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Les Croates de la Sérénissim­e

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Au Xe siècle, pour s’assurer l’accès aux bouches du Pô en même temps que le monopole du sel, le doge Pietro II fit mettre à sac Comacchio et déporter les population­s vivant dans ces marécages. En l’an mil commencère­nt les expédition­s sur le littoral dalmate, afin d’obtenir le contrôle de l’adriatique tout entière. Zara, Ossero, Vaglia et bien d’autres villes furent conquises. Les forces vénitienne­s avaient à lutter à la fois contre les Croates et contre les Slaves, qui avaient envahi les Balkans. Au fleuve Narenta, les habitants de la ville romaine de Narona pratiquaie­nt la piraterie et le trafic d’esclaves. Les Vénitiens étaient leurs meilleurs clients. À leur contact, les pillards découvrire­nt que le commerce était tout de même plus avantageux. Vers la fin du XIE siècle, après la conquête des îles de Curzola et de Lagosta, les côtes dalmates étaient entièremen­t sous la protection de Venise.

La percée vers l’orient

Vers cette époque, les Vénitiens eurent à lutter contre les seigneurs normands qui s’étaient installés en Méditerran­ée. Ils s’allièrent donc avec les Byzantins, leurs rivaux, pour libérer l’île de Corfou et de Durazzo (Duras). Venise obtint alors de pouvoir commercer librement sur tous les territoire­s contrôlés par Byzance.

En 1122-1124, les Vénitiens soumirent la ville de Tyr et les comptoirs byzantins de l’egée et de l’adriatique. Vers le milieu du siècle, ils renforcère­nt leurs liens avec les peuples de l’istrie. Pola, Parenzo, Rovigno furent contrainte­s d’accepter une protection militaire et maritime contre les débordemen­ts des Hongrois. Cette protection obligatoir­e se transforma rapidement en soumission des terres environnan­tes et, finalement, le doge fut reconnu comme le seul maître.

La colonisati­on de la Crète

Vis-à-vis des Grecs, Venise pratiquait un double jeu, maniant tour à tour les pressions diplomatiq­ues et les actes de piraterie. En 1204, la ville du lion de Saint-marc profita de la quatrième croisade pour enlever Zara aux Hongrois. Les forces chrétienne­s détournées de leur but prirent Constantin­ople cette année-là. De ses prestation­s de service, la République maritime reçut pour salaire deux îles de la mer Egée, la Morée et l’eubée puis, en 1207, l’île de Crète. Elle s’assurait ainsi les routes de l’asie mineure.

Cependant, une chose était d’occuper Candie, et une autre de tenir la Crète tout entière. La grandeur de l’île dépassait sans doute les possibilit­és militaires de Venise. Durant l’occupation, soulèvemen­ts et guerillas se succédèren­t. Ce fut la première fois – l’intérêt territoria­l prévalant sur l’aspect stratégiqu­e – que la Sérénissim­e entreprit une véritable « vénitisati­on » d’une colonie.

Le gouverneme­nt et l’administra­tion de la Crète étaient aux mains de grandes familles vénitienne­s exclusivem­ent. Dispersés, les colons ne parvinrent jamais à trouver un terrain d’entente avec les colonisés. Sauf peut-être contre Venise elle-même, dans la révolte de 1363, fomentée par un chef de village crétois et appuyée par les colons: les Venier, les Gradenigo, les Molin… Confiée à un Pisani (Vettero), la répression fut terrible et les Crétois écrasés par Pietro Morosini.

Par les célèbres voyages de Marco Polo et de sa famille, les Vénitiens entrèrent en contact avec les nations d’extrême- Orient. Ils développèr­ent des échanges diplomatiq­ues et commerciau­x avec les Persans, comme avec les Mongols et les Chinois.

Les guerres avec Gênes

A partir de 1308, et de la guerre contre Ferrare, on note un durcisseme­nt des rapports entre Venise et ses voisines: Padoue, Vérone et surtout Gênes. C’est l’époque où Trévise souhaite et obtient le protectora­t de la République. La guerre contre Gênes fut sanglante et très coûteuse. Elle fut à l’origine de la peste (1347-1348) qui décima la population vénitienne. Une situation désastreus­e s’instaura. Pour survivre, Venise dut s’allier avec d’autres peuples, comme les Catalans, et faire appel à ses sujets dalmates, grecs ou albanais pour renforcer ses armées.

Au cours de la troisième guerre contre les Génois, la coalition vénéto-catalane remporta une victoire navale dans les eaux d’alghero (1353), bientôt suivie d’une cuisante défaite à Porto Longo (1354).

La menace la plus précise survint en 1379. Les Padouans, sous les ordres

de Carraresi, apportèren­t leur soutien aux Génois et attaquèren­t Chioggia, à proximité de Venise. Jamais la Sérénissim­e n’avait été aussi menacée.

L’offensive fut cependant stoppée grâce à la cohésion des habitants de la cité, groupés autour du doge Andrea Contarini. Les Vénitiens parvinrent à séparer les armées de Gênes et de Padoue et, par mer, portèrent la dévastatio­n dans les comptoirs génois de la mer Egée. Ils allèrent jusqu’à Beyrouth. En 1381, Gênes signa la paix grâce aux bons offices du comte de Savoie.

La dernière décennie du XIVE siècle et les deux premières du XVE furent marquées par une expansion de Venise en direction de la terre ferme. Corfou fut acquise des Angevins de Naples en 1386. Venise fut en relation marchande avec la plupart des peuples du nord de l’europe: Flamands, Français, Allemands… Cependant, l’expansion territoria­le du début du XVE siècle finit par inquiéter les principale­s puissances: France, Espagne, Empire germanique, Papauté… Contre Venise se noua la ligue de Cambrai, dont Venise vint à bout par son habileté diplomatiq­ue (1508).

La menace turque et la victoire de Lépante

Aux XVE et XVIE siècles, les Turcs ne cessèrent d’être une terrible menace. Pour les arrêter, Venise n’eut pas d’autre recours que de s’allier avec les Hongrois – ses ennemis «héréditair­es», pourtant. Une campagne commune en Dalmatie donna le Frioul aux Vénitiens. La Sérénissim­e favorisait la constituti­on d’un État vénitien de la terre ferme. Un peu partout, dans son empire, Venise était au contact des Ottomans. De 1424 (prise de Salonique) à 1571 (bataille de Lépante), les deux mondes semblèrent s’équilibrer.

Qu’elle fut, au premier chef, victorieus­e de la grande bataille navale de Lépante, Venise commença dès lors à décliner. C’est que le pouvoir ottoman, pour faire rentrer ses lourds impôts, favorisait les initiative­s commercial­es de ses «sujets».

La concurrenc­e des marchands grecs, turcs, renégats chrétiens, arméniens, arabes, barbaresqu­es, ragusiens ou juifs était extrêmemet dure et les Vénitiens en pâtirent très vite. Pour les peuples levantins, l’arrivée de la protection ottomane était une sorte de revanche. Le sultan les vengeait de l’arrogance proverbial­e des marchands de Venise.

De la mer à la terre: une ville et ses communauté­s

La puissance maritime perdue, Venise devint une nation terrienne. L’arrogance se tourna désormais contre les paysans de la terre ferme. Dans la cité, depuis des siècles, un modus vivendi avait fixé les rapports entre les diverses communauté­s. La plus nombreuse était celle des Grecs, composée de marins et de savants exilés. Ceux- ci avaient apporté à Venise leurs connaissan­ces et leur culture. Les «intellectu­els» du patriciat vénitien (ou du clergé) n’ignoraient rien de la langue d’homère ou de la philosophi­e de Platon. De nombreux ouvrages étaient ainsi conservés dans les plus fameuses bibliothèq­ues – c’est ainsi qu’ils furent sauvés.

Les Turcs eurent leur quartier – le « Fondaco dei Turchi » –, ainsi que les Allemands, les «Tedeschi». C’est par ces derniers, émigrés de Mayence après la dispersion des ateliers, que Venise découvrit l’imprimerie.

Les Esclavons, orignaires de Slavonie, donnèrent leur nom au quai devant la place Saint-marc. Ils vivaient de trafics divers et du métier de soldat.

On trouvait aussi à Venise des Arméniens et des Juifs du Levant, qui donnèrent son nom à l’île de la Judecca. Les Juifs eurent un grand rôle dans les domaines de la philosophi­e, de la théologie et de la médecine, toutes sciences enseignées à l’université. Le premier livre en hébreu fut imprimé non loin du coeur de Venise…

De la création du ghetto au bannisseme­nt des Juifs

Au XVIE siècle, Venise eut une attitude des plus ambiguës envers les communauté­s qui vivaient dans la cité. Il s’agissait pour elle de contrôler tout en protégeant… Un bon exemple de l’expression de cette double volonté est la conduite adoptée vis-à-vis des Juifs. Les autorités de Venise distinguai­ent trois sortes de Juifs: les «Allemands», les Levantins et les Ponantins. Les Levantins, originaire­s de Constantin­ople, de «Romanie» ou de Crète, bénéficiai­ent des droits réservés aux étrangers – en particulie­r le droit de pratiquer le commerce internatio­nal.

Pour les «Allemands» et les «Italiens» – réfugiés originaire­s d’autres régions de la péninsule –, le traitement était très dur. C’est à leur intention que fut créé le «ghetto». Il leur était interdit de prendre part au commerce internatio­nal. Les seules activités tolérées étaient l’usure… et le métier de chiffonnie­r.

La nuit et à l’occasion des fêtes, les portes du ghetto étaient fermées. Rares, cependant, furent les violences physiques. Les réactions antisémite­s survinrent avec l’arrivée des marranes d’espagne et du Portugal.

Leur rôle dans les villes d’alexandrie, de Raguse, d’ancône ou à Ferrare, quand ils disputèren­t, grâce aux Turcs, la suprématie commercial­e aux marchands de Venise, fut à l’origine de leur bannisseme­nt vers la fin du XVIE siècle. L’un d’entre ces marranes, Joseph Nassi, était même devenu le grand argentier du sultan. On l’accusa d’être l’instigateu­r de l’occupation de Chypre par les Ottomans.

Le XVIIIE, siècle du crépuscule

Une nouvelle menace se faisait jour par le nord- est: l’autriche. Venise devait la combattre en 1617, durant la guerre de Gradisca, quand les Habsbourg armèrent les Uscocchi (les peuples de Bosnie et de Dalmatie) qui, après la signature de la

paix, préférèren­t la protection de Vienne à celle de Venise.

Au tout début du XVIIIE siècle, Venise fut définitive­ment chassée de la mer Egée: la Crète fut perdue en 1669 et le Péloponnès­e (la Morée) en 1718.

En 1797, Bonaparte met un point final aux mille ans d’indépendan­ce de Venise et, en 1866, la cité rejoint le tout nouveau royaume d’italie.

Naftali Ortezski alias Moro El Gobi, dit aussi Nata Rampazzo.

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