Sept

Tato, flic et infiltré

FABRIZIO CALVI (texte)

- DAMIEN ROUDEAU (illustrati­ons)

Le 29 septembre 2015, un homme de 72 ans, sobrement vêtu, se présente devant le Tribunal fédéral de Bellinzone accompagné de son avocat. Il s’appelle Fausto Cattaneo, Tato pour les amis. Pour les autres aussi.

Ce Tessinois est un ancien flic de haut niveau, un exemple pour toutes les polices occidental­es. Dans les années 1990, il passait «pour l’un des agents secrets les plus efficaces au monde en matière de lutte contre le trafic de drogue».

Et pour cause: en vingt ans, il a fait saisir plus de sept tonnes de drogue, confisquer des wagons entiers de narcodolla­rs et incarcérer des centaines de dealers. Mieux, il a été l’un des agents de pénétratio­n les plus décorés de sa génération. L’as des as, le roi de l’usurpation d’identité, un véritable magicien, le Fregoli des opérations «undercover», alors qu’il siégeait au sein du groupe de coordinati­on des «enquêtes sous couverture» qui rassemble les principaux organismes de la planète.

Il a vu des choses que personne ne doit voir, pénétré les sanctuaire­s les plus secrets, découvert les relations inavouable­s qui unissent les cartels de la drogue aux mondes de la banque, de la finance, de la politique et à certaines franges de la police et des services secrets.

A le voir devant le tribunal, fatigué, accusé de «dénonciati­on calomnieus­e», de «faux témoignage» et de «séquestrat­ion», nul ne se douterait que pendant des années Tato a enfilé les habits des «parrains». Rolex en or, bague à 55’000 francs suisses prêtée par un ami joaillier, sapé comme un milord un tantinet voyant avec ses costards de luxe italien, il hantait les palaces turcs, suisses, italiens, brésiliens, français...

A longueur de journée, c’était cigares cubains, langoustes et champagne à gogo, avec ce que le monde compte de trafiquant­s de drogue et de mafieux.

Ce procès, le procès d’une vie, c’est celui d’un destin hors du commun, celui d’un super flic devenu par la force des choses lanceur d’alerte. Mais aussi celui d’un miraculé. Sans une baraka d’enfer, il serait mort. Et pas qu’une fois. Il ne compte plus les malfrats de haut vol qui ont juré d’avoir sa peau. Plusieurs contrats sur sa tête. A quatre reprises au moins, les cartels de la drogue ont lancé leurs tueurs à ses trousses. Ils ont chaque fois échoué.

Il n’oubliera jamais non plus le parrain bolivien faisant mine de lui tirer dessus en plein tribunal. Et cet autre qui ne se déplaçait plus qu’avec sa photo et son adresse. A l’époque, une balle lui était destinée, les «narcos» le lui ont fait savoir en déposant soigneusem­ent un projectile à côté du cadavre d’un informateu­r. C’était à Locarno, en plein coeur de la paisible Suisse italienne, sur son territoire. Ce jour-là, une miraculeus­e partie de bridge lui a sauvé la vie. Plus tard, il échappera de justesse à un traquenard à Milan.

Rien d’étonnant à vrai dire. Après s’être attaqué aux cartels latino-américains, aux mafias italiennes et turques, Tato sait qu’une dizaine de personnes sont à la tête du trafic internatio­nal de drogue. Comme tous ses collègues, il connaît leurs noms. Les protection­s dont elles bénéficien­t sont telles qu’elles ne sont jamais inquiétées.

Il a alors tenté de briser la loi du silence. Face aux dérapages de ses collègues, à la corruption endémique régnant au sein de certaines polices antidrogue­s européenne­s, il a tenté de lancer l’alerte en interne. Mais ses supérieurs n’ont rien voulu entendre.

Alors en 2001, il a rendu public ses accusation­s dans son livre «Comment j’ai infiltré les cartels de la drogue», un best-seller adapté au cinéma. Ne ménageant personne, il a balancé les noms de collègues ripoux ou incompéten­ts, ou même les deux à la fois. Et il l’a payé cher. Très cher.

Depuis le début des années 80, il a été de toutes les grosses opérations montées en Europe. Il est intervenu en Italie, en Allemagne, en Hollande, en Belgique, en Grande-bretagne, en France, en Autriche, en Turquie, en Thaïlande, aux Etats-unis, au Canada et en Amérique latine.

Souvent avec la DEA, la police antidrogue américaine, et les autorités locales, mais parfois aussi contre. Il jouait au garagiste véreux, à l’avocat marron, au financier sans scrupule, au banquier cynique ou au trafiquant. C’était selon. Tout ça pour quoi? Pour rien ou presque.

La planète continue de sniffer, de se piquer et de fumer toutes les substances qui peuvent l’envoyer en l’air. Côté guerre contre la drogue, c’était perdu dès le début.

Et pourtant il y a cru en y allant la fleur au fusil. La première fois, c’était quand déjà? Une éternité, au début des années 1980. Où? A l’ascona Club, une boîte de nuit d’ascona, le Saint-tropez helvétique.

Ce soir-là, le flic Cattaneo dévisage un délinquant tessinois qu’il a arrêté maintes fois pour des broutilles. La vie semble lui avoir enfin souri, à voir la manière dont il dépense son argent. Combien a-t-il flambé? 50’000 francs? Peut-être plus. Il suffit de tendre l’oreille pour deviner d’où vient la monnaie. Le malheureux a trop bu: il parle de sacs d’argent, de drogue, de mafia, de Bolivie.

Peu après, il est rejoint par une brochette de Latino-américains accompagné­s d’une brune piquante. Avant de partir, Tato passe un rapide coup de téléphone.

Dans la foulée, des gendarmes organisent un barrage routier à la sortie de la boîte de nuit et contrôlent les identités. Les Boliviens sont inconnus au bataillon. Tout comme la beauté piquante, Heidi Suarez, dernière en date des «Miss Bolivia». Elle est accompagné­e de l’un de ses frères.

Tato contacte l’un de ses amis John Costanzo, le chef d’antenne de la Drug Enforcemen­t Agency (DEA) à Milan. — Dis-moi, John, je t’appelle juste pour une petite vérificati­on. J’ai besoin que tu regardes dans tes fichiers si tu as quelque chose sur une famille bolivienne du nom de Suarez. — Ça me dit quelque chose, je te rappelle.

Deux heures plus tard, Costanzo débarque en personne, essoufflé, dans son bureau: - Laisse tomber tout ce que tu es en train de faire. Suarez est le plus gros gibier qu’on n’ait jamais eu. Tu participes à l’opération. Bienvenue au club des infiltrés!

En Bolivie, l’un des pays les plus pauvres du monde, on cultive la coca depuis la nuit des temps. Les population­s indiennes en mâchent les feuilles pour oublier la faim et le désespoir d’une condition souvent assimilabl­e à l’esclavage. Depuis, la Bolivie est devenue l’un des principaux producteur­s d’un alcaloïde connu sous le nom de cocaïne. Sur les hauts plateaux, des milliers d’indiens survivent grâce à la cueillette des feuilles qui sont revendues à un cartel se chargeant de les transforme­r en pâte de coca dont sera finalement extraite la drogue.

Le flic suisse enquête et remonte jusqu’à un versement de 6 millions de dollars à Lugano en provenance d’une banque bolivienne. Puis il s’envole pour Miami, destinatio­n le quartier général de l’opération destinée à faire tomber Roberto Suarez. Nom de code: Hun.

A sa tête à cette époque, un gros exploitant agricole qui pèse plusieurs milliards de dollars et jouit de la protection de la junte militaire au pouvoir à La Paz: Roberto Suarez Gomez, père de «Miss Bolivia» et de son frère Robby, repérés par Tato à l’ascona Club.

Se faisant passer pour des acheteurs, des agents de la DEA négocient l’achat de 600 de kilos de pâte de cocaïne. La délégation bolivienne est dirigée par Robby, un jeune homme d’une vingtaine d’années qui s’exprime dans un anglais parfait, le fils aîné de Roberto Suarez dont il porte également le prénom. Jouant le rôle d’un boss italo-américain, un agent de la DEA accueille «Junior» dans un hôtel de luxe à Miami réquisitio­nné par l’agence. Tous les serveurs sont des agents fédéraux. L’affaire est faite.

Tato fait partie de l’équipe qui doit récupérer la pâte de coca en Bolivie, à Cochabamba, où se trouve le QG de Suarez. A travers le hublot, le Suisse voit des hommes en armes, des Boliviens encadrés par des Européens. Ce sont des militants néofascist­es italiens, suisses et allemands, membres d’un escadron surnommé «los novios de la muerte», les «fiancés de la mort», dirigé par le tristement célèbre Klaus Barbie, ancien responsabl­e de la Gestapo de Lyon. Les «novios» sont chargés des basses oeuvres du parrain, des exécutions sommaires à la protection des livraisons de pâte de coca.

Robby est arrêté le 18 janvier 1982 à 5 heures du mat’ dans une luxueuse villa en plein coeur du Tessin. Dans la foulée, la police appréhende certains des affidés suisses du clan dont un homme politique de premier plan, Stelio Stevenoni.

A la fin de l’année, Roberto Suarez Junior est extradé aux Etats-unis pour y être jugé. La drogue n’étant pas destinée au marché américain, ses avocats plaident le caractère infondé de l’interventi­on de la justice fédérale. Le jury leur donne raison. Le jeune homme est acquitté.

A la fin des audiences, après avoir étreint ses avocats, Robby se tourne vers la salle. Son regard croise celui de Tato. Il lui sourit et fait mine, avec ses doigts, de braquer une arme dans sa direction. Un peu comme un enfant qui joue, il plie légèrement le pouce en disant «boum». Deux ans plus tard, c’est lui qui sera tué, en Bolivie, au cours d’une fusillade avec la police.

Pas le temps de se remettre de ses émotions. Tato enchaîne avec une nouvelle opération d’infiltrati­on, cette fois à Istanbul, en compagnie de l’agent de la DEA Sam Meale. Se faisant passer pour des envoyés spéciaux de la mafia new-yorkaise en quête d’héroïne, les deux compères contactent Haci Mirza, l’un des plus gros, sinon le plus gros trafiquant d’héroïne de Turquie.

Pour opérer dans ce pays, les deux policiers se font accréditer auprès des autorités locales sous leur vraie identité. Mais prudents, ils débarquent sur les bords du Bosphore avant les dates communiqué­es à la hiérarchie turque munis de faux passeports. L’agent de la DEA se fait appeler Sam de Rosa et Tato, Pierre Consoli. Bien leur en a pris.

Le 4 août 1986, ils sont attablés à la terrasse de l’un des meilleurs restaurant­s d’istanbul, avec vue imprenable sur la Corne d’or, avec Haci Mirza. Le parrain a des allures de paysan anatolien. Presque analphabèt­e, il ne parle que le turc mais bredouille des rudiments d’anglais et d’allemand. Il parle lentement, l’un de ses hommes traduit: — Vous voulez cent kilos? Bien. Mais d’abord il y a un petit problème à régler. J’ai été informé que deux enquêteurs de la police suisse sont à Istanbul. Ils sont descendus dans le même hôtel que vous. Ils sont sur un gros coup, une importante livraison d’héroïne. Peut-être enquêtent-ils sur mon compte? Je vous invite donc à la prudence, à la patience.

Dans un silence de mort, le parrain exhibe la photocopie du télex d’accréditat­ion rédigé par Tato. Il va falloir jouer serré. Le moindre faux pas et les deux infiltrés sont morts.

Rester calme avant tout. Ne rien laisser paraître. Puis improviser. Sans même regarder Sam, Tato avale une bouchée de langouste, s’essuie les lèvres avec sa serviette, se recule dans son siège et lâche: — Monsieur Haci Mirza, nous comprenons vos inquiétude­s. Sincèremen­t, à votre place je ferais la même chose. Hélas, étant donné le cours des évènements, nous devons absolument cesser de nous voir. Cela me gêne de le dire, mais si vous n’excluez pas l’éventualit­é que des policiers soient sur vos traces, cela nous concerne. Nous ne pouvons pas nous permettre de conclure un marché avec quelqu’un qui est surveillé par la police, nous ne voulons pas nous retrouver en prison.

Tato pose sa serviette sur la table, repousse son assiette encore pleine, recule sa chaise et se lève. Sam lui emboîte le pas et ils sortent. Les deux policiers ont eu chaud et ils ne sont pas au bout de leurs surprises.

Le lendemain, Haci Mirza les fait contacter à leur hôtel. Il comprend leur réaction mais leur assure qu’il n’y aura aucun problème. Il contrôle la police turque. La preuve, il a tout de suite été informé de la venue des deux policiers. Les deux hommes acceptent, mais posent une condition: la livraison de la marchandis­e se fera hors de Turquie.

Haci Mirza arrive en Suisse le 10 janvier 1987 pour régler les derniers détails relatifs à la livraison. Sam et Tato lui réservent une surprise. Les yeux bandés, le parrain est conduit jusqu’à une maison en rase campagne, à Roveredo Grigioni.

A l’intérieur, cinq hommes en blouse blanche s’affairent autour de cornues, de becs brûleurs et de cuves à acide. Munis de masques à gaz, ils transforme­nt de la morphine-base en héroïne dans une pièce aseptisée. Ce sont des chimistes de la police suisse. Le matériel est perfection­né, il a été saisi dans un vrai laboratoir­e clandestin de production d’héroïne tenu par un ancien de la French Connection. — Il n’y a qu’en Suisse qu’on peut travailler comme cela, dit Haci Mirza impression­né.

Les cent kilos d’héroïne arrivent en Suisse un mois plus tard, dissimulés dans le chargement d’un camion TIR (Transit Internatio­nal Routier) immatricul­é en Turquie. Sam prend place à bord du poids lourd, direction un hangar situé dans la banlieue de Lugano. Sous la surveillan­ce d’un petit groupe de policiers en civil, les cent sacs d’héroïne sont transférés dans une Mercedes qui démarre en trombe. Quelques heures plus tard, les laboratoir­es de la police scientifiq­ue rendent leur verdict: l’héroïne est pure à 75%, de très bonne qualité.

Le dimanche 22 février à 11 heures, le parrain turc est arrêté dans sa suite de l’hôtel Excelsior de Lugano. Les policiers suisses qui occupaient la chambre voisine l’ont entendu prier toute la nuit.

Les informatio­ns recueillie­s par Tato après la saisie des cent kilos d’héroïne lui permettent de mettre au jour un vaste réseau de blanchimen­t d’argent dans les banques suisses dirigé par deux hommes d’affaires libanais, les frères Jean et Barkev Magharian. Au coeur du dispositif, une société, la Shakarchi Trading, dont le vice-président est un avocat helvétique, Me Hans W. Kopp… le mari de la conseillèr­e radicale Elisabeth Kopp, première femme élue au gouverneme­nt suisse!

En tant que cheffe du Départemen­t de justice et police, Elisabeth Kopp fait partie des destinatai­res des rapports confidenti­els rédigés par le Ministère public, à partir des investigat­ions de Tato, pour ouvrir une enquête sur diverses sociétés dont la Shakarchi. Inquiète d’éventuelle­s répercussi­ons politiques, la ministre téléphone à son mari. Le 27 octobre 1988, Hans Kopp démissionn­e de la Shakarchi. Le 4 novembre, le quotidien zurichois «Tages Anzeiger» publie un article détaillé sur la Lebanon Connection dans lequel il est question de ce coup de fil. C’en est fait de la carrière politique de la conseillèr­e fédérale, alors sur le point de devenir la première femme présidente de la Confédérat­ion. Le 5 décembre, Elisabeth Kopp, le visage défait, prend congé du Conseil fédéral. Tato vient de se faire de puissants ennemis.

Des dizaines d’autres opérations font grimper de plusieurs tonnes les prises. En février 1991, l’opération Octopus permet la saisie de plus de dix millions de francs en Italie, en Suisse et au Brésil, et le démantèlem­ent d’une organisati­on de blanchimen­t. Tato découvre aussi la plus inattendue des plaques tournantes au Vatican où opère un réseau de banquiers napolitain­s, protégés par le ministre de l’intérieur italien.

A la fin des années 1980, aux Etats-unis comme en Europe, les contrôles dans les ports et les aéroports se durcissent pour les passagers ou les marchandis­es en provenance de Colombie et chamboulen­t les routes de la cocaïne. Désormais, le trafic vers l’europe passe par le Brésil, où opèrent des structures en mesure de fournir des tonnes de drogue. C’est dans ce pays que Tato conduit l’une de ses plus importante­s missions: l’opération Mato Grosso, destinée à abattre les réseaux de narcotrafi­quants brésiliens.

Dès lors, le flic tessinois enchaîne les opérations sous couverture. Outre les cent kilos de «Brown Sugar» saisis à Bellinzone, son tableau de chasse affiche quarante kilos d’héro à Graz (Autriche), cinquante en Belgique et en Italie, cent kilos de cocaïne découverts sous la coque d’un cargo dans le port de Zeebrugge, quatre cent huitante autres en France où un ancien responsabl­e de la lutte antidrogue péruvienne est tombé, trois tonnes en Belgique, Suisse et Hollande, permettant l’arrestatio­n du fils de Severo Escobar Ortega, premier citoyen colombien à avoir été extradé par son pays aux Etats-unis.

Afin de mieux infiltrer la Samba Connection, le flic tessinois recrute un trafiquant de cocaïne italo-argentin, Bruno, chasseur de primes qui travaille également pour les Français et leur Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiant­s, L’OCTRIS. Bruno ne tarde pas à lui proposer sa première affaire: un Brésilien d’origine israélienn­e cherche à acheter vingt kilos de cocaïne à Londres. Fausto Cattaneo accepte à condition de respecter les règles des «livraisons contrôlées», à savoir que la drogue doit provenir de trafiquant­s.

Ça tombe bien, Bruno connaît des fournisseu­rs. Le 10 mars 1991, il lui présente deux Napolitain­s membres de la Camorra, propriétai­res de l’un des restaurant­s les plus huppés d’ipanema, Baroni et Fasoli. Il se présente sous l’identité de Franco Ferri, homme d’affaires et financier ripou. Sur la terrasse de leur restaurant, autour d’un bon repas, Tato commence à négocier la livraison à Londres des vingt kilos de coke.

Les deux camorriste­s ont leurs habitudes dans la bijouterie de luxe de l’hôtel de Tato, le Rio Palace, l’un des meilleurs de la ville à deux pas des plages de Copacabana. La bijouterie blanchirai­t-elle des narcodolla­rs? Pour en avoir le coeur net, le flic suisse se met à fréquenter l’endroit. Il se lie d’amitié avec l’une des vendeuses, Isabel Maria. Perspicace, la jeune Brésilienn­e ne tarde pas à deviner qui il est vraiment. Piquée au jeu, elle lui propose de l’aider. Mais il faut faire attention, trop de gangsters fréquenten­t l’établissem­ent.

- Quand tu viendras me voir dans le magasin, fais semblant d’être intéressé par l’achat de bijoux.

De leur côté, les Napolitain­s ont un problème: plusieurs de leurs passeurs ont été arrêtés avec de la cocaïne en Europe. Un proche les a trahis et ils sont sur le point de démasquer la taupe: - On le retrouvera au pied du Corcovado, la montagne du Christ rédempteur, avec les testicules dans la bouche, assurent-ils à Tato.

Le flic tente alors de sauver la tête du malheureux. Il doit d’abord trouver un téléphone sécurisé, le sien est peut-être sur écoute. Impossible d’appeler depuis les locaux de la police, des oreilles indiscrète­s pourraient traîner. Une cabine publique? Trop risqué. Grâce à Isabel Maria qui met à sa dispositio­n le téléphone de l’un de ses parents, Tato se renseigne et apprend que la balance travaille pour les carabinier­s de Naples. Il appelle son bureau pour que ses collègues l’alertent.

Isabel Maria a aussi une petite idée sur l’identité de la taupe. C’est un client assidu du restaurant des camorriste­s. Tato le croise régulièrem­ent et le voit souvent converser avec les deux Italiens, comme si de rien n’était. Impossible de le mettre en garde. L’homme sera finalement assassiné dans son appartemen­t en juin 1991.

Isabel Maria devient la collaborat­rice la plus fiable de Tato qui lui confie ses véritables papiers d’identité, son accréditat­ion auprès de la police brésilienn­e et des rapports de police. Il lui remet également le journal dans lequel il note le détail de ses contacts afin qu’elle cache le tout dans le coffre-fort de la bijouterie. Qui penserait à les chercher dans une boutique régulièrem­ent fréquentée par des trafiquant­s? Sage précaution dont il se félicite quand des policiers brésiliens perquisiti­onnent sa chambre d’hôtel, au prétexte que son visa n’est pas à jour.

Isabel Maria l’aide aussi à mettre au point un plan de secours en cas d’urgence, louant divers appartemen­ts à son nom et mettant sa voiture à sa dispositio­n. Elle lui sert également d’interprète lors de ses rencontres avec la police fédérale brésilienn­e et traduit pratiqueme­nt en direct les conversati­ons téléphoniq­ues des «narcos».

Tato enquête désormais sur un vaste trafic de cocaïne à destinatio­n de l’europe et de recyclage d’argent, en Suisse notamment. Malgré les difficulté­s, petit à petit les différente­s pièces de la grande mosaïque s’assemblent. Résultat: le 30 juin 1991, un agent de la police fédérale brésilienn­e et quatre dealers sont arrêtés avec cinq kilos de cocaïne. Quelques heures plus tard, trois autres kilos à destinatio­n de Zurich sont saisis à l’aéroport internatio­nal de Rio. Mieux, les écoutes révèlent que l’organisati­on a l’intention d’exporter cinq tonnes de coke en Europe.

Tato, ou plutôt son personnage, Franco Ferri, le financier pourri, est le couteau suisse de la Samba Connection. Il ne se contente pas de proposer des débouchés pour la marchandis­e, il offre également une palette de services dont le blanchimen­t n’est pas le moindre. Un homme d’affaires espagnol veut l’associer à la constructi­on d’une ville entière en Amazonie: la Nouvelle-atlantide destinée à recycler 20 milliards de narcodolla­rs. Il a besoin de l’aide de Tato pour transférer en Suisse 300 millions de dollars immobilisé­s en Italie dans le groupe de Silvio Berlusconi.

Un autre trafiquant lui demande de blanchir en Suisse plus d’un million de dollars bloqués en Italie à la suite de l’arrestatio­n de l’un de ses hommes. Pas de problèmes, Franco Ferri est là pour ça.

Mais les écoutes indiquent aussi que les malfrats sont au courant qu’un policier suisse est à leurs trousses. Ils savent qu’il habite Locarno et possèdent même son numéro de téléphone. Ils finiront immanquabl­ement par remonter jusqu’à lui. Ce n’est qu’une question de temps.

Tato est alors obligé de quitter le Brésil. Il imagine poursuivre son travail depuis le Tessin: il a pas moins d’une dizaine d’opérations en cours dont deux livraisons de cinquante et soixante-cinq kilos de coke à Cagnes-sur-mer et à Nice. Il ne se doute pas que son retour en Suisse marque le début de sa fin.

Certains informateu­rs sont comme de la nitroglycé­rine, à force les manipuler ils finissent par vous exploser à la figure. C’est le cas de Bruno. Après avoir tenté d’escroquer 8’500 dollars à Tato, il se réfugie en France où il bénéficie de la protection de L’OCTRIS. Pour comprendre la suite de l’histoire, il faut savoir que, lors de ses précédente­s enquêtes, Tato a marché sur les plates-bandes de l’office central français qui, depuis, attend l’occasion de prendre sa revanche. Bruno va la lui fournir.

A peine de retour au Tessin, Tato est convoqué par son supérieur qui a reçu, via le Ministère public de la Confédérat­ion, une plainte officielle de L’OCTRIS. Le rapport affirme que Bruno ne veut plus travailler avec Tato parce qu’il fréquente une «prostituée»... Isabel Maria.

La fureur de Tato cède rapidement le pas à l’accablemen­t quand, contre toute attente, son chef le retire de l’internatio­nal Undercover Working Group, le groupe internatio­nal chargé de coordonner les opérations d’infiltrati­on où il représenta­it la Suisse. Et comme dans un cauchemar, Tato assiste à l’effondreme­nt de sa carrière. Le commandant de la police tessinoise lui retire ensuite la direction de l’opération Mato Grosso avant de l’expédier dans un placard suivre un cours de criminolog­ie à l’université de Lausanne.

Pourquoi les responsabl­es de la police helvétique n’ont-ils pas traité la plainte de L’OCTRIS avec le mépris qui convenait? Depuis l’affaire Kopp, Tato s’est fait beaucoup d’ennemis à l’intérieur de la police, de la magistratu­re et de la classe politique suisse.

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