Le cuivre de la discorde
Au Pérou, un cinquième du territoire est aux mains de multinationales actives dans l'extraction minière. Des associations de défense de l'environnement et des droits de l’homme dénoncent une pollution aux métaux lourds des sources d'eau potable avec de gr
Dans le sud du Pérou, les sommets majestueux des Andes ne peuvent qu'impressionner le voyageur. A ses pieds, à mi-chemin entre Arequipa, la deuxième plus grande ville du pays et la mythique Cuzco, ancienne capitale de l'empire inca, s'étend la florissante province d'espinar. Une région à la beauté éclatante, à la population aimable et … riche de sa mine de cuivre. Propriété de l’entreprise anglo-suisse Glencore-xstrata basée dans le canton de Zoug, cette exploitation à ciel ouvert à plus de 4'000 mètres d'altitude, communément appelée «Tintaya-antapaccay», ne fait pourtant pas le bonheur de tous.
« Auparavant, nous possédions du bétail en grande quantité, mais, depuis que l'entreprise a commencé ses activités, nous n'avons cessé de nous appauvrir, notamment à cause de la présence de métaux lourds » , assure Melchora Surco, représentante de l'association Adepami qui dénonce depuis presque 34 ans les atteintes à l'environnement et à la santé des 30'000 habitants du district de Yauri.
Une accusation que les résultats d'une étude publiée en 2013 par le Centre National de Santé Professionnelle et de Protection de l'environnement ne font que confirmer: «Au moins 180 personnes vivant à proximité du dépôt des déchets miniers auraient été exposées à des métaux lourds. Les examens médicaux ont relevé des quantités anormalement élevées de plomb, d'arsenic, de mercure et de cadmium dans leur corps.»
Les cas de cancers sont aussi plus nombreux à Espinar que dans les régions avoisinantes. «Les médecins affirment que le cancer du poumon dont souffre ma mère depuis plus d'un an et demi résulte d'une consommation régulière de l'eau de la rivière Tintaya qui contient un taux important de sélénium», détaille son fils, Ernesto C. Ramirez. Malgré l'ablation de l'un de ses poumons, l'état de santé de sa mère reste préoccupant ainsi que l'attestent les documents transmis aux gérants de la société suisse qui refusent toutefois d'endosser la moindre responsabilité.
En 2014, le professeur Honorio Pinto Herrera est monté au créneau en publiant une analyse sans concession sur l'industrie minière péruvienne, notamment sur le site d'espinar, dans une revue scientifique de l'université Nationale Majeure de San Marcos au Pérou. Dans cet article, il met en évidence les liens entre l'extraction de minerais et la contamination environnementale. En ce qui concerne précisément Espinar, l’expert démontre que la situation du complexe (construit à 4'000 mètres d'altitude, à ciel ouvert et au sommet d'un bassin versant) contribue à la pollution de l'air, des cours d'eau et des terres: «Depuis les débuts de l'activité minière dans cette province, il y a plus de 30 ans, les atteintes aux ressources naturelles n'ont jamais cessé. L'etat a été le premier fautif et la situation s'est ensuite aggravée durant les années 90 avec la vague massive de privatisa- tions du secteur minier, qui a vu différentes entreprises se succéder dans la région: Magma Tintaya SA, BHP Tintaya SA, BHP Billiton/xstrata Copper et enfin Glencore-xstrata.»
Sur place, Melchora Surco nous emmène au sommet d'une colline surplombant le gigantesque complexe minier. «Quand l'extraction a commencé dans les années 80, ils nous ont promis une vie meilleure. Ils nous ont menti, trompés, divisés et empoisonnés, enrage-t-elle. Et quand nous avons décidé d'étaler au grand jour les effets néfastes de la mine, des gens comme moi ont été marginalisés, menacés de mort et traités de fabulateurs.» L'émotion l'étreint à l'évocation de sa maison qui a failli être incendiée ou de ses enfants ostracisés ne pouvant pas s'insérer professionnellement. En fait, la direction de la mine serait parvenue à convaincre les employeurs de la région que sa famille est infréquentable et nuisible. Aujourd’hui, éreintée et malade après toutes ses années de combat, elle s'interroge sur la pertinence de poursuivre son combat …
Melchora Surco n'est pas la seule opposante à subir les foudres des défenseurs du lucratif business du minerai. La paysanne péruvienne Maxima Acuña, récente lauréate du prix Goldman pour l'environnement, lutte avec vigueur et acharnement depuis de longues années contre les nuisances de la mine d'or à ciel ouvert Yanacocha dans le nord du pays, la plus importante d'amérique latine. Elle ne compte plus les menaces, intimidations et atteintes à son intégrité. La dernière en date remonte à fin avril 2016, lorsque des individus ont tiré des salves à proximité de son domicile, sans pour autant faire de victime.
Et les choses ne sont pas près de s'améliorer, selon Ana Leyva, avocate et directrice de Coopéraction à Lima, une or-
ganisation qui promeut, d'une part la connaissance et l'exercice des droits civils, d'autre part une gestion plus durable du territoire. «L'industrie minière est une priorité économique pour le gouvernement de Pedro Pablo Kuczynski (élu le 5 juin 2016, ndlr), affirme-t-elle. Au Pérou les lois sont très souples, pour ne pas dire laxistes, à l'égard des grands groupes miniers et donc des préjudices qu'ils causent. A contrario, elles sont particulièrement rigides en ce qui concerne l'octroi de concessions aux mines artisanales dont l'impact environnemental est pourtant bien moindre. Nous savons qu'il existe des accords tacites entre les entreprises minières et les forces de l'ordre qui protègent les intérêts des premières contre de l'argent, quitte à criminaliser et à persécuter ceux qui s'opposent ou dénoncent les méfaits de ces exploitations. Les décès sont fréquents et l'impunité règne.»
Ana Leyva accuse aussi les policiers qui se rendent systématiquement coupables de violences et d'abus d'autorité. «En septembre dernier, quelques dizaines de personnes ont protesté devant la mine Tintaya-antapaccay lorsque, de manière tout à fait arbitraire, quatre personnes ont été interpellées, s'indigne Jaime Borda, directeur de L'ONG Droits Humains Sans Frontières à Cuzco. L'une d'elles a été rapidement relâchée, mais les autres ont été condamnées à six mois de prison ferme pour rébellion ainsi que coups et blessures contre des représentants des forces de l'ordre.»
Au cours des cinq ans de mandat de l'ancien président Ollanta Humala (2011-2016, ndlr), une cinquantaine de personnes auraient été tuées lors de manifestations populaires contre des entreprises du secteur minier. Outre la passivité des pouvoirs publics, c'est surtout l'attitude des autorités judiciaires qui scandalise l'acti-
viste: «La justice ne poursuit presque jamais les présumés coupables quand ceux-ci font partie des forces de l'ordre. En revanche, elle sait faire preuve d'une sévérité inouïe lorsque des manifestants sont impliqués dans des troubles».
Et d'observer, amer, que le problème majeur réside dans la posture de Glencore-xstrata qui ne reconnaît pas la contamination générée par son activité et ne tient donc pas compte des engagements signés par BHP Billiton/xstrata Copper qui devaient garantir une absence de pollution. Ce que réfute en bloc Charles Watenphul, porte-parole de la multinationale. «Nous avons contribué à hauteur de 80 millions de dollars (environ 79 millions de francs) pour mener à bien des projets qui bénéficient à environ 70 communautés de la province d'espinar. La mort des animaux dans le secteur de la mine n'est pas due aux métaux lourds, comme l'a prouvé une étude scientifique réalisée notamment dans les laboratoires de l'université de Pennsylvanie aux Etats-unis».
A l’entendre, les traces de onze métaux lourds détectées dans les sols autour d'espinar ne présentent pas un niveau de toxicité élevé et ne peuvent donc pas causer des maladies ou la mort des différentes espèces d'animaux vivant dans la région.
#Environnement
«Le taux de mortalité important du bétail résulte peut-être de pratiques inadéquates, d'une nutrition insuffisante ainsi que de carences en vitamines et minéraux», ajoute-t-il tout en précisant que des contrôles de l'air, de l'eau et des sols ont été effectués par les autorités et des institutions péruviennes, lesquelles auraient conclu que l'exploitation minière TintayaAntapaccay n'avait pollué ni les rivières ni les terres. «Bon nombre de riverains boivent de l'eau des rivières impropre à la consom- mation, relève-t-il encore. Même si nous avons offert notre aide, remédier à ce problème incombe aux autorités locales.»
Malgré une ligne de défense solide et bien structurée, Glencore-xstrata se trouve quand même dans le viseur de la justice britannique. Après des audiences préliminaires en 2016, la Haute Cour de Londres a ajourné le procès contre la multinationale. Quoi qu'il en soit, il s'agira tôt ou tard de déterminer la responsabilité du géant minier dans la violente répression des manifestants aux abords du site d'espinar, en mai 2012. Ce mois-là, après plusieurs jours d'intenses protestations, la police a tiré sur la foule tuant deux personnes, en blessant une dizaine d'autres. Les plaignants soutiennent que les forces de l'ordre ont agi sur instruction de la direction de Glencore-xstrata qui leur aurait versé des dessous-de-table pour un montant de 500'000 dollars (près de 493'000 francs).
Des accusations que rejette catégoriquement la firme zougoise par la voix de son porte-parole, Charles Watenphul: «Payer, autoriser, verser ou accepter des pots-de-vin est totalement inacceptable. Nous cherchons continuellement à prévenir ce genre de comportements à travers des programmes de formation renforcés par des procédures et des contrôles internes.»
Au Pérou, quantité de communautés vivent à proximité d'exploitations minières dont l'impact sur la santé humaine est non-négligeable. Le site de La Oroya, géré par l'entreprise Doe Run Resources Corporation, filiale du groupe américain Renco, est emblématique de cette situation puisqu'il figure parmi les endroits les plus pollués de la planète. Sise à moins de 200 kilomètres au nord-est de Lima, la ville éponyme recense un nombre particulièrement élevé d'enfants atteints de saturnisme, à l'origine de retards mentaux irréversibles.
Une autre exploitation est régulièrement pointée du doigt dans les rapports des ONG: la mine artisanale de la Rinconada. Perchée à plus de 5'000 mètres au sud-est du Pérou, non loin de la frontière avec la Bolivie, la ville construite aux alentours est considérée comme la plus haute du monde et s'avère très difficile d'accès. Les égouts tout comme les installations sanitaires font défaut, tandis que la violence, les meurtres et la prostitution infantile sont monnaie courante. « Les procédés d'extrac-
tion se font à l'ancienne. L'or extrait illicitement est ensuite légalisé par l'intermédiaire de divers processus avant d'être vendu à des pays étrangers tels que la Suisse», dénonce Jaime Borda, directeur de L'ONG Droits Humains Sans Frontières.
Invité à répondre à une série de questions relatives au rôle de l'etat dans la gestion du business minier, à l'échelon local comme Espinar et au niveau national, le ministère de l'energie et des Mines n'a pas donné suite à notre requête.
Ce sombre tableau ne semble pas décourager Raul Loayza, professeur assistant à l'université Cayetano Heredia de Lima. Dans son analyse rédigée à l'occasion de la conférence académique Objectifs du bicentenaire, il évoque «la possibilité de restreindre l'utilisation de substances toxiques comme le mercure et le cyanure en dehors des usines de traitement des minerais, de promouvoir la construction d'usines de traitement de nouvelle génération et d'officialiser celles qui existent déjà en vue de renforcer les contrôles et la gestion environnementale.» L’universitaire rappelle enfin que «des plans de fermeture d'exploitations minières peuvent être actionnés, tout comme des plans de décontamination des secteurs touchés».
Des propos qui redonnent espoir à Melchora Surco et sa famille: «Nous nous battrons pour être indemnisés de tous les torts subis et ferons pression encore et encore sur Glencore-xstrata pour qu'elle prenne les mesures nécessaires afin que nous puissions à nouveau jouir de nos terres, y faire paître notre bétail, cultiver et boire l'eau de nos rivières.»