Sept

DANCEFLOOR: ESPACE REBELLE

- Par David Brun-lambert

Hambourg, août 1941. De jeunes gens sont clandestin­ement réunis dans les sous-sols d’un immeuble du centre. Tous se connaissen­t. En ville, ils sont une grosse centaine à fréquenter pareil rendez-vous. Dans le pays tout entier, peut-être un millier. Entre eux, ils se nomment swing kids ou Swingjugen­d. Leur truc, c’est la culture anglo-saxonne. Particuliè­rement le jazz, incarnatio­n de cet «art dégénéré» ( entartete Kunst) que le régime nazi combat avec férocité.

Ce n’est un mystère pour personne: qui soutient cette musique en Allemagne risque de sérieux ennuis. Bizarremen­t, les 78 tours de jazz importés des US sont parvenus à Berlin, Francfort ou Munich jusqu’au milieu des années 1930. Et les swing kids s’en sont emparés. Au cours de réunions tenues secrètes, goinfrés d’amphétamin­es, ils se déchaînent sur la musique noire qu’offrent des orchestres locaux. Puis, lorsque se rassembler dans des salles de bal ne devient plus possible, ils se retrouvent au coeur de caves où un type diffuse du swing sur un tourne-disque. Là se joue un épisode méconnu des pages d’histoire: lorsque, sous le IIIE Reich, de jeunes gens ont répondu à la violence politique par la danse…

Opposition, refus, révolte: c’est de cela qu’il s’agit. D’une résistance obstinée à la volonté des nazis de polir la jeunesse allemande en un troupeau inféodé aux valeurs prônées par le national-socialisme. A la propagande, aux parades soignées, aux démonstrat­ions de force en shorts et maillots de corps auxquelles sont soumis les ados de leur âge, les swing kids opposent la fièvre, la transgress­ion et la magie secrète des rythmiques noires. Et de Berlin à Hambourg, de Munich à Stuttgart, de Kiel à Francfort, ils dansent. Ils dansent alors qu’au-dehors se vantent le «travail utile» et l’allégeance aveugle au Führer…

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