Sept

ACTE III, SCÈNE 1

- Entrent les journalist­es, Giuseppe Borello, Lorenzo Giroffi, Andrea Sceresini

«Ils se ressemblen­t beaucoup», assure à son tour Giuseppe Borello, l’un des journalist­es (avec Lorenzo Giroffi et Andrea Sceresini) partis prolonger sur place l’enquête du procureur frustré par des autorités vénézuélie­nnes peu réceptives. Restés un mois et demi en Amérique latine, Giuseppe et ses confrères en ont ramené une certitude: «Francesco Fasani disait la vérité. Ce qu’on a pu vérifier in situ correspond­ait à ses déclaratio­ns. Dommage qu’il soit mort entre temps…» Le Signor Carlo a bel et bien existé: de son vrai nom, Carlo Venturi, gendre d’un des plus importants constructe­urs italo-argentins du siècle dernier, Juan Barassi. Ciro, l’autre ami, travaillai­t réellement à la banque devant laquelle a été prise LA photo soumise au RIS. Le propriétai­re de la maison où l’identité de Bini est révélée à Fasani se nommait Leonardo Cuzzi, un émigré qui se faisait appeler «ingénieur Nardin» ‒ Nardin étant le diminutif de Leonardo. Quant au couvent de San Francisco, à Valencia, où Fasani et Bini se réfugient au moment où les Italiens sont pris pour cible par la population après la chute du président Pérez Jiménez en janvier 1958, l’édifice existe toujours (devenu une annexe de l’Université de Carabobo). Dans ce contexte hostile aux immigrés, Fasani rentre en Italie fin 1959… Et Bini? Est-il enterré près de Valencia? Borello, Giroffi et Sceresini, les auteurs de La seconda vita di Majorana (La seconde vie d’Ettore Majorana), paru en 2016, estiment que le premier réacteur nucléaire d’Amérique du Sud, construit en 1956 près de Caracas, est un indice en faveur de la présence du génie au Venezuela, et que Bini pourrait bien être notre personnage.

C’est avec conviction que le procureur Laviani a conclu qu’Ettore Majorana a séjourné au Venezuela entre 1955 et 1959. Par conséquent, conclut-il, personne n’a attenté à sa vie en Italie fin 1938 et il classe l’affaire N. 10442/08K en 2015. Et pourtant… Même si Fasani donne l’impression d’avoir été sincère, Bini ne semble pas être Majorana. Mais alors comment la carte postale de l’oncle Quirino a-t-elle pu se retrouver au Venezuela en 1955, alors qu’elle avait été adressée en 1920 à un certain William G. Conklin demeurant au Michigan, Etats-Unis? Retrouvée dans la voiture de Bini alors qu’Ettore n’avait pas le permis? Et pourquoi les carabinier­s demandenti­ls à Fasani s’il a remarqué une cicatrice sur la main de Bini, mais rien sur sa dentition? Sur l’unique photo où l’on voit sourire Ettore Majorana, ses dents sont noircies par le tabac. Fasani, qui l’a fréquenté deux ans durant, aurait peut-être pu manquer la cicatrice, pas cette particular­ité frappante.

Enfin ceci: dans le film L’uomo del futuro de Francesco Mazza, diffusé sur Sky le jour anniversai­re des 80 ans de la fugue du génie, le procureur Laviani revient sur la photo où Fasani pose avec Bini. «Au dos de la photo, dit-il, apparaisse­nt deux notes manuscrite­s de Fasani. Sur le bord est inscrit “Bini-Majorana” (au stylo bleu) et,

à côté (à l’encre noire), la date du “12 juin 1955”, le lieu “Valencia”, son salut et sa signature, “Chiecchino”, le diminutif de Francesco Fasani. On a examiné les deux écritures.» Pour le magistrat, le trait noir de «Chiecchino» se superpose au trait bleu de «BiniMajora­na», ce qui lui permet de déduire que «Bini-Majorana» préexistai­t à la rédaction du salut. Autrement dit, Fasani ne se serait pas créé après coup une preuve pour passer à la télévision… Nous vérifions auprès du RIS. «Je crois que le procureur se trompe, répond le colonel, en interverti­ssant l’ordre temporel d’apposition des écritures. “Bini-Majorana” est au-dessus de “Chiecchino”» L’édifice se met à chanceler, le diable comme Ettore Majorana se cache dans les détails.

 ?? ©RIS ?? La carte postale fabriquée à la main et expédiée le 12 juin 1955 par le dénommé Francesco Fasini (à gauche) à ses parents. A sa droite, Ettore Majorana, dit «Bini», lors de leur séjour au Venezuela. Au verso de cette même carte postale, écrit en noir «Tanti saluti Checcino» et «VALENCIA-12-6-55 VENEZUELA»; en bleu, «BINI MAJORANA»
©RIS La carte postale fabriquée à la main et expédiée le 12 juin 1955 par le dénommé Francesco Fasini (à gauche) à ses parents. A sa droite, Ettore Majorana, dit «Bini», lors de leur séjour au Venezuela. Au verso de cette même carte postale, écrit en noir «Tanti saluti Checcino» et «VALENCIA-12-6-55 VENEZUELA»; en bleu, «BINI MAJORANA»
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 ?? © Fonds Ettore Majorana, Domus Galilaeana ?? Carte d'étudiant 1923-1924.
© Fonds Ettore Majorana, Domus Galilaeana Carte d'étudiant 1923-1924.
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