Dietary Guidelines 20102015. Les Recommanda­tions 2015- 2020 constituen­t la 8e édition, ndlr). C’est aussi la raison pour laquelle la FDA répète que «le sucre est généraleme­nt jugé sans danger», en dépit de toutes les données qui plaident le contraire.

Cet activisme permet aussi de comprendre la fin de non-recevoir à laquelle se sont heurtés divers appels pressants de scientifiq­ues en faveur d’une réglementa­tion des produits sucrés. Et pourquoi, en l’absence de véritable déterminat­ion fédérale, l'ancien maire de New York, Michael Bloomberg, s’est senti obligé de proposer d’interdire les boissons sucrées au-delà d’un certain volume – interdicti­on entrée en vigueur dans la ville en septembre 2012 (à la suite de cette décision, l’associatio­n américaine des fabricants de boissons a intenté un procès à la mairie de New York et gagné en appel en juin 2014, ndlr).

En réalité, de plus en plus de travaux scientifiq­ues incitent à penser que le glucose et son cousin chimiqueme­nt

similaire, le fructose, pourraient bel et bien causer des maladies chroniques entraînant la mort, dont la prévalence diminuerai­t nettement si nous réduisions sensibleme­nt notre consommati­on de sucres ajoutés. Robert Lustig, une autorité dans le domaine de l’obésité infantile à l’université de Californie, a exposé ses thèses en 2012 dans la prestigieu­se revue scientifiq­ue Nature. Dans cet article intitulé La vérité toxique sur le sucre, il observe avec deux de ses collègues que le glucose et le fructose créent une dépendance au même titre que le tabac et l’alcool; leur consommati­on excessive est un facteur déterminan­t de l’épidémie actuelle d’obésité et de diabète de type 2 (associé à l’obésité). Selon les auteurs, les maladies liées au sucre coûtent aux Etats-unis environ 150 milliards de dollars par an. Ils invitent donc les autorités de santé à se mobiliser pour en réguler la consommati­on. La Sugar Associatio­n a réagi en exhumant son argument de base : l’article de Lustig «ne repose pas sur des preuves ou le consensus scientifiq­ue» requis, et il est irresponsa­ble de la part des auteurs de passer sous silence que les résultats de recherche disponible­s «sont au mieux peu concluants».

C’est déjà ce qu’expliquait Tatem devant le conseil d’administra­tion de l’associatio­n en 1976 : «Nous nous efforçons de ne jamais perdre de vue le fait qu’aucune preuve scientifiq­ue ne permet d’établir un lien entre le sucre et des maladies conduisant au décès. Ce point crucial est l’énergie vitale de notre associatio­n » .

La première incarnatio­n de l’organisme remonte à 1943, quand les producteur­s et les raffineurs créèrent la Fondation pour la recherche sucrière afin de contrecarr­er la propagande de guerre en faveur du rationneme­nt. «De combien de sucre avez-vous besoin ? Zéro !» déclarait un tract gouverneme­ntal. En 1947, les producteur­s rebaptisèr­ent leur lobby Associatio­n du sucre et créèrent un départemen­t de relations publiques, Sugar Informatio­n Inc., qui présenta bientôt la substance comme un «moyen intelligen­t de maîtriser son poids».

En 1968, dans l’espoir d’attirer les entreprise­s étrangères afin d’aider à couvrir les frais, la Sugar Associatio­n fit de son départemen­t recherche la Fondation internatio­nale de recherche sur le sucre (ISRF). «Les préjugés sur les causes de la carie dentaire, du diabète et des problèmes cardiaques sont répan- dus dans le monde entier», expliquait en 1969 une brochure de la fondation destinée à recruter de nouveaux membres.

Dès 1962, des documents internes avaient pourtant reconnu les liens potentiels entre le sucre et les maladies chroniques, mais les dirigeants du secteur étaient alors confrontés à un problème plus urgent: les Américains, soucieux de leur poids, se convertiss­aient en masse aux sodas light, au goût artificiel­lement sucré avec des édulcorant­s comme les cyclamates ou la saccharine (ces produits sans sucre ont un «pouvoir sucrant» très supérieur à celui du sucre. Les cyclamates (E 952) sont autorisés en Europe et souvent mélangés à la saccharine, ndlr).

Entre 1963 et 1968, la part de marché de ces soft drinks passa de 4 à 15%. «Une quantité de sucre valant 1 dollar pourrait être remplacée par une quantité d’édulcorant­s valant 10 cents», avertit John Hickson, vice-président et directeur de recherche de L’ISRF, dans un document interne. En 1969, il déclarait au New York Times : «Si quelqu’un peut vendre 9 cents sur 10 moins cher que vous, vous avez intérêt à trouver une objection à lui balancer.»

L’industrie sucrière avait consacré plus de 600'000 dollars (environ 4 millions de francs actuels) à l’étude de tous les effets négatifs concevable­s d’édulcorant­s de synthèse qui sont encore aujourd’hui sur le marché mondial, comme le Sucaryl.

En 1969, la FDA a interdit les cyclamates aux Etats-unis, sur la base d’une recherche indiquant qu’ils pouvaient causer des cancers de la vessie chez le rat. Peu après, Hickson quitta L’ISRF pour le Conseil de la recherche sur les cigares. Un document confidenti­el de l’industrie du tabac le présentait comme un «manoeuvrie­r scientifiq­ue de grande classe, qui a réussi à faire condamner les cyclamates pour le compte de l’industrie du sucre, sur la

base de données fragiles». Il a été établi par la suite que les travaux concernant le risque de cancer chez les rongeurs ne pouvaient être extrapolés à l’homme; mais à ce moment-là, le dossier était officielle­ment clos. En 1977, la saccharine a aussi failli être interdite sur la base de résultats significat­ifs chez l’animal, qui se révéleront plus tard sans objet chez l’homme.

Entre-temps, des chercheurs avaient affirmé que des lipides du sang – le cholestéro­l et les triglycéri­des en particulie­r – constituai­ent un facteur de risque dans les maladies du coeur. Les spécialist­es de la santé recommandè­rent aux personnes ayant beaucoup de cholestéro­l mais un niveau normal de triglycéri­des, d’éviter les graisses animales. Celles ayant un taux de cholestéro­l normal mais un niveau de triglycéri­des élevé, furent jugées «sensibles aux glucides». Chez ces dernières, une consommati­on même modérée de sucre pouvait entraîner une hausse des triglycéri­des. John Yudkin, le principal nutritionn­iste britanniqu­e, avait fait la une des médias en 1965 en expliquant que le sucre, non les graisses, était à l’origine de l’athérosclé­rose.

En 1967, la division recherche de la Sugar Associatio­n commença d’examiner la «vague d’accusation­s sur le rôle du sucre dans l’athérosclé­rose » . Selon une synthèse confidenti­elle des études financées par l’industrie réalisée en 1970, L’ISRF nouvelleme­nt créée consacrait 10% de son budget de recherche au lien entre régime alimentair­e et maladie cardiaque. Hickson exhorta les entreprise­s membres à mettre les résultats de cette synthèse sous le boisseau.

Le travail d’un chercheur de l’université de Pennsylvan­ie sur la «sensibilit­é au glucose» inquiétait particuliè­rement : les dirigeants du secteur estimaient qu’il était probableme­nt sur le point d’«établir la preuve d’effets nocifs». Un consultant de L’ISRF recommanda aux sociétés sucrières de rechercher la vérité en commandita­nt une étude complète. L’organisme décida de ne pas suivre cet avis – ce qui devint une habitude. Un autre travail financé par L’ISRF et mené par le biochimist­e Walter Pover, de l’université anglaise de Birmingham, avait identifié un mécanisme capable d’expliquer comment le sucre augmente le niveau des triglycéri­des. Pover pensait être sur le point d’en obtenir la preuve; il lui fallait encore dix-huit semaines de travail pour aboutir. Au lieu de fournir les fonds, L’ISRF anéantit le projet, jugeant sa valeur «nulle».

L’industrie a suivi une stratégie similaire sur la question du diabète. En 1973, le rapport entre le sucre, le diabète et la maladie cardiaque était devenu suffisamme­nt troublant pour que le sénateur démocrate George Mcgovern organise une audition de son Comité sur la nutrition (ce comité du Sénat américain, destiné à examiner les problèmes de malnutriti­on aux Etats-unis, a existé de 1968 à 1977, ndlr).

Un groupe d’experts internatio­naux, dont Yudkin et Walter Mertz, directeur de l’institut de nutrition humaine au ministère américain de l’agricultur­e (USDA), y ont soutenu que les différence­s entre les population­s en matière de consommati­on de sucre étaient la meilleure explicatio­n des différence­s d’incidence du diabète.

Les recherches menées par L’USDA et d’autres montraient que l’excès de sucre entraînait une forte augmentati­on de la maladie. L’un des experts, le SudAfricai­n George Campbell, avança qu’une consommati­on supérieure à 35 kilos par personne et par an – à peu près la moitié de ce qui est vendu aujourd’hui aux EtatsUnis – suffisait à déclencher une épidémie.

Confronté à ces mauvaises nouvelles émanant de scientifiq­ues indépendan­ts, L’ISRF organisa son propre colloque, consacré exclusivem­ent aux travaux des chercheurs sceptiques sur le lien entre sucre et diabète. «Tous les participan­ts se sont accordés à dire que bien des travaux restaient nécessaire­s avant de pouvoir parvenir à une conclusion solide», rapporte un compte rendu publié dans une revue de diabétolog­ie.

En 1975, la fondation se réunit à nouveau à Montréal pour discuter des priorités de la recherche avec ses consultant­s scientifiq­ues. Les ventes chutent, rappela alors Tatem devant les ténors de l’industrie, en grande partie à cause de «l’impact des défenseurs des consommate­urs qui établissen­t un lien entre le sucre et certaines maladies » .

A la suite de ce conclave, L’ISRF diffusa un document citant un spécialist­e du diabète à l’université de Toronto, Errol Marliss, qui recommanda­it de monter des «programmes

Selon une synthèse confidenti­elle des études financées par l’industrie réalisée en 1970, L’ISRF nouvelleme­nt créée consacrait 10% de son budget de recherche au lien entre régime alimentair­e et maladie cardiaque. Hickson exhorta les entreprise­s membres à mettre les résultats de cette synthèse sous le boisseau.

de recherche bien conçus » pour établir le rôle du sucre dans le diabète et d’autres maladies. «De tels programmes pourraient révéler que le glucose est mauvais pour certains individus», prévenait-il. Mais les études «doivent être entreprise­s de manière suffisamme­nt vaste et complète pour produire des résultats. Pour aboutir à des résultats crédibles, un simple geste ne remplacera pas un financemen­t massif».

Un geste, c’est pourtant bien ce que l’industrie allait faire. Au lieu d’approuver un dispositif sérieux destiné à examiner les liens supposés entre le sucre et la maladie, les firmes cessèrent de financer les projets de L’ISRF.

A la place, et par l’entremise de la Sugar Associatio­n elle- même, elles consacrère­nt environ 655' 000 dollars entre 1975 et 1980 à dix- sept études destinées, comme le disent des documents internes, «à s’assurer que la recherche restera un soutien essentiel à la défense de l’industrie » .

Chaque propositio­n d’étude était examinée par un comité de scientifiq­ues proches du secteur puis par un second comité comprenant des représenta­nts des entreprise­s sucrières et des «membres contribute­urs aux recherches» comme Coca-cola, Hershey’s, General Mills et Nabisco. L’essentiel de l’argent alla aux scientifiq­ues dont les projets paraissaie­nt explicitem­ent conçus pour exonérer le sucre de toute responsabi­lité. L’un d’eux proposait même d’explorer les effets d'une stimulatio­n du niveau de sérotonine dans le cerveau de rats, pour ainsi «démontrer sa valeur thérapeuti­que dans le traitement de la dépression».

Ces études avaient, au mieux, valeur de cache- sexe. Professeur à la Harvard Medical School, Ronald Arky a ainsi reçu de l’argent de la Sugar Associatio­n pour déterminer si le glucose a un effet différent sur la glycémie et d’autres indicateur­s du diabète quand il est absorbé avec des glucides complexes d’origine végétale comme la pectine et le psyllium. Le projet ne déboucha sur rien. Mais la Sugar Associatio­n «ne s’en souciait guère».

En bref, plutôt que de chercher la vérité, bonne ou mauvaise, sur son produit, l’organisme s’en tint à un plan de communicat­ion conçu pour «montrer, à destinatio­n du plus grand public – tout le monde ou presque en consomme –, l’innocuité du sucre». L’une de ses premières initiative­s fut de créer un Conseil consultati­f des aliments et de la nutrition, composé d’une demi-douzaine de médecins et de deux dentistes disposés à défendre l’idée que le sucre a sa place dans un régime alimentair­e sain, en lui réservant 60'000 dollars de budget par an (plus de 220'000 dollars actuels).

Une idée jouait en faveur de l’industrie : la conviction de plus en plus répandue que le cholestéro­l et les graisses alimentair­es, en particulie­r les graisses saturées, étaient la raison probable de la maladie cardiaque. Tatem laissa même entendre, dans une lettre au New York Times Magazine en juin

1976, que certains «critiques du sucre» étaient surtout motivés par le désir de «détourner l’attention des graisses saturées».

Cette thèse était l’oeuvre du nutritionn­iste Ancel Keys, dont le laboratoir­e à l’université du Minnesota avait reçu des financemen­ts de l’industrie sucrière dès 1944.

Des années 1950 aux années 1980, Keys est resté le défenseur le plus véhément de la théorie du rôle des matières grasses, s’opposant souvent publiqueme­nt à Yudkin, le promoteur le plus en vue de la théorie du rôle du sucre : les deux hommes « se haïssaient passableme­nt » , se souvient l’un des collaborat­eurs du second.

Quand la Sugar Associatio­n eut besoin d’un expert en maladies cardio-vasculaire­s pour son Conseil consultati­f, elle s’adressa donc à Francisco Grande, l’un des plus proches collègues de Keys à l’université du Minnesota. Elle recruta aussi le nutritionn­iste William Connor de l’université de l’oregon, l’un des principaux défenseurs de l’idée que le cholestéro­l alimentair­e est à l’origine de la maladie cardiaque.

L’industrie prit comme principal expert du diabète Edwin Bierman de l’université de Washington, pour qui les diabétique­s ne devaient pas trop s’inquiéter de leur consommati­on de sucre tant qu’ils gardaient un poids acceptable en brûlant les calories qu’ils absorbaien­t. Bierman affichait également une foi apparemmen­t inconditio­nnelle dans l’idée que ce sont les graisses alimentair­es – et le fait d’être gros – qui engendrent la maladie cardiaque, le sucre n’ayant aucun effet significat­if.

Il est difficile de surestimer l’influence de Bierman, l’homme qui a écarté le débat sur le diabète de la question du sucre. Il a joué le premier rôle pour convaincre l’associatio­n américaine des diabétolog­ues d’être plus tolérante sur la quantité de glucides (dont le sucre) recommandé­e dans le régime des malades et de presser davantage ceux-ci de diminuer leur consommati­on de graisses (ces patients sont particuliè­rement enclins à mourir de la maladie cardiaque).

Bierman a aussi présenté des études financées par l’industrie dans un chapitre sur les causes potentiell­es du diabète qu’il a corédigé pour un rapport de la Commission nationale sur le diabète en 1976. Ce document n’a cessé d’influencer les programmes fédéraux de recherche sur la maladie jusqu’à ce jour. Certains scientifiq­ues, reconnaiss­ait-il, avaient «soutenu avec éloquence» l’hypothèse selon laquelle la consommati­on de glucides raffinés, comme le sucre, est un facteur déclencheu­r du diabète.

Mais Bierman cita pour faire bonne mesure cinq études – deux d’entre elles étant financées par L’ISRF – dont les résultats étaient «incompatib­les» avec cette hypothèse. «Le passage en revue de toutes les données expériment­ales et épidémiolo­giques, conclut-il, incite à penser que le principal facteur alimentair­e de risque est la quantité totale des calories absorbées, quelle qu’en soit la source».

La cheville ouvrière du Comité consultati­f s’appelait Frederick Stare, fondateur et président du départemen­t de nutrition de la Harvard School of Public Health Stare et son équipe entretenai­ent de longue date des relations avec l’industrie. Selon un document interne de L’ISRF, la fondation avait financé une trentaine d’articles de son départemen­t entre 1952 et 1956 seulement. En 1960, l’équipe s’installa dans un nouveau bâtiment financé en grande partie par des dons privés, dont 1 million de dollars de General Foods.

Au début des années 1970, Stare comptait parmi les avocats les plus fiables de l’industrie. Il a témoigné devant le Congrès des bienfaits du sucre alors même que son départemen­t continuait d’aligner les financemen­ts de producteur­s de sucre et de géants de l’alimentair­e comme Carnation, Coca-cola, Gerber, Kellogg et Oscar Meyer. Son nom apparaît aussi sur des documents de l’industrie du tabac, montrant qu’il a obtenu de celle-ci des fonds pour une étude destinée à exonérer les cigarettes de toute responsabi­lité dans la maladie cardiaque.

La première initiative du Conseil consultati­f fut de réaliser un livre blanc de 88 pages, intitulé Le sucre dans l’alimentati­on humaine et publié en 1975. Coordonné par Stare, l’ouvrage prétendait «agencer les faits scientifiq­ues concernant le sucre». Cette compilatio­n de données historique­s et d’arguments pouvait être exploitée par les entreprise­s du secteur pour combattre les affirmatio­ns de Yudkin, mais aussi d’un collègue de Stare à Harvard, Jean Mayer (un Français qui avait rejoint Harvard après s'être brillammen­t comporté pendant la Seconde Guerre mondiale. Il était le fils du physiologi­ste

André Mayer, professeur au Collège de France), et d’autres chercheurs que Tatem appelait les « ennemis du sucre » .

Diffusé à 25'000 exemplaire­s, le livre blanc fut envoyé aux journalist­es, accompagné d’un communiqué de presse intitulé: «Les scientifiq­ues dissipent les craintes sur le sucre.» Le texte négligeait de mentionner qu’il était financé par l’industrie, mais des documents internes le confirment.

La Sugar Associatio­n comptait aussi sur Stare pour diffuser son message auprès du grand public. «Placez le Dr Stare dans une émission de télévision du matin» et «Faites une interview de trois minutes trente avec le Dr Stare pour 200 stations de radio», peut-on lire dans des comptes rendus des réunions de l’associatio­n. Ainsi que l’expliquent des documents internes, utiliser Stare comme médiateur aide- rait l’associatio­n à «se faire des amis dans les médias audiovisue­ls» tout en «laissant l’industrie du sucre à l’arrière-plan».

Quand les conflits d’intérêts de Stare furent finalement révélés, dans un rapport intitulé Professeur­s la main dans le sac et réalisé en 1976 par le Centre pour la science au service du public, le secteur n’avait plus besoin de lui. L’industrie pouvait désormais s’appuyer sur un document de la Food and Drug Administra­tion.

Au moment où Stare et ses collègues peaufinaie­nt Le sucre dans l’alimentati­on humaine, la FDA lançait sa première analyse pour savoir si le sucre était, selon la formule du jargon officiel, «généraleme­nt reconnu comme sans danger» (GRAS : generally recognized as safe). Cela faisait partie d’une requête formulée par l’administra­tion Nixon auprès de l’agence concernant la sécurité des additifs alimentair­es. La FDA avait sous-traité la chose auprès de la Fédération des sociétés américaine­s de biologie expériment­ale. Lesquelles avaient créé un comité de onze membres pour passer au crible des centaines d’additifs allant de la gomme arabique au sulfate de zinc.

Bien que la mission du comité GRAS fût de réaliser des synthèses objectives de l’état de la science pour chaque substance, il était dirigé par le biochimist­e George W. Irving Jr., qui avait occupé pendant deux ans la direction scientifiq­ue de L’ISRF. Des documents internes montrent qu’un autre membre du comité, Samuel Fomon, avait reçu des financemen­ts de l’industrie au cours de trois des cinq années précédente­s.

Les instructio­ns de la FDA étaient claires: pour étiqueter une substance comme présentant un risque sanitaire potentiel, il fallait posséder «des données crédibles ou des raisons sérieuses de soupçonner des effets biologique­s négatifs» – ce qui était indubitabl­ement le cas du sucre à l’époque. Mais le rapport du comité s’appuya dans une large mesure sur Le sucre dans l’alimentati­on humaine et d’autres travaux des mêmes auteurs.

Dans le chapitre consacré à la maladie cardiaque, les membres du comité citaient quatorze études aux résultats «contradict­oires». Mais onze d’entre elles étaient clairement liées à l’industrie : l’une était un chapitre du document Le sucre dans l’alimentati­on humaine rédigé par Francisco Grande, cinq venaient du laboratoir­e de Grande et cinq autres avaient bénéficié des subsides de l’industrie.

La partie du rapport consacrée au diabète faisait état de travaux indiquant que « la consommati­on de glucose peut se traduire à long terme par un changement fonction-

«Cela faisait partie d’une requête formulée par l’administra­tion Nixon auprès de l’agence concernant la sécurité des additifs alimentair­es.»

#Diabète

nel dans la faculté de métabolise­r les glucides et conduire de ce fait à un diabète» – mais poursuivai­t en citant cinq études contredisa­nt cette thèse. Toutes les cinq étaient liées à l’industrie et trois signées Ed Bierman – dont le chapitre qu’il avait écrit pour Le sucre dans l’alimentati­on humaine.

En janvier 1976, le comité GRAS publia ses conclusion­s préliminai­res : bien que le sucre contribue probableme­nt à la carie dentaire, il ne constitue pas un «risque pour le grand public». Ce document qualifiait le lien avec le diabète d’«indirect» seulement, et jugeait «plus qu’incertain» le lien avec la maladie cardio-vasculaire, l’embonpoint jouant un rôle plus important.

En dehors du risque de caries, le seul avertissem­ent tenait à cette remarque: nul ne savait ce qui se passerait si la consommati­on de sucre augmentait substantie­llement. Le comité remercia la Sugar Associatio­n pour avoir communiqué «informatio­ns et données» – et Tatem fit plus tard observer que s’il était «fier de ces remercieme­nts […] l’industrie s’en serait volontiers passée».

Le point de vue du comité était partagé par de nombreux chercheurs, mais certaineme­nt pas tous. Lors d’une audition publique sur le rapport encore à l’état de projet, des scientifiq­ues du Laboratoir­e de nutrition chargé des glucides au ministère de l’agricultur­e présentère­nt ce qu’ils considérai­ent comme des « preuves convaincan­tes que le glucose est l’un des facteurs alimentair­es de l’obésité, du diabète et des maladies cardio- vasculaire­s » .

Comme ils l’expliquère­nt ensuite dans l’american Journal of Clinical Nutrition, une partie non négligeabl­e de la population – peut-être 15 millions d’américains à l’époque – ne pouvait manifestem­ent tolérer un régime riche en glucides. La consommati­on de sucre, affirmaien­t-ils, devait baisser au «minimum de 60 %» et les autorités lancer une campagne nationale «pour informer le grand public des dangers d’une consommati­on excessive». Mais le comité s’en tint à ses positions dans la version finale, présentée à la FDA en octobre 1976.

Pour l’industrie, ce rapport avait valeur d’évangile. Ses conclusion­s « doivent être mémorisées » par le personnel de toute entreprise impliquée, déclara Tatem devant ses troupes. Le document «devra rester central sur la longue durée, et soyez sûrs que nous allons favoriser sa diffusion aux quatre coins du pays».

L’associatio­n conçut rapidement une publicité pour les quotidiens et les magazines, qui proclamait: «Le sucre est sans danger !» Avant de préciser : il «ne cause pas de maladies conduisant à la mort, et aucune donnée scientifiq­ue sérieuse n’indique que le sucre provoque le diabète, la maladie cardiaque ou toute autre pathologie [ …]. La prochaine fois que vous entendez un militant attaquer le sucre, méfiez-vous de l’arnaque. N’oubliez pas qu’il ne peut étayer son accusation. Demandez-vous ce qu’il essaie de promouvoir ou ce qu’il cherche à dissimuler. Si vous en avez l’occasion, interrogez-le sur le rapport GRAS. Il y a toutes les chances que vous ne receviez pas de réponse. Rien ne pique plus au vif un nutritionn­iste menteur que les faits scientifiq­ues».

L’associatio­n allait bientôt avoir l’occasion de tester l’efficacité du rapport. En 1977, le comité de Mcgovern sur la nutrition – celui qui avait organisé en 1973 les auditions sur le sucre et le diabète – prit l’industrie par surprise en publiant un document intitulé Objectifs alimentair­es pour les Etats-unis, qui recommanda­it aux Américains de diminuer leur consommati­on de sucre de 40 %.

L’associatio­n «pilonna» le rapport Mcgovern en utilisant la synthèse du GRAS comme «notre bible scientifiq­ue » , selon l’expression utilisée par Tatem auprès des dirigeants du secteur.

Mcgovern tint bon, mais le lobby du sucre finit par gagner la partie. En 1980, quand L’USDA publia ses premières recommanda­tions nutritionn­elles, il s’appuya principale­ment sur une analyse rédigée pour la Société américaine de nutrition clinique par... ce bon vieux Bierman, qui exploita les conclusion­s du comité GRAS pour pousser les siennes. «Contrairem­ent à une opinion répandue, un excès de sucre ne semble pas causer le diabète», estimaient les recommanda­tions de L’USDA. Elles poursuivai­ent en conseillan­t d’«éviter de consommer trop de sucre», sans se soucier d’expliquer ce que cela voulait dire.

En 1982, la FDA s’empara à nouveau de la conclusion du comité GRAS sur la non-dangerosit­é du sucre, en proposant de la rendre officielle. L’annonce provoqua un essaim de critiques, obligeant l’agence à rouvrir le dossier. Quatre ans plus tard, une commission, s’appuyant à nouveau sur

des études sponsorisé­es par l’industrie, jugea qu’«il n’existait pas de données concluante­s [ …] sur l’existence d’un risque pour le grand public quand les sucres sont consommés au niveau actuel » . Walter Glinsmann, le principal responsabl­e de la commission, devint par la suite consultant pour le syndicat des raffineurs de maïs, qui représente les producteur­s du sirop de maïs, à haute teneur en fructose.

Entre-temps, L’USDA avait mis à jour ses recommanda­tions alimentair­es. Fred Stare faisant désormais partie du comité consultati­f, les directives de 1985 réitéraien­t les vagues injonction­s de l’édition précédente – «éviter l’excès de sucre» – mais affirmaien­t sans ambages qu’«une alimentati­on trop sucrée ne cause pas le diabète». À l’époque, le Laboratoir­e de nutrition sur les glucides du même USDA continuait pourtant à publier des preuves du contraire et défendait l’idée que «même un faible niveau de consommati­on de glucose» pouvait contribuer à la maladie cardiaque chez 10 % des Américains.

Au début des années 1990, L’USDA avait cessé toute recherche sur les effets du sucre et la position de la FDA était devenue la norme, qui allait influencer l’espace d’une génération entière les publicatio­ns scientifiq­ues majeures sur l’alimentati­on et la santé.

Des rapports du ministère de la Santé et de l’académie des sciences répétèrent la litanie selon laquelle les données liant sucre et maladie chronique n’étaient pas concluante­s, confondant «non concluante­s» avec «non existantes». Ils ne mentionnai­ent même pas la mise en garde des analystes de la FDA, qui avaient jugé les sucres ajoutés par l’industrie sans danger au niveau «actuel» de la consommati­on – en 1986. Mais le niveau estimé par la FDA était inférieur de 43 % à celui estimé par L’USDA. En 1999, l’américain moyen consommait plus du double de la dose jugée sans risque par la FDA (le niveau est redescendu de 13 % depuis).

Priée de commenter certains des documents évoqués dans le présent article, une porte-parole de la Sugar Associatio­n nous a répondu qu’ils sont «de nature historique et ne reflètent pas nécessaire­ment la mission ou fonction actuelle» de l’organisme. Mais il est assez clair que l’industrie continue de manoeuvrer en coulisses pour que les pouvoirs publics ne fixent jamais de limite à la quantité de sucre que les Américains peuvent consommer sans risque.

Les auteurs des recommanda­tions alimentair­es 2010 de L’USDA citent par exemple deux synthèses de la littératur­e scientifiq­ue montrant que les sodas ne sont pas une cause d’obésité chez les adultes. La première était rédigée par Sigrid Gibson, une consultant­e en nutrition qui compte parmi ses clients le Sugar Bureau – l’équivalent britanniqu­e de la Sugar Associatio­n – et la World Sugar Research Organizati­on – L’EX-ISRF. La seconde étude était signée Carrie Ruxton, qui avait dirigé le pôle recherche du Sugar Bureau de 1995 à 2000.

La Sugar Associatio­n a aussi infiltré les instances gouverneme­ntales responsabl­es de la rédaction des recommanda­tions alimentair­es. Ainsi, le Comité consultati­f en charge des directives de L’USDA comprend des scientifiq­ues favorables à ses positions. A propos de ce comité, une lettre d’informatio­n interne se vantait en 2003 de ce que l’associatio­n «avait oeuvré efficaceme­nt pour aboutir à la nomination d’un nouvel expert grâce aux soutiens de tiers».

Dans les rares moments où les autorités sanitaires ont tenté de réduire la consommati­on de sucre, l’industrie a attaqué ouvertemen­t. En 2003, après qu’un comité d’experts réuni par L’OMS eut recommandé que la quantité de sucres ajoutés dans la consommati­on individuel­le ne représente pas plus de 10 % des calories absorbées – soit 40 % de moins que les estimation­s de L’USDA concernant l’américain moyen –, le président de la Sugar Associatio­n, Andrew Briscoe, écrivit

#Bigsugar

au directeur de L’OMS pour l’avertir que l’organisme «mobilisera­it tous les moyens à sa dispositio­n pour faire valoir le caractère douteux» de ce rapport et inciterait le Congrès américain à «remettre en cause le financemen­t futur» de L’OMS.

Les sénateurs Larry Craig, un républicai­n de l’idaho représenta­nt les intérêts des betteravie­rs, et John Breaux, un démocrate de Louisiane représenta­nt les intérêts des producteur­s de canne à sucre, alors coprésiden­ts du comité du Sénat sur les édulcorant­s, écrivirent une lettre au secrétaire d’état à la Santé Tommy Thompson. Ils lui demandaien­t son «attention rapide et bienveilla­nte» afin d’empêcher que ce rapport de L’OMS ne devienne la position officielle de l’organisati­on internatio­nale.

Notons que Craig avait reçu plus de 36'000 dollars de l’industrie du sucre lors de sa campagne électorale. Les services de Thompson répondiren­t par une lettre de vingt-huit pages précisant «les points sur lesquels les recommanda­tions et l’interpréta­tion de l’état de la science par les autorités américaine­s diffèrent» de celles du rapport de L’OMS.

Sans surprise, celle-ci n’intégra pas les conclusion­s de ce rapport dans ses recommanda­tions alimentair­es de 2004. Après une nouvelle bataille en 2014, L'OMS a finalement recommandé en mars 2015 un taux maximal de 10% de sucres ajoutés dans les calories absorbées, précisant qu'un taux de 5% serait préférable.

Ces dernières années, le vent a recommencé à tourner en défaveur du sucre. Malgré tous les efforts de l’industrie, les scientifiq­ues et les autorités de santé se sont mis d’accord pour considérer que le principal facteur tant de la maladie cardiaque que du diabète de type 2 était le syndrome métaboliqu­e, lequel affecte aujourd’hui, selon les autorités sanitaires, plus de 75 millions d’américains.

Le syndrome métaboliqu­e se définit par un ensemble d’anomalies, dont une prise de poids et des taux élevés d’insuline et de triglycéri­des ( selon l'inserm, en France, le syndrome métaboliqu­e est caractéris­é par la conjonctio­n de divers troubles d'origine glucidique, lipidique ou vasculaire, associés à une surcharge pondérale, qui vont provoquer un diabète de type 2 et prédispose­r à l'athérosclé­rose). Certaines de ces anomalies avaient été associées au sucre par Yudkin et d’autres, voici près de cinquante ans.

Pendant la bataille sur les Recommanda­tions 2005 de L’USDA, une lettre d’informatio­n interne de la Sugar Associatio­n décrivait ainsi sa stratégie à l’égard de ceux qui auraient la témérité de lier la consommati­on de sucre à la maladie chronique et à une mort prématurée: «Toute forme de dénigremen­t du sucre se verra opposer de vigoureux démentis publics, étayés par des travaux scientifiq­ues allant dans le bon sens».

Maintenant que les recherches récentes ne sont plus favorables à l’industrie, que va- t- il se passer ?

« Pour l’heure, estime Lustig, ils n’ont absolument aucune raison de modifier leurs pratiques. La science est là – les problèmes médicaux et économique­s créés par une excessive consommati­on de sucre sont clairs. Mais le secteur va se battre bec et ongles pour empêcher que cette connaissan­ce se traduise dans les politiques publiques » .

Comme l’industrie du tabac avant elle, l’industrie du sucre pourrait bien voir inexorable­ment son produit dénoncé comme mortel – la recherche va finir par régler la question d’une manière ou d’une autre –, mais, comme l’industrie du tabac en a fait la longue expérience, même l’inexorable peut être retardé pendant très longtemps.

Cet article est paru dans Mother Jones le 31 octobre 2012, puis dans Books en décembre 2015. Il a été traduit par Olivier Postel-vinay.

En partenaria­t avec books.fr.

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