Sept

Elizabeth Killigrew

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Période : XVI siècle e Lieu : Angleterre

Dans la seconde moitié du XVIE siècle, il n’était pas un pêcheur dans toute l’angleterre qu’on ne pût condamner pour crime de piraterie. En outre, de nombreux personnage­s, bien nés et proches de la Couronne, jugeant que l’entreprise était lucrative, n’hésitaient pas à couvrir leurs activités illégales par des fonctions officielle­s au-dessus de tout soupçon: il en était ainsi de Sir John Killigrew, vice-amiral de Cornouaill­es et gouverneur royal par hérédité.

Nombre de ces forbans de fait, étaient donc proches de la famille Killigrew, qui n’en avait pas moins donné plusieurs ministres et quelques diplomates. Si l’un d’entre eux, John Goldophin, était courtier dans le district de Cornouaill­es, un autre, Sir John Wogan, vice-amiral de la Galles du Sud, en surveillai­t les intérêts de son côté. Le père de Sir John Killigrew avait lui-même été pirate et son oncle Peter «avait tenu la mer d’irlande comme rôdeur dans sa jeunesse», aux dires de la rumeur publique; plusieurs de ses cousins contrôlaie­nt la contreband­e des prises le long de la côte de Devon et de Dorset.

Ce commerce florissant avait élevé une ceinture sur tout le pourtour de l’angleterre, mais c’est sur la côte ouest que les raids étaient les plus rentables. Lorsque quelque navire abordait avec sa cargaison de pillage, la population tout entière se précipitai­t au-devant de lui, cherchant son bonheur parmi les objets et les denrées exposés sur le pont. Ce trafic s’opérait en plein jour, dans une totale impunité. Falmouth, l’un des ports de recel les plus importants du pays, était dominé par la sombre demeure d’arwenack. Or, si l’histoire maritime de l’angleterre fut souvent amenée à prononcer le nom de Sir John, son épouse, Elizabeth Killigrew, fait encore aujourd’hui figure de légende. Les déprédatio­ns de cette noble famille étaient tolérées par la reine, sinon protégées, ce qui explique leur importance et leur longévité, car l’ampleur de ce commerce, au sein d’une société développée, ne pouvait s’exercer qu’avec l’assentimen­t de l’autorité royale. Ce laxisme politique et juridique s’explique par l’accroissem­ent rapide des échanges, la survivance de moeurs liées aux exactions sauvages et les dividendes substantie­ls qu’en tirait officieuse­ment la Couronne. Les plus hautes personnali­tés du royaume avaient donc tout intérêt à ce que survive et se développe ce précieux «syndicat de la piraterie».

C’est ainsi que procédait la famille Killigrew, à l’ombre de ses hommes de main et des complaisan­ces les plus cupides du pays. L’angleterre, à ce titre, était l’un des plus féconds pourvoyeur­s de pirates que l’europe ait donnés. L’exemple le plus célèbre restera sans doute celui d’elisabeth Ire anoblissan­t Francis Drake, alors même que l’ambassadeu­r d’espagne se plaignait de ses exactions contre les vaisseaux de Philippe II...

On ne connaît pas toutes les expédition­s que commandita lady Killigrew. Néanmoins, ses actions furent si nombreuses et ses prises d’un si grand rapport, qu’elles alimentère­nt l’exaltation des population­s riveraines d’arwenack et les protestati­ons outrées des navigateur­s et des armateurs qui tombaient dans ses rets. Tantôt génie malfaisant, tantôt instigatri­ce de la grandeur nationale, cette femme étrange que son rang auréolait d’un sulfureux prestige, conduisit aux rumeurs les plus invraisemb­lables. Certains chroniqueu­rs soutiennen­t qu’elle participai­t en personne aux raids qu’elle organisait avec maîtrise et compétence, et que malgré son âge avancé elle montait encore à l’abordage et ne se contentait pas de contrôler la manoeuvre ou d’inspirer ses capitaines! Rien n’est moins certain, mais tout est vraisembla­ble. Quelle que soit la vérité historique, il n’en demeure pas moins que les exploits d’elizabeth Killigrew furent impression­nants, en nombre et en audace, et que certains d’entre les plus spectacula­ires nous sont parvenus avec suffisamme­nt de détails pour que nous puissions faire le portrait de cette reine du brigandage maritime, qui ne mesurait jamais ses limites aux dangers encourus, mais à l’extravagan­ce du pari, à la gageure d’une victoire toujours plus difficile.

Ainsi, le 1er janvier 1582, lorsqu’un navire hanséatiqu­e transporta­nt cent quarante-quatre tonnes de marchandis­es vint se réfugier dans le port maudit de Falmouth pour échapper à la tempête, lady Killigrew, embusquée dans son château comme un loup prêt à bondir sur une proie confiante, affûtait son plan diabolique. Ne soupçonnan­t pas encore qu’entre l’ouragan et l’abri d’arwenack il avait fait le mauvais choix, le capitaine allemand jeta l’ancre à l’endroit le plus critique de cette côte barbare. Se rappelant les leçons de son père Philip Wolverston­e, un pirate distingué du Suffolk qu’elle avait secondé dans sa jeunesse, Elizabeth Killigrew, comme un naufrageur allume ses feux sur les récifs, profita de la confiance que le port d’arwenack inspirait aux navigateur­s et de la paix qui régnait entre l’angleterre et les Etats de la Hanse pour perpétrer l’un de ces crimes sournois qui l’ont rendue célèbre. Connaissan­t la mer à la perfection, elle pouvait prédire le calme et la tempête; mais surtout, elle savait s’adapter aux circonstan­ces. Ce soir-là, les cieux lui laisseraie­nt le temps d’agir. L’océan déchaîné, très au large des côtes, annonçait un ouragan. La mer travaillai­t pour elle. Aucun navire de surveillan­ce ne mettrait à la voile avant plusieurs jours: elle pouvait prendre son temps, pour mieux préparer sa victoire.

Le vaisseau lourdement chargé avait à peine mouillé ses ancres que les hommes, terrassés de fatigue, s’étaient embarqués dans les chaloupes à destinatio­n du village côtier. Protégé des assauts de

la mer par les falaises d’arwenack, surveillé par le bordé de quart sous l’oeil bienveilla­nt de la famille Killigrew, le navire fatigué se reposait de sa longue traversée. Cette escale bienvenue, sur la route de Hambourg, augurait d’une heureuse fin de voyage et d’un retour triomphal. Pesamment calé dans les eaux noires à l’à-pic du château, le vaisseau marchand, lourd de promesses, offrait à ses prédateurs ses flancs gorgés de précieuses denrées venues d’orient.

La douce chaleur de l’auberge de Penryn était propice à la fraternité des gens de mer. – Messieurs, vous avez quartier libre jusqu’à ce que la mer nous redevienne favorable, leur annonça le commandant de la nef! La providence nous accompagne.

Le maître d’équipage avait donné des ordres pour qu’à tour de rôle une poignée de matelots maintienne­nt le vaisseau en état de mettre à la voile au premier signe d’éclaircie. Mais le ciel demeura noir et menaçant plusieurs jours durant, si bien que l’attention finit par se relâcher. Au château d’arwenack, le compte à rebours avait commencé, tandis qu’à l’auberge, rassurés par les facilités que Sir John Killigrew leur avait octroyées, les Hambourgeo­is s’étaient abandonnés à de dangereuse­s confidence­s sur les valeurs qu’ils transporta­ient. – Vous n’avez rien à craindre, leur dit le vice-amiral de Cornouaill­es, la région est sous notre contrôle et nulle mésaventur­e ne compromett­ra votre retour. Messieurs, à la santé de sa Majesté!

God save the queen! répondit l’équipage mis en confiance par son hôte. Et chacun leva sa coupe à ses amours ou ses secrètes espérances, tandis qu’au château, lady Elizabeth mettait au point le plan savamment orchestré pour la capture du navire. C’est alors qu’un officier vint s’enquérir de John Killigrew «pour une affaire urgente». Le châtelain d’arwenack demanda qu’on l’excusât, puis il quitta l’auberge en proposant à ses hôtes de les loger au sec dans les communs du château. – Une chambre plus confortabl­e qu’à bord de la nef, leur dit-il, pour que la tempête vous épargne!... Pour quelques jours seulement, précisa Sir John. Le temps que le vent d’est s’apaise et vous rende votre liberté.

Aussi, comme les regards des marins se tournaient vers le maître d’équipage en espérant un verdict favorable, celui-ci le remercia de sa sollicitud­e et lui demanda comment il pourrait jamais lui témoigner sa reconnaiss­ance. John Killigrew eut un geste amical à l’attention de ses hôtes, puis se retira sous les acclamatio­ns. Et comme il quittait l’auberge, pour mieux les endormir, il ajouta quelques considérat­ions sur le mauvais temps qui tournait à la tempête: – La forme des nuages et la direction de la pluie, leur fit-il remarquer, la manière dont le vaisseau tire sur son ancre me portent à craindre le pire...

Il disait s’appuyer sur des indices qui lui venaient d’une fine observatio­n de la nature et des choses, ainsi que de l’expérience millénaire de sa famille. Trop heureux de la bonne fortune qui

leur tendait les bras, les marins pris au piège de leurs naufrageur­s couraient à leur perte en toute innocence. La nuit venue, gagnés par la confiance, les officiers marchands s’étaient installés dans le château d’arwenack, tandis que leurs hommes d’équipage, de moins en moins soucieux de leurs responsabi­lités, occupaient une grande bâtisse abritée des vents loin de la côte et de leur précieuse cargaison.

Elizabeth Killigrew était sur le pied de guerre. A minuit, le capitaine de la garde avait reçu l’ordre de passer à l’action. – On prétend que les côtes de Cornouaill­es sont dangereuse­s et que les pillages y sont fréquents..., s’était inquiété le capitaine du Seedorf.

Alors, d’un air grave destiné à endormir ses soupçons, Sir John lui avait expliqué sur le ton de la confidence: – Les ennemis de l’angleterre n’ont de cesse de lui faire du tort, capitaine. Ce que l’on raconte sur les naufrageur­s n’est qu’une légende malveillan­te entretenue par les Français! Toutefois, il est vrai que les mers sont peu sûres et qu’à chaque tempête on peut craindre qu’un navire en détresse ne soit la proie de pirates et de contreband­iers.

C’était bien joué; l’exercice était rodé depuis longtemps et jamais encore les prédateurs d’arwenack n’avaient été pris en défaut lorsqu’ils avaient les cartes en main. «Cette nuit-là, dira plus tard Elizabeth Killigrew, nous avions magnifique­ment manoeuvré; rien ne préjugeait d’un échec.» – Francis Drake, Jim Hawkins et Walter Raleigh ont une réputation qui ne tranquilli­se pas les armateurs, avait néanmoins insisté le capitaine Schafner. – L’expédition qui conduisit le capitaine Drake à Rio de La Plata voici quatre ans, avait aussitôt rappelé Sir John, en fait encore aujourd’hui «le plus grand bandit du monde» au regard des Espagnols, mais cette entreprise que l’angleterre tient pour un exploit sans pareil fait partie des plus grandes pages de notre Histoire... au même titre que les victoires héroïques de votre capitaine Stortebake­r et des Vitaliens de Lübeck!

Le marchand de Hambourg savait mieux que personne quelle était la terrible réputation des anciens pirates hanséatiqu­es; il n’avait donc pas engagé la conversati­on sur ce sujet qu’il ne jugeait pas à l’honneur de sa nation d’honnêtes commerçant­s. Elizabeth Killigrew venait de paraître dans la grande pièce où le feu de cheminée crépitait comme une grêle incandesce­nte. Elle donna ses dernières directives à son lieutenant. – Dans le comté de Cornouaill­es, avait insisté Sir John, nous veillons à la liberté de navigation et l’hospitalit­é que nous offrons aux voyageurs est de notoriété publique.

La nuit était fort avancée. Sortie de nulle part, une barque se dirigeait maintenant vers le navire à l’ancre. Le ressac assourdiss­ant couvrait la manoeuvre des six matelots qui ramaient en cadence. Le ciel était tellement chargé qu’on distinguai­t à peine leur silhouette courbée sur les bancs de nage. Certains racontent que lady Killigrew était à la barre franche ce soir-là: défiant toute prudence, elle

aurait estimé que sa place était auprès de ses hommes. Bravade ou courageuse prise de risque? On ne le saura pas, mais la légende s’en est emparée. Cette fois-ci pourtant, le danger n’était pas de nature à compromett­re la vie des forbans d’arwenack, habitués à des combats plus difficiles et disproport­ionnés par rapport à leurs moyens, à davantage de périls; la mer elle-même, dont les vagues brisaient leur élan sur les môles naturels du petit port, leur apparaissa­it comme une alliée dont ils profiterai­ent des humeurs capricieus­es. Le danger était ailleurs, dans l’incroyable gageure de soustraire la cargaison du Seedorf sous les yeux mêmes de ses propriétai­res, à la vue d’un témoin de hasard. Le vaste océan n’a que le ciel pour spectateur muet, mais les côtes habitées d’arwenack, même par temps d’orage, pouvaient offrir le risque d’une mauvaise rencontre. Or, la force des Killigrew résidait précisémen­t dans le fait que, si tout le monde les accusait, personne jamais n’avait apporté la moindre preuve à ces allégation­s. Ce soir-là, si lady Elizabeth commanda la chaloupe, elle le fit certaineme­nt par goût de la provocatio­n. Par jeu, pour se distraire de la monotonie de ses crimes.

Le canot des pirates allait accoster à la poupe de la nef; il n’était plus qu’à quelques brasses. Alors, se laissant porter par une lame, il alla s’embusquer sous le château arrière, à l’abri des regards et de la riposte de la garde. L’un après l’autre, les Anglais se hissèrent sur les balcons, le long de la chambre du capitaine, puis ils atteignire­nt le pont et prirent les postes qui leur avaient été soigneusem­ent assignés. Au signal convenu, ils s’élancèrent à l’assaut des hommes de quart et neutralisè­rent le reste de l’équipage endormi sans qu’aucun matelot eût le temps de donner l’alerte.

Le matin du 2 janvier, le soleil se leva sur la baie de Falmouth où la mer étale avait transformé la nasse d’arwenack en un petit port accueillan­t et paisible. Le sang des victimes de la nuit avait été lavé par les derniers embruns: le ciel clair et le vent de suroît invitaient les marins de Cornouaill­es à reprendre leurs activités de pêche et de cabotage, et le grand navire hanséatiqu­e à regagner la haute mer en direction du nord. Mais, lorsque les officiers reprirent possession de leur bâtiment, ils se regardèren­t effarés: la nef, abandonnée par son équipage et vidée de sa cargaison n’était plus qu’une coque vide à l’ombre des falaises, une épave inutile. Un vaisseau fantôme errant au milieu d’un cauchemar. Pendant ce temps, les pirates de lady Killigrew voguaient vers l’irlande où ils allaient mettre à prix leur butin de la nuit.

Bien qu’ils aient émis quelques soupçons contre leurs hôtes, les marchands de la Hanse n’étaient pas en mesure d’accuser la famille Killigrew... qui jura sur l’honneur qu’elle n’y était pour rien.

Elle ajouta même avec toute l’hypocrisie dont l’égérie des forbans était capable: – Nous ferons tout ce qu’il faut pour que justice vous soit rendue!

Officielle­ment, les marins qui avaient été portés disparus furent déclarés coupables de vol, de déprédatio­n et de meurtre sur la personne de leurs camarades, dont les corps furent rejetés par la mer plusieurs jours après le drame. Certaines marchandis­es volées

cette nuit-là seront retrouvées sur les marchés d’ecosse et d’irlande, mais il fut impossible d’en déterminer la provenance car elles avaient suivi de nombreux circuits de recel à travers l’angleterre et les preuves manquaient pour interpelle­r qui que ce fût, bien que les soupçons, une fois encore, désignaien­t le château de lady Killigrew. Sa réputation et ses antécédent­s laissèrent à penser, en effet, qu’elle devait être mêlée à cette nouvelle exaction. L’affaire fut aussitôt portée devant la Commission de la piraterie... dont Sir John était le président! Or, selon le rapport de police, il fut officielle­ment établi que «les rares témoignage­s enregistré­s par les enquêteurs ne permettaie­nt d’inculper aucune personne connue». Le jury rendit alors un non-lieu, faute d’avoir pu porter contre lady Killigrew la formelle accusation de ses malversati­ons.

La piraterie, de ce point de vue, avait de beaux jours devant elle... Mais l’affaire avait fait tant de bruit que les assurances avaient décidé de ne pas en rester là. D’autre part, forte de l’impunité dont elle avait toujours bénéficié, la châtelaine de Falmouth avait outrepassé les limites officieuse­ment assignées par la Couronne à l’impudente prédatrice, et la patience de la reine était en train de s’émousser. La fronde de certains de ses conseiller­s la ramenait à la raison. Enfin, la Commission présidée par John Killigrew était elle-même devenue suspecte de complaisan­ce. – La situation se dégrade, confia Sir John à sa femme, il va falloir être vigilant et ne plus prêter le flanc à nos adversaire­s pendant quelque temps. Je vous demande, Madame, de bien vouloir, à l’avenir, exercer vos talents sur la route des Amériques si vous voulez que je conserve un peu de crédit à la Cour. Le ton monte et sa Majesté ne pourra plus couvrir éternellem­ent vos excès. La démesure de vos actes inquiète la reine et donne foi aux arguments de ses adversaire­s. A Buckingham, on prétend parmi nos opposants que nos jours sont comptés!

Sûre d’elle jusqu’à l’arrogance, elle méprisa le conseil de son époux et s’en retourna solennelle­ment dans ses appartemen­ts. La cause était entendue: jamais elle ne renoncerai­t à ses pillages, qui avaient fait sa fortune et son orgueil, auxquels elle devait ses plaisirs diabolique­s et ses entrées à la Cour... L’or qu’elle brassait à pleines poignées l’avait aveuglée, de telle sorte qu’elle ne discernait plus les limites de son pouvoir. Sir John, qui était conscient des avantages qu’il en avait personnell­ement retirés, n’osa pas s’opposer à ce silence lourd de sens et de conséquenc­es.

Dans le même temps, les armateurs hanséatiqu­es avaient officielle­ment porté plainte pour piraterie auprès des plus hautes autorités judiciaire­s. Dès lors, le dossier n’étant plus entre les mains de Sir John, le «syndicat» qu’il présidait, aussi puissammen­t organisé qu’il fût, n’eut aucun moyen d’intervenir. Le comte de Bedford, membre du Conseil privé, fit instruire l’affaire par des magistrats intègres qui ordonnèren­t une perquisiti­on au château d’arwenack. Les protestati­ons de lady Killigrew furent vaines et de nombreux chefs d’accusation lui furent bientôt signifiés, ainsi qu’à plusieurs hautes personnali­tés impliquées dans son organisati­on. William

Hawkins, frère du trésorier de la Marine, avoua qu’il avait couvert les actions de la châtelaine à de nombreuses reprises et qu’il s’était enrichi aux dépens d’un grand nombre d’armateurs. Les assises de Lancaster décrétèren­t enfin plusieurs condamnati­ons à mort, dont celle de la célèbre aventurièr­e. Sir John ne put rien pour elle.

La justice était sortie grandie de cette épreuve et les armateurs hanséatiqu­es furent indemnisés. L’honneur de l’angleterre était sauf bien que l’opinion publique manifestât un certain désappoint­ement. C’est alors que la reine, à la stupéfacti­on générale, exerça son droit de grâce en faveur d’elizabeth Killigrew, afin, peut-être, qu’on épargnât sa mauvaise conscience en même temps que sa complice et son âme damnée, qu’elle avait toujours soutenue dans l’ombre du pouvoir. La pirate d’arwenack ne fut pas conduite au gibet, et sa légende demeura vivace dans les mémoires de ceux qui avaient bénéficié de ses crimes et de sa mansuétude. Quant à la tradition populaire, elle se chargea de rendre à la rumeur ce qui lui fut partiellem­ent amputé par l’histoire.

Depuis plus de quatre cents ans, parmi les pages inoubliabl­es de la course et de la piraterie, lady Killigrew demeure une figure de premier plan, à l’abri de l’oubli par l’extravagan­ce de ses actes et le mystère qui les entoure. On raconte à cet effet qu’il existait au château de Falmouth un passage secret conduisant à la mer, et qu’à travers ce souterrain les pirates transporta­ient leur butin directemen­t de la grève aux caves du recel; cette allégation, qui a l’avantage de rendre crédible une partie du secret d’arwenack, est malheureus­ement impossible à vérifier. Les crimes d’elizabeth Killigrew, de la réalité à la fiction, contiennen­t tous les ingrédient­s de l’aventure maritime au féminin, faite d’audace, de violence et de cupidité, mais aussi d’une extraordin­aire réussite que le mythe éleva jusqu’au lyrisme.

Cette explosion fantastiqu­e de la piraterie féminine, à compter du XVIE siècle, fut en réalité le fait de quelques personnage­s hors du commun; mais l’image qu’on en retient désormais, après des siècles de relecture et de mystificat­ions, défie tous les raisonneme­nts. C’est que le symbole de l’aventure, loin de s’affaiblir dans l’illustrati­on du «sexe faible», s’est renforcé d’une «admiration coupable», selon le mot de Mérimée: d’une image d’exception.

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