La musique du Transsibérien
ouverte, il adore parler géopolitique; de l’éclatement de la Yougoslavie à l’intervention des Etats-unis en Libye, tout y passe. Mais c'est de sa vindicte qu’il est le plus fier. Il sort la version serbe du magazine Newsweek qui l'a interviewé il y a quelques mois à grand renfort de citations et affiche même sa photo. «Tout est écrit noir sur blanc, m'assure-t-il en pointant l'article du doigt, d'un ton solennel. J’ai dit ouvertement ce que je pense. Je me sens menacé. A la mairie, on m'a annoncé qu'ils allaient me couper l’eau et l’électricité. Mais je connais ce terrain mieux que quiconque. Je trouverai d’autres tuyaux auxquels me raccorder».
Derrière sa maison, pêle-mêle, des carcasses et d'autres pièces automobiles – hors d’usage ou pas? Il n’en est plus sûr lui-même! – font barrage au visiteur trop curieux. Comme celui que sa femme a surpris une nuit, il y a quelques années, un couteau à la main. «La pègre a toujours traîné par ici, certifie le septuagénaire qui vit dans cette maison depuis 1990. Les cambriolages étaient courants dans ce quartier de la gare.» A-t-il peur que quelqu’un ne vienne l’expulser au milieu de la nuit? Craint-il que des casseurs encagoulés ne lui rendent visite? «Je n’ai peur de personne. Ils auraient pu venir ici et raser ma maison avec moi et ma femme à l'intérieur. Je suis plus tenace qu’il n'y paraît», rit-il de toutes ses dents blanches.
Se peut-il donc que sa maison survive au projet Belgrade Waterfront? Il balaie cette possibilité d’un revers de main. Non, il n’a pas envie de rester tout seul au milieu des ruines. Il attend juste le moment où on lui proposera un appartement «bien à lui». Un appartement pour lequel il obtiendra un acte de propriété. Un appartement dont sa fille et ses petits-fils pourront hériter un jour. Ce jour-là, l'inquiétude de «finir à la rue, avec sa femme», la seule qui compte à ses yeux, sera définitivement écartée. Ce jour-là, Bara Venecija verra son dernier résistant disparaître.