Le jobsharing, un temps complet à temps partiel
En Suisse, 59% des femmes actives travaillent aujourd’hui à temps partiel et 14% des hommes. Cet écart entre les deux sexes est l’un des plus élevés au monde. Plus une femme mère de famille est formée, plus elle aura tendance par ailleurs à travailler à temps partiel. Bien que le travail à temps réduit permette de concilier vie professionnelle et vie familiale, certains inconvénients demeurent. Les postes à temps partiel sont rarement publiés et plutôt octroyés sur mesure à la demande des employés. La présence réduite, associée à des horaires peu flexibles, retient certains employeurs. Le travail à temps partiel confine parfois les femmes et hommes hautement qualifiés dans des postes peu valorisants et sans perspective. De nouvelles discriminations entre hommes et femmes apparaissent vu le pourcentage élevé de temps partiel féminin. Offrant un temps complet à temps partiel, le jobsharing est un modèle de travail innovant tant pour l’employeur que l’employé. Il se réfère à deux ou plusieurs employés qui se partagent un poste à temps plein avec des tâches interdépendantes et une responsabilité commune. Ils forment un binôme professionnel autogéré, une mini-équipe complémentaire aux rôles interchangeables, dont seul le résultat commun est évalué. Le jobsharing est à la fois un arrangement particulier d’un poste à temps complet pour l’employeur et une variante différente d’un temps partiel pour l’employé.
Le jobsharing, un modèle pour tous les âges
Le partage d’emploi favorise l’accès à des postes à responsabilité et s’adresse aux femmes et hommes dynamiques et actifs dans toutes les catégories d’âge. Le jobsharing intergénérationnel se créé entre différentes générations avec un écart de 10 ans au mimimum et permet d’assurer un transfert de savoir des personnes expérimentées et d’intégrer plus facilement les jeunes sur le marché du travail. Les seniors sont ainsi aussi concernés par ce mode de travail. Ceux qui avant la retraite ou après aspirent à rester actifs et à transmettre leur savoir trouveront une nouvelle forme d’activité diversifiée qui leur permet de valoriser leur savoir-faire et leur longue expérience professionnelle.
Aujourd’hui, près de 50’000 femmes en Suisse avec formation universitaire, principalement des mères de famille, ne sont plus actives professionnellement. Ce potentiel de savoir-faire est plus que jamais nécessaire pour pallier le manque de travailleurs hautement qualifiés sur le marché du travail. Le partage d’emploi est une voie professionnelle qui permettrait à ces femmes de réintégrer plus facilement le marché de l’emploi en leur offrant des postes variés et à responsabilité. Pour la société, le jobsharing peut ainsi contribuer à une répartition plus équitable des opportunités d’emplois, un retour sur le marché du travail de personnel bien formé et ainsi à une meilleure rentabilité de la formation.
Deux expertises au prix d’une
Par le jobsharing, l’employeur bénéficie de deux expertises au prix d’une et parallèlement, d’une présence à 100% en entreprise. L’accès facilité à des postes à responsabilité, la diversité et l’innovation au travers d’une large palette d’activités, la conciliation vie professionnelle et vie privée, tels sont les avantages principaux pour un employé. Du côté de l’employeur, on dénote une plus grande productivité et une présence continue, des prises de décision plus abouties par l’échange entre partenaires et des compétences-réseaux à double.
Les faiblesses d’un partenaire peuvent être compensés par les forces de l’autre, et vice- versa. Les risques de burn- out semblent être moins élevés vu l’horaire de travail réduit. Pour les membres d’un duo, le jobsharing permet implicitement un développement professionnel et personnel au sein du binôme. En effet, la pratique du jobsharing exige certaines valeurs communes. Le jobsharing n’est pas fait pour tous et nécessite des prérequis: flexibilité, générosité, engagement professionnel, volonté de dialogue, partage du pouvoir et confiance en l’autre. Le jobsharing varie selon les individus, les genres, âges et personnalités. Pour préserver un salaire adéquat, plusieurs taux d’activités sont possibles. Le jobsharing ne se limite pas à 50%-50%.
Première enquête nationale
Financée par le Bureau fédéral de l’égalité suisse entre femmes et hommes, l’association PTO (Part Time Optimisation) a comme but d’informer sur les modalités et défis du jobsharing en Suisse. En 2013, elle a lancé son initiative Go-for-jobsharing et la première enquête nationale sur la mise en oeuvre du jobsharing en collaboration avec la Haute école de gestion FHNW. Près de 400 établissements y ont répondu, représentant 180’000 personnes actives
en Suisse. Une double expertise pour le prix d’une, le maintien du savoir-faire et une augmentation de la motivation des employés sont les critères en tête évoqués au travers de cette enquête. 27% des employeurs en Suisse ont des postes en jobsharing, dont un quart dans des positions de cadres. La répartition du jobsharing est similaire dans les trois régions linguistiques du pays et augmente légèrement selon la taille de l’établissement. Le jobsharing est le plus pratiqué dans les administrations publiques et dans le secteur des services financiers et assurances; il est présent globalement dans un quart du secteur privé, démontrant que le jobsharing a notablement augmenté depuis cinq ans. Au niveau «genre», sur l’ensemble des duos en jobsharing, la grande majorité est encore composée de deux femmes, puis par des duos homme-femme et peu d’hommes. Le jobsharing concerne toutefois hommes et femmes de la même manière. Le fait que plus de femmes travaillent à temps partiel en Suisse explicite la différence dans la constellation entre genres des duos.
Dans la mouvance de l’économie collaborative
Au coeur de toute structure en jobsharing se trouve la notion de collaboration, sans quoi un partenariat ne peut fonctionner. Cette caractéristique particulière et d’autres spécificités du partage d’emploi permettent de la mettre en lien avec l’économie collaborative qui bouscule les règles traditionnelles des concepts de production et consommation depuis plusieurs années. L’économie collaborative (ou sharing economy) vise à produire de la valeur en commun en se fondant sur une nouvelle organisation du travail plus horizontale, la mise en commun d’espaces et l’organisation de citoyens-producteurs en réseaux ou communautés.
Définir l’économie partagée reste complexe tant que cette notion s’applique à une multitude de domaines. Les sites collaboratifs sur Internet permettent d’ores et déjà d’échanger temporairement des logements (ex. Airbnb), des trajets en voiture (ex. Carshare), des services gastronomiques à domicile (ex. Eatwith), de troquer des cours de formation (langues et autres) tout comme d’externaliser la garde des enfants (babysitting), d’échanger des commodités (outils pratiques et software) et même de lever des fonds chez des dizaines de petits investisseurs. Le fondement du partage d’emploi est également un partage de savoir et la juxtaposition d’expertises spécifiques permettent d’accroître la productivité.
Vrai besoin sociétal
Si l’on compare le jobsharing à l’économie collaborative, divers piliers semblables se retrouvent: le collaboratif et la mutualisation des moyens coexistent dans les deux concepts. Dans le contexte du jobsharing, l’unité de production (le poste de travail) est répartie entre deux ou plusieurs individus. Les produits qui en découlent sont souvent plus aboutis par l’échange et le transfert de savoir. Le pilier social ou la coopération entre membres permet une distribution plus efficace du capital humain au sein des entreprises. Le fait de partager un poste de travail signifie une réallocation à deux ou plusieurs personnes des salaires respectifs liés aux activités professionnelles d’un seul poste de travail. Il s’agirait ici d’une meilleure répartition des opportunités d’emplois. La durabilité du capital humain est l’un des aspects qui rejoint indirectement les effets de pérennité économique et sociétale de l’économie collaborative. Par le fonctionnement même du partage d’emploi, ce sont les individus au sein d’un jobsharing et les employeurs qui gagnent à long terme. Alors que les membres d’un partenariat accroissent leur qualité de vie par un meilleur partage entre vies professionnelle et privée, ils peaufinent en parallèle leurs connaissances au travers des échanges permanents à deux ou plus et accèdent à des postes plus stimulants tout en travaillant à temps partiel.
Plus que jamais, des réflexions sur les formes alternatives de travail sont nécessaires et répondent à un vrai besoin sociétal. Offrir davantage d’emplois en jobsharing rendra le marché du travail plus attractif et flexible, à la fois pour les jeunes professionnels, les hommes et femmes dynamiques et les seniors qui recherchent un meilleur équilibre professionnel et privé.
Irenka Krone- Germann et Anne de Chambrier, co-directrices, Association PTO.