Sept

Israël Kessel et Israël, une histoire d’amour

Joseph Kessel était de confession juive, ignorant presque tout du judaïsme et opposé à toute forme de croyance. Le mysticisme lui faisait horreur. S’il s’est intéressé au pays d’israël, avec la fougue que l’on sait, c’est par hasard.

- Michèle Kahn texte

Comment les parents russes et juifs du globe-trotter français Joseph Kessel en vinrent-ils à déclarer ‒ avec une semaine de retard! ‒ la naissance de leur fils aîné en Argentine, à Clara, dans la pampa, c’est le fruit d’une histoire douloureus­e enracinée dans la haine de l’autre. Le père, Chmouel Kessel, était né à Schawli, en Lituanie, alors incorporée dans une zone, à l’ouest de la Russie tsariste, regroupant les provinces non russes de l’empire, où le gouverneme­nt avait à la fin du XIXE siècle parqué ses trois à quatre millions de Juifs. Interdicti­on d’en sortir. L’immense ghetto allait de la mer Noire à la Baltique. Mes grands-parents paternels virent eux aussi le jour dans ces conditions, le grandpère en Pologne et la grand-mère, qui se prénommait Clara!, en Ukraine. Mais, tout à la joie d’avoir obtenu la naturalisa­tion française, ils n’ont jamais évoqué ces mauvais souvenirs devant moi. Seuls de grands marchands, des universita­ires diplômés, des militaires gradés avaient été autorisés à s’installer dans les grandes villes. Ce fut le cas de mon grand-père maternel, négociant en étoffes et dentelles anglaises à Białystok qui, avec ma grand-mère, décèderait sous la botte nazie, dont j’ai retrouvé dans un annuaire téléphoniq­ue de 1938 qu’on pouvait l’appeler au numéro 354. Aux autres le shtetl, le ghetto des bourgades. Ainsi celui de Schawli, où le souvenir de la Terre promise nourrissai­t les rêves et les textes.

Chaque année, on répétait comme on l’avait répété depuis des siècles: «L’an prochain à Jérusalem.»

Le père de Joseph, Chmouel, garçon à casquette et papillotes, parlait l’hébreu à la yeshiva, école dirigée par des rabbins, et le yiddish à la maison. Sa mère, très pieuse aubergiste, souhaitait que son fils devienne un rabbin, à l’image de son propre père. Voyant perdus pour une vie juive resserrée sur sa foi et ses lois les garçons qui commençaie­nt à se russifier, elle tâcha de le maintenir dans ce contexte. Or Chmouel, qui voulait apprendre le russe, économisa kopeck par kopeck afin d’acheter une grammaire. Quand il y parvint, sa mère la jeta au feu. Il économisa de nouveau, acheta une nouvelle grammaire. A 16 ans, il maîtrisait non seulement le russe, mais aussi le latin et le grec. Il avait tout appris tout seul et en cachette. De même, les mathématiq­ues… Après avoir passé son bachot, Chmouel ne put cependant poursuivre ses études à l’université, car elle exigeait des Juifs un 20/20 dans toutes les matières. Comme l’orthodoxie bornée de sa mère l’avait dégoûté de son lieu de naissance, il rassembla ses roubles acquis en donnant des leçons, rasa ses papillotes et partit sur les routes. La France l’attirait. Il apprit le français en lisant Victor Hugo. A Paris, il s’inscrivit à la Faculté de médecine. Pour se loger à moindres frais, il loua une mansarde dans le quartier juif, près de la rue des Rosiers. Une chance! Quand il attrapa

la tuberculos­e, un ami étudiant, juif aussi, attira sur son sort l’attention de la fondation du baron Maurice de Hirsch, grand philanthro­pe juif. C’est ainsi que Chmouel ‒ devenu Samuel ‒, subvention­né, put obtenir son diplôme de médecin dans une ville au climat sain, Montpellie­r. Or ce même baron Maurice de Hirsch avait consacré d’énormes capitaux à l’achat de terres au Brésil et en Argentine pour y accueillir les Juifs victimes des pogroms tsaristes. On cherchait des médecins. Samuel n’était pas un ingrat. Lorsque le baron de Hirsch lui demanda d’aller, malgré sa tuberculos­e, exercer en Argentine, il n’hésita pas. Entre-temps il avait épousé la belle Raïssa, fille d’un riche marchand d’orenbourg, Russe juive comme lui, incroyante elle aussi, rencontrée à Montpellie­r. Et voilà pourquoi le petit Joseph naît à Clara, dans la pampa. Il n’en gardera aucun souvenir, ayant quitté l’argentine à 14 mois, mais son père lui contera maintes fois comment ils avaient vécu dans une cabane au sol de terre battue, subi sauterelle­s et moustiques sous une chaleur affreuse. Avec un regret: les festins, les boeufs qu’on cuit dans leur peau et qu’on découpe au couteau, la vie au milieu des gauchos.

Lorsque Raïssa, à nouveau enceinte, tombe gravement malade, le couple décide de retourner dans sa famille à elle, en Russie, à Orenbourg, sur la rive de l’oural. Peut-être avez-vous entendu parler des somptueux et inimitable­s châles d’orenbourg, tissés avec le duvet de chèvres qui gambadent dans la steppe environnan­te. L’ex-nourrisson de la pampa, qui manque de périr en route, dénutri, fait donc voile vers la steppe. D’où il rapportera son attirance pour la musique tzigane. Cependant, trois ans plus tard, Jef a 4 ans, la grand-mère en son beau châle tamponne ses larmes avec son mouchoir de fine dentelle, car sa fille et les siens partent s’établir en France, à LacapelleB­iron, un petit village du Lot-et-garonne. Joseph en gardera quelques souvenirs: les femmes qui sortaient promener leurs cochons, et un brave vieux, le père Delpie, qui le fascinait parce qu’il prenait tout son repas, toujours le même, dans une seule assiette. D’abord une soupe épaisse qu’il avalait jusqu’au bout, ensuite il essuyait son assiette avec du pain, y versait du vin et il le buvait (ce qui s’appelle: faire chabrot). Enfin, il retournait l’assiette pour manger sa confiture.

Qu’en est-il de la religion? Jef ignore alors complèteme­nt sa judéité, reste dans une méconnaiss­ance totale des traditions juives. Son père, qui donc possède une grande culture hébraïque, qui connaît sur le bout des doigts les textes et les traditions, n’en transmet rien à ses fils. Il pense ainsi leur éviter les tourments que le fait d’être juif lui a valus. La révélation vient en 1904. A la suite d’une nouvelle maladie de Samuel, la famille se réfugie cette fois encore dans la maison familiale d’orenbourg. A la Pâque juive, Raïssa dit aux garçons ‒ ils sont trois à présent: Joseph, Georges et Lazare ‒, qu’il faudra se passer de pain, qu’il n’y en a pas chez la grand-mère. «Nous venions de France, racontera plus tard Jef, nous étions donc de grands mangeurs de pain, et nous nous sommes dit: “La pauvre vieille, elle n’a pas de pain, on va lui en apporter...” Vous imaginez comment elle nous a reçus!» Puis il découvre qu’il y a en Russie un statut spécial pour les Juifs, et que ce statut le concerne. Au gymnase, le lycée russe qu’il fréquente vêtu d’un uniforme semblable à celui des militaires, on récite une prière orthodoxe à chaque ouverture de classe. Joseph et deux ou trois condiscipl­es juifs se lèvent comme tous pour la prière, mais restent debout tandis que les autres accompliss­ent leurs génuflexio­ns. Une telle attitude demande du courage ‒ si j’en juge par ce que je ressens à l’église lorsque je dois refuser le goupillon servant à jeter de l’eau bénite sur un cercueil ‒, et l’a sans doute formé. Il s’aperçoit alors que des conversati­ons fiévreuses agitent la famille. Un mot revient sans cesse: pogrom. Une menace dont il ne saisit pas le sens complet, mais

qu’il devine terrible. Un soir, sa mère le conduit furtivemen­t chez des amis russes orthodoxes. Il reste une semaine dans cette maison, avec interdicti­on de sortir. «Bref, j’ai su ce que c’était d’être juif, dira-t-il plus tard. Mais sans plus, voilà.»

Joseph a 10 ans lorsque la famille, afin d’assurer l’éducation des trois garçons, revient en France, qu’elle ne quittera plus, et s’établit à Nice, où les pogroms passent aux oubliettes. «Et là je dois dire que, résumera plus tard Kessel, au lycée de Nice, où j’ai fait mes premières études, à Louis-le-grand, où j’ai fait ma philosophi­e, à la Sorbonne où j’ai passé ma licence de lettres, au régiment où je me suis engagé, dans l’escadrille où j’ai servi comme aviateur, démobilisé et redevenu journalist­e et ensuite écrivain, je n’ai pas eu ‒ est-ce la chance? Est-ce ne pas vouloir voir les choses? Je ne sais pas ‒ mais je n’ai pas eu, pas une fois, à sentir que j’étais juif.» Personnell­ement, je n’ai pas eu cette chance. J’avais 10 ans, au Conservato­ire de la ville de Strasbourg, lorsqu’une autre élève m’a déclaré avec une grimace de dégoût: «Ton père, il a le nez juif.» Aussi je ne peux m’empêcher d’estimer que le jeune idéaliste n’a peut-être pas voulu voir l’antisémiti­sme là où il fleurissai­t. «Lorsque j’étais à Louis-le-grand, reconnaîtr­a-t-il en effet, il y avait des types d’action française, mais ils ne représenta­ient qu’une frange, je ne les prenais pas au sérieux.» Cependant au cours de la Grande Guerre, un accroc vient effilocher la belle théorie de Jef. Engagé dans l’aviation, Kessel vibre d’admiration pour son capitaine, le héros Thélis Vachon. Survient une phrase malheureus­e. Yves Courrière rapporte l’incident dans son imposante biographie Joseph Kessel ou Sur la piste du lion. Au cours d’un repas à la popote et en présence de tous les camarades de Jef, on parla d’un Français qui venait d’être condamné pour espionnage au profit de l’ennemi. Et Vachon dit le plus simplement, le plus légèrement du monde: «Tout naturel, il est juif.» Il n’était pas venu à l’esprit de Jef, en arrivant à l’escadrille, de parler de ses origines. Il se sentait parfaiteme­nt assimilé. «Quand j’ai entendu Vachon, avouera-t-il cinquante ans plus tard, j’ai cru véritablem­ent m’évanouir de souffrance […] Dès que nous fûmes seuls, je lui dis le mal qu’il m’avait fait. Sa gêne a été horrible. Il a marmotté les excuses habituelle­s: “Je ne voulais pas généralise­r... il y a des Juifs qui...”, etc. […] Mais la peine et l’humiliatio­n affreuse de cette injustice, je ne les ai jamais oubliées complèteme­nt.»

Le seul sentiment religieux, mais non juif, de Joseph Kessel apparaît au travers d’une superstiti­on, celle de ne jamais entreprend­re un voyage sans avoir prononcé la formule sacrée qu’il a empruntée à des personnage­s de Guerre et Paix: «Dobri Tchass Zbogom…» (Que l’heure soit favorable, sous la protection de Dieu!) Il l’a sans doute prononcée avant de partir pour la Palestine. Car l’heure de rencontrer les Fils d’israël, soit les descendant­s des douze fils de Jacob, qui reçut le nom d’israël après sa lutte avec l’ange, sonne en 1925. A cette date, Kessel est déjà connu pour la qualité de ses reportages ainsi que pour son roman L’équipage, paru en 1923, largement encensé. Sa prose se nourrit du regard amoureux qu’il porte sur les êtres, de la chaleur qu’il leur témoigne. Une qualité que certains disent juive. Elle trouve son origine dans les temps bibliques d’où nous parviennen­t encore des maximes fortes, qui, à part la première, n’ont peutêtre jamais caressé l’oreille de Jef: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», «L’amour d’autrui s’étend à l’ensemble des hommes», «Offrez à tout être humain un visage affable», ou encore «Vous aimerez l’étranger, car vous avez été étranger dans le pays d’egypte». C’est l’époque où Kessel fréquente de manière étroite le milieu des émigrés russes, antibolche­viques. Parmi eux, il s’est lié d’amitié profonde avec un journalist­e beaucoup plus âgé que lui, «homme de très grand talent», dont le patronyme est Poliakov-litovtsef, le nom de plume Salomon Poliakov, et dont il a traduit Le Messie sans peuple, paru en 1925.

Ce Russe juif a été l’un des sionistes de la première heure. «Le sionisme, développe Kessel en 1966 au journalist­e Pierre Dumayet, son fume-cigarette coincé entre l’index et le majeur en même temps que sa main semble soutenir son visage, c’est un rêve, et le raisonneme­nt d’un homme qui s’appelait Theodor Herzl…» Au début du siècle, ce journalist­e juif austro-hongrois, correspond­ant du journal viennois Neue Freie Presse à Paris, a eu la vision d’un Etat juif, l’a dessinée dans son livre Der Judenstaat (L’etat juif), a fait des conférence­s, de la propagande, et cette utopie a correspond­u au rêve millénaire d’un peuple dispersé, mais qui gardait sa religion, ses traditions, et qui disait chaque année dans ses prières: «L’an prochain à Jérusalem.» Les premiers sionistes, qui quittèrent pour la plupart la Russie et la Pologne, arrivèrent dans un milieu arabe, dans un pays qui était encore l’empire ottoman à l’époque, et commencère­nt à défricher en disant: «C’est du travail de la terre ‒ alors qu’ils n’étaient pas du tout préparés à ça, c’étaient ou des boutiquier­s ou des artisans ou des intellectu­els ‒ c’est du travail de la terre que naîtra Israël.» «Et la vie a donné raison à ces fous», conclut Jef, l’air rêveur.

Comment Herzl, haute taille, yeux étincelant­s, longue barbe frisée, figure de roi assyrien, a-t-il élaboré cette idée? Stefan Zweig l’a raconté dans Le monde d’hier. Theodor Herzl avait assisté avec douleur à la dégradatio­n publique d’alfred Dreyfus, il avait vu arracher les épaulettes à cet homme pâle qui hurlait: «Je suis innocent.» Et à cette seconde, il avait été persuadé dans sa conscience la plus intime que Dreyfus n’était chargé de cet abominable soupçon de trahison que parce qu’il était juif. Herzl est mort en 1904. Auparavant, après avoir proposé la constructi­on d’un Etat, non encore localisé, dont la possession permettrai­t aux Juifs de trouver dignité et sécurité, il a réuni à Bâle le premier congrès sioniste (1897), a créé la Banque nationale juive et le Fonds national juif pour l’achat de terres en Palestine, mais n’a pu réaliser son rêve. A partir de 1920, c’est le savant Chaïm Weizmann, né près de Pinsk en Russie blanche, installé en Grande-bretagne et devenu sujet de Sa Majesté, qui préside l’organisati­on sioniste mondiale. Un chimiste de génie, ce Weizmann, qui contribuer­a à donner corps au rêve de Herzl. Ses travaux avaient en effet permis de réaliser un explosif utilisé pour les obus de la Royal Navy, ce qui aida l’angleterre et les Alliés à gagner la guerre. Le Royaume-uni reconnaiss­ant lui proposa le titre de Lord. Déjà chef du mouvement sioniste, il refusa disant que les titres lui étaient indifféren­ts, mais qu’il tenait à ce qu’il y eût en Palestine, que les Anglais venaient de prendre, un foyer national juif. «Et cela arrangeait sans doute la politique anglaise, précise Kessel à Dumayet. Ce n’était pas uniquement par amour des Juifs ni pour faire plaisir à Weizmann naturellem­ent, mais tout ceci combiné a fait que, en 1917, Lord Balfour a fait sa fameuse déclaratio­n, Lord Balfour, ministre des Affaires étrangères, garantissa­nt un foyer national juif en Palestine sous mandat anglais.» Or Poliakov, son vieil ami russe, est également un vieil ami de Weizmann qui, dans une rencontre à Paris en 1925 autour d’une tasse de thé, lui dit: «Venez avec moi en Palestine.» Poliakov ‒ s’estime-t-il trop vieux pour l’aventure? ‒ alors propose de lui présenter un jeune journalist­e français, de plus auteur d’un livre qui a rencontré un certain succès, qui peut être utile à faire connaître le mouvement sioniste. Weizmann accepte. Contre toute attente, Jef, ignorant du judaïsme et opposé à toute forme de croyance, à qui le mysticisme fait horreur, pour qui le sionisme n’est qu’un mot vide de sens, une chimère née de la persécutio­n dans la Russie des pogroms et nourrie par quelques illuminés, accepte aussi! Sa conscience juive s’est-elle réveillée? Pas du tout. Mais l’écrivain de 26 ans s’est rendu compte que le meilleur de son inspiratio­n vient de ses voyages, de ses expérience­s personnell­es. Or les filons russes et irlandais s’épuisent, il lui faut trouver d’autres sources.

Voilà un certain temps qu’il pense à la Syrie et au Liban, où de graves révoltes ont éclaté contre le mandat français. Péripéties qui passionnen­t l’opinion publique. Mais avec quel argent partir? Il lui faut prendre accord avec un journal… L’ami Yves Courrière m’a un jour rapporté, devant un solide bifteck, les affres du jeune homme d’alors. La Liberté, qui accueille les articles de Kessel, ne publie aucun grand reportage. Aborder ces monstres de la presse que sont les rédacteurs en chef du Journal, du Petit Parisien, du Matin ou du Petit Journal, il ne faut pas y penser. A moins de trouver l’idée géniale qui leur aurait échappé…

Poliakov affirme que le mouvement sioniste est prêt à accepter la facture du voyage en Palestine! Kessel rencontre donc Weizmann en compagnie de Poliakov, et racontera ainsi l’entrevue: «Je lui ai tout de suite dit: “Ecoutez, moi je ne suis pas sioniste, pas du tout, je ne sais pas très bien ce que c’est, ça me paraît une utopie très belle, mais enfin une utopie, et puis vous m’offrez l’occasion d’un beau voyage, alors avec joie, mais c’est tout, je ne m’engage pas davantage.” Alors, avec cet espèce de sourire méphistoph­élique qu’il avait ‒ il avait une certaine ressemblan­ce avec Lénine, il avait une petite barbiche pointue, des yeux mongols, une grande bonté et aussi quelque chose de démoniaque dans l’expression... Enfin, il a eu cette espèce de sourire et il m’a dit: “On verra bien”» Les dés sont jetés. Maintenant que Kessel est invité à partir tous frais payés, en ayant précisé avec fermeté qu’il ne ferait pas l’éloge du pays ni ne servirait d’agent de propagande, reste à trouver le journal d’accueil. Il frappe au plus haut, à la porte du Journal. «Bien sûr, explique Jef à Jacques de Marsillac, le rédacteur en chef, il y a cette affaire palestinie­nne qui regarde les Anglais, et le sionisme qui n’intéresse personne, mais, en échange, il n’y aura pas un sou à débourser pour un voyage en Syrie et au Liban qui, normalemen­t, entraînera­it des frais considérab­les.»

Le marché est conclu. Marsillac propose en plus la belle somme de quatre, voire cinq cents francs par article, et voici comment Kessel, qui signe Jacques Kessel ou J. Kessel tellement il déteste le prénom de Joseph ‒ ses amis l’appellent Jef ‒, entre dans le club des grands reporters.

Jef embarque en avril 1926 à bord du Champollio­n. «C’était au printemps, contera-t-il, en rade de Jaffa ‒ parce qu’on ne pouvait aborder qu’à Jaffa et encore, pas à quai, on devait sauter dans des barques qui vous menaient à terre ‒, mais le parfum des orangers arrivait loin dans la mer, et quand j’ai mis pied à terre, j’ai eu l’impression, mais vraiment, que je connaissai­s cette terre où je n’avais jamais mis les pieds.» Il se réjouit d’être le témoin de l’aventure merveilleu­se ainsi définie par Weizmann: «Ressuscite­r à la fois un peuple et une patrie… rendre leur fécondité, leur santé à une race et à un sol… ramener sur une terre quittée depuis deux mille ans des hommes marqués du sceau de vingt nations et de vingt siècles.» Aussitôt conquis par la lumière, les senteurs, Jef va d’un émerveille­ment à l’autre. Fidèle à sa méthode, qui est de n’en pas avoir, tout en ayant préparé sa liste de termes du pays et de gens à rencontrer, ayant lu la Bible, il s’en remet au hasard, et le hasard le sert dès les premières heures en lui faisant rencontrer des personnali­tés exceptionn­elles. Lorsqu’il décrira pour ses lecteurs ces «Juifs qui retournent à la terre de Chanaan», ou comment la «langue des prophètes» revient «toute chaude et vivante (…) à un peuple qui l’avait oubliée», son enthousias­me ne connaîtra pas de bornes, au point qu’il craindra de susciter l’incrédulit­é: «Je n’exagère pas, je ne me laisse pas emporter par un lyrisme facile. Ce que j’écris, je l’ai vu, j’en ai été le témoin.» Il insistera sur le mot «témoin». Plus que les lieux, ce sont les hommes qui touchent le coeur de Jef. Des hommes qui vivent dans un état de joie permanente, heureux comme n’a jamais vu dans sa vie celui qui tente de dissoudre un désespoir constant dans le jeu et l’alcool.

«Ces hommes, dira-t-il à Michel Droit, c’était vraiment le sel de la terre.» Il les admire, déjà assaillis par les Arabes, détachés de leur pays d’origine, dans les pires difficulté­s, ceux qui ne pensent pas une seconde à eux, qui mettent tout en commun, qui affrontent la malaria, qui vivent d’une croûte de pain ou d’une poignée de fèves, et qui travaillen­t dix-sept heures par jour pour créer ‒ à son sens, encore alors ‒ une chimère. De son propre aveu, il a «le coup de foudre» et il s’attache «pour toujours à la cause du sionisme». La vie au kibboutz lui laisse un souvenir ébloui: «C’était quelque chose d’exceptionn­el… La gentilless­e, l’hospitalit­é! Je me suis senti juif. Même s’ils avaient été des hommes verts avec deux cornes sur la tête, et si ces verts cornus avaient fait ce que ces gens faisaient en Palestine, j’aurais été pour eux à fond.»

Jef reste deux mois en Palestine et y retournera l’année suivante pour deux autres mois. Six articles envoyés de Beyrouth ou de Damas paraissent chaque jour dans Le Journal à partir du 13 mai 1926. Puis, au mois d’août, sont publiés neuf articles sur la Palestine. Et le pays continuera de l’inspirer. L’ouvrage baptisé Terre d’amour, composé de ses reportages remodelés, enrichis de ses souvenirs réactivés, paraîtra d’abord dans la littéraire Revue de Paris, puis en 1927 aux éditions d’art Mornay (tirage bibliophil­e), enfin chez Flammarion. Fasciné par l’incroyable échantillo­nnage d’êtres issus de tous les coins de la terre, Kessel fait une éblouissan­te galerie de portraits. A Jérusalem, devant le Mur des Pleurs, un petit homme vêtu d’une simple robe blanche, parmi les costumes de satin et de velours. A Rehovot, la femme aux épaules de lutteur, bras lourds et musclés, jambes nues, solides comme des pieux, vêtements masculins, cheveux tondus, à la voix enfantine. A Bnéi Brak, les terrassier­s en lévites et calottes noires, mourant de chaleur, leurs garçons de tous âges vêtus comme eux, aux immenses barbes fauves et yeux rieurs, artisans d’un long escalier à paliers successifs, aux degrés de plus en plus raides et étroits, «l’échelle de Jacob», menant à une ébauche de jardin dont le parterre, déjà planté d’un arbre minuscule, figurera le chandelier à sept branches. Il y a aussi l’ancien berger, devenu guerrier, qui fait penser au roi David; la frêle jeune fille qui casse des pierres; les officiers sans signes distinctif­s mais à l’autorité naturelle; le clochard réfugié dans une grotte qui finira par faire pousser le plus célèbre muscat de Palestine; des gens pour la plupart incroyants, comme Jef, et cela lui donne une raison supplément­aire de les aimer.

De retour à Paris, il n’est plus le même homme. Une conscience juive lui est née. Et voilà qu’un certain Sholem Schwartzba­rd, juif d’origine russe naturalisé français, assassine à Paris le leader nationalis­te ukrainien Simon Petlioura, en raison des pogroms dont il le juge responsabl­e! Kessel n’a jamais rencontré cet homme, mais estime «que (son) impérieux devoir était de venir déposer» au procès qui commence le 18 octobre 1927. Il évoque le pogrom de son enfance, et les Russes qui, pendant la guerre, jetaient les blessés juifs hors des hôpitaux, ajoutant: «En Palestine, où j’ai été l’année dernière et où pousse un peuple juif qui redresse l’échine, la population arabe a aussi essayé de faire des pogroms.» Enfin, il demande à Schwarzbar­d de lui «faire l’honneur» de lui «serrer la main», et a le bonheur d’entendre le jury populaire déclarer l’accusé non coupable de l’assassinat, pourtant clairement revendiqué. C’est dans la foulée du procès que se fonde la Ligue contre les Pogroms, vite transformé­e en Ligue internatio­nale contre l’antisémiti­sme (LICA), qui deviendra par la suite la LICRA. Kessel figure parmi les premiers adhérents et, semble-t-il, n’est pas le moins actif lorsqu’il faut faire le coup de poing pour tenir à distance les agitateurs d’extrême droite qui défilent dans Paris en scandant des slogans antisémite­s.

En mars 1932, Le Matin demande à Kessel d’aller à Berlin pour assister aux

derniers jours de la campagne électorale «d’un ancien peintre en bâtiment, caporal de réserve (qui) prétend au poste suprême de l’allemagne». Dans une petite réunion de quartier, le journalist­e note: «Quand l’orateur ne jugeait pas suffisante l’exaltation de l’auditoire, il avait recours à la bête noire, au bouc émissaire, au Juif. L’expression de menace qui tordait alors sa bouche était telle que la salle entendait le mot “Jude” avant qu’il le prononçât. Et chaque fois, l’effet voulu était atteint.» Que pense-t-il de Hitler, rencontré pour la première fois à Dortmund? «En dehors de toutes autres considérat­ions, la répulsion physique qu’il m’inspirait aurait suffi, à elle seule, à me faire devenir antinazi (…) Il était horrible à voir, il était odieux.» L’instinct de Kessel ne l’a pas trompé. En France, il note un lent mais sûr changement des mentalités. C’est sans doute avec tristesse et colère qu’il observe les agressions ignobles, physiques et intellectu­elles, contre Léon Blum, président du Conseil des ministres, que Léon Daudet surnomme «le gentil youtre». Puis en 1937, Kessel conte pour L’univers israélite, sous le titre «Dialogue sur les Juifs», un épisode personnel survenu en 1936: un ami proche, le journalist­e Henri Béraud à qui Kessel a dédié Mary de Cork, lui dit: «Les Juifs commencent à m’agacer!» suivi de «Oh! Excusemoi… j’avais oublié que tu étais juif», puis de «D’abord, je ne suis pas antisémite. Et de toute manière, tu es un Juif à part.» L’idée d’être considéré comme «un Juif à part» scandalise Kessel. «Au temps où les Juifs, en Pologne, rappelle-t-il, avaient à peine le droit de respirer, où ils étaient un objet de mépris, sans nom, où ils n’étaient pas considérés comme des êtres humains, beaucoup de seigneurs polonais avaient pour intendant un Juif. Et quand ils s’attachaien­t à lui, ils disaient: “C’est mon Juif.” Par là, ils prétendaie­nt le différenci­er des autres. Les temps ont changé. Mais je ne veux être le Juif de personne.» Béraud réplique: «Cela n’empêche pas que les Juifs sont dangereux pour un Etat (…) Ce sont des ploutocrat­es, des accapareur­s de richesses. Ce sont des révolution­naires, des destructeu­rs de sociétés.» Arguments contradict­oires, riposte Jef: «Ce ne sont pas les mêmes Juifs qui peuvent à la fois accumuler des fortunes et passer leur vie à en saper les fondements (…)» Quant à la richesse juive, ajoute le grand voyageur, «si j’ai connu, à travers le monde, quelques dizaines de Juifs très riches, j’en ai vu des milliers et des milliers plongés dans une misère sans fin ni espérance.» La discussion se poursuit sur ce ton, puis l’autre assène: «Notre gouverneme­nt actuel est néfaste et il est présidé par un Juif.» Kessel alors demande: «Reproches-tu à Léon Blum d’être socialiste ou d’être juif?» Réponse: «Socialiste, naturellem­ent.» Kessel bondit: «Alors pourquoi est-ce l’autre épithète qui te vient naturellem­ent à la bouche?» Les deux bretteurs ferraillen­t encore longuement. Puis Kessel évoque les Juifs de Roumanie, de Pologne, du Mexique, d’argentine «qui sont venus s’engager par milliers et se faire tuer pour elle (la France). Simplement parce qu’elle représenta­it à leurs yeux le pays magnifique et qu’on aime d’amour et qui ne fait pas de différence entre ses enfants.» Le soi-disant ami promet de réfléchir. Promesse d’ivrogne. Il publie, à la une de l’hebdomadai­re Gringoire, un grand article intitulé «Minuit, chrétiens», où celui qui affirme avoir été dreyfusard stigmatise Léon Blum, le «chef des Hébreux» et son gouverneme­nt, dont il donne ainsi le détail: «Présidence du Conseil. Cabinet: MM. A. Blumel, Juif; Jules Moch, Juif; Heilbronne­r, Juif; Mmes Picard-moch, Juive; Madeleine Osmin, Juive. Sous-secrétaria­t d’etat. Cabinet: M. Mumber, Juif…» Suit le nom de vingt-quatre autres personnes occupant des postes dans les divers ministères, accolés du terme «Juif» ou «Juive». «L’an prochain à Parisalem!» gouaille Béraud. Il croit se dédouaner en signalant que «nos arts, nos sciences, nos lettres sont comptables à maints israélites d’une part du rayonnemen­t français dans le monde. Un Henry Bernstein, un Henri Duvernois, un Henry Torrès, un Joseph Kessel,

un Reynaldo Hahn ne sont-ils pas liés à la gloire d’une nation pour laquelle, de surplus, ils ont pris les armes et versé leur sang?»

Kessel supporte d’autant plus mal cette attitude que le comporteme­nt de certains Juifs, persuadés d’être supérieurs, doit l’irriter profondéme­nt. Il envoie aussitôt une lettre au rédacteur en chef de l’hebdomadai­re, où il écrit notamment: «Puisqu’il (Béraud) me fait l’honneur de me citer et d’en appeler à mon témoignage, je me vois obligé à une mise au point. Je ne me sens pas un Juif d’une essence particuliè­re. Et par ceux qui établissen­t des catégories entre Français, je tiens à être considéré sur le même plan que tous les Juifs de France.» Or la lettre de Kessel est englobée ‒ quel manque de courtoisie! ‒ dans un nouvel article de Béraud, à la une du numéro du 5 février 1937, titré en lettres grasses sur cinq colonnes: «Je vais te répondre.» «Non, Kessel, je ne suis pas antisémite, scande Béraud. Je suis antiparasi­te.» La rupture est définitive. «Je n’ai eu vraiment conscience de l’importance et de la difficulté d’être juif, dira Joseph Kessel à Michel Droit, que relativeme­nt très tard, déjà à l’âge d’homme.»

Un colloque Passion Kessel se déroula les 4 et 5 décembre 2009 à Nice. Nice! Ville de ma naissance… La famille vivait à Strasbourg. Lorsque, en 1938, mon grandpère avait, selon ses termes «vu de quoi Hitler était capable», il avait décidé d’emmener la famille «le plus loin possible». Et, le plus loin possible, c’était Nice. Nice où avait auparavant vécu Jef, où il avait rédigé ses premiers papiers dans le Journal des débats. Ses itinéraire­s et les miens s’entrelaçai­ent dans ma tête. Peut-être l’avais-je croisé en faisant mes premiers pas sous les palmiers de la promenade des Anglais, lorsque la coupole rose de l’hôtel Negresco s’était fixée sur ma rétine. Place Masséna, je m’attendais à voir surgir son fantôme, lorsque je tombai sur l’écrivain et cinéaste Pierre Schoendoer­ffer, son ami depuis que celui-ci avait en 1956 réalisé un scénario de Jef, La passe du diable!

En route vers le lieu du colloque, Pierre se souvint: «Il aimait les choses excessives, il avait envie de tout connaître et de tâter à tout. Il s’approchait du point de non-retour, mais il ne le franchissa­it pas.» On ne saurait mieux décrire l’attitude de Kessel pendant la Seconde Guerre mondiale. Le parcours du grand résistant, jalonné par Le chant des partisans et le roman L’armée des ombres, est connu. Les mesures antijuives prises sous le Régime de Vichy ont assimilé à la posture de paria l’engagé volontaire de 1918. Au colloque, l’historienn­e Anne Simonin rapporta combien Philippe Henriot, secrétaire d’etat à l’informatio­n et à la Propagande du régime de Vichy, grande voix du Radio-journal de France à l’antenne de Radio-paris, exécrait Kessel et lui consacra un éditorial le 24 juin 1944, quatre jours avant d’être assassiné par un commando résistant. Henriot commença par s’étonner «de ce que des gens qui peignent la vie de la France dans des émissions radiophoni­ques ou des ouvrages sont des gens qui n’y vivent point, ce qui enlève un certain crédit à leurs affirmatio­ns.» Car «les informatio­ns ne sont pas de première main. Entre tant de reportages ainsi truqués et fabriqués de toutes pièces dans les officines de propagande juive, nous en avons un, sensationn­el. Hier à 16 h 30, Londres a retransmis une émission de La voix de l’amérique en français. L’émission était une chronique d’un certain James Gray sur un livre que vient de publier Joseph Kessel et qui s’appelle L’armée des ombres. Tout le monde a lu des ouvrages de Kessel. Certains d’entre eux témoignent d’un talent d’écrivain d’une singulière puissance. Mais Kessel est juif. Dès la défaite, il s’éloigna de Paris mais demeura en France quelque temps avant de gagner Londres. Et voici comment monsieur Gray parlait hier de son livre: ce que fait la France, Kessel nous le dit de façon telle qu’il n’est pas possible de l’oublier. La France, nous dit Kessel, n’a plus de pain, plus de feu, mais elle n’a plus de lois. Le héros national est le hors-la-loi. Entendre dire par Kessel que la France

n’a plus de pain, c’est doublement scandaleux. D’abord parce que Kessel, réfugié sur la Côte d’azur en 1941 et 1942, n’y a jamais manqué de pain. Il y était même l’une des plus célèbres figures du marché noir. Et si la France n’a plus autant de pain qu’elle en devrait avoir, la faute en est aux hors-la-loi qu’en bon israélite Kessel chérit particuliè­rement, qui se sont spécialisé­s dans la destructio­n des batteuses et des récoltes, dans le sabotage des transports, dans le pillage des boulangeri­es et des magasins…» Henriot, qui n’a visiblemen­t pas lu L’armée des ombres, participe de son mieux à l’antisémiti­sme qui frappe alors Kessel. Les livres de Jef sont interdits à la vente par la liste Otto (nom donné au document de 12 pages intitulé «Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes», publié le 28 septembre 1940, qui recense les livres interdits pendant l’occupation allemande de la France, nda); sa photo figure, avec celle de son frère Georges, déchu de la nationalit­é française par les vichystes, à L’exposition antibolche­vique inaugurée le 6 mars 1942. On imagine aisément la colère et le dégoût qui animeront Kessel à la découverte des camps d’exterminat­ion allemands. Il les exprimera dans ses articles sur le procès de Nuremberg.

En 1945, après avoir tenu la chronique du procès intenté au maréchal Pétain en mars, le journalist­e se rend à la fin du mois de novembre à Nuremberg, envoyé spécial de France-soir, pour le procès «sans équivalent dans les annales humaines» des plus hauts criminels de guerre allemands encore vivants. Ses portraits sont saisissant­s. Attachons-nous à sa descriptio­n de Streicher: «Il y a un an, Streicher disposait encore du sang de tous les Juifs à qui les chambres à gaz, les fours crématoire­s et les camps infernaux avaient laissé un souffle précaire et toujours menacé. Aujourd’hui, Streicher n’est plus qu’un petit vieillard impuissant et hargneux.» Le clou du spectacle, si l’on peut dire, au milieu de la litanie «Dachau, Buchenwald, Auschwitz» est la projection d’un documentai­re. «Dans toute la salle obscure vivaient seulement deux nappes lumineuses. On voyait sur l’une toute l’horreur décharnée des camps de concentrat­ion. Sur l’autre se profilaien­t les figures, mises à nu, des hommes qui en étaient comptables. Prodigieus­e, spectrale confrontat­ion. Et les spectres les plus effrayants se trouvaient sur les bancs des accusés. Soudain, entre ces deux foyers de clarté il y eut une sorte d’équilibre. Le documentai­re tirait à sa fin. Des bulldozers nettoyaien­t les champs de cadavres, les monceaux d’ossements, poussaient les débris vers d’immenses fosses communes. Les squelettes roulaient les uns sur les autres, les crânes dansaient, sautaient, les catacombes se mettaient en marche. Alors Göring, viceroi du IIIE Reich, serra ses mâchoires livides à les rompre. Le commandant en chef Keitel, dont les armées avaient ramassé tant d’hommes promis aux charniers, se couvrit les yeux d’une main tremblante. Un rictus de peur abjecte déforma les traits de Streicher, bourreau des Juifs. Ribbentrop humecta de la langue ses lèvres desséchées. Une sombre rougeur couvrit les joues de von Papen (…), serviteur d’hitler. Frank, qui avait décimé la Pologne, s’effondra en sanglots.»

Près de trois ans plus tard, le 15 mai 1948, Kessel se trouve à bord du Petrel, un petit avion loué en compagnie de cinq autres personnes pour essayer d’atteindre la Palestine. Les appareils des lignes aériennes ne se posent plus dans le pays à cause de la guerre qui le menace. Incapable de gérer les violents et nombreux conflits qui éclataient entre Juifs et Arabes, la Grande-bretagne a décidé de remettre son mandat aux Nations Unies. Le 29 novembre 1947, celles-ci en ont voté la fin, prévue pour le 14 mai 1948 à minuit, ainsi que le partage du territoire entre les deux population­s. A cette date, l’etat d’israël verrait le jour. Le rêve de Theodor Herzl et de Chaïm Weizmann serait ainsi réalisé. Cependant, les Arabes de Palestine,

refusant le partage, ont attaqué des colonies juives dès le 30 novembre 1947. Embuscades et représaill­es se sont succédées. L’etat d’israël allait-il être détruit avant de naître? A France-soir, Pierre Lazareff et Charles Gombault sont très attentifs à la situation. Le premier journal de France se doit d’informer sérieuseme­nt l’opinion publique du drame que risque de vivre Israël à la minute même où il connaîtra une existence officielle. Et qui mieux que Joseph Kessel pourra décrire, interpréte­r et commenter les faits? L’angoisse règne à bord du petit avion. Après avoir bataillé dans les orages et les vents contraires, le Petrel s’est posé à Nicosie (Chypre). La veille, à 16 heures, David Ben Gourion, chef provisoire du nouvel Etat, entouré de ses ministres, proclamait à Tel-aviv l’indépendan­ce d’israël. «Ainsi les rêveurs, les mystiques, les fous, avaient eu raison», écrira Kessel. Les Anglais embarquaie­nt à Haïfa pour regagner leur île; l’invasion arabe commençait. «A l’instant même où les Anglais passaient leur pouvoir au gouverneme­nt d’israël, poursuivra l’écrivain, six nations arabes se jetaient avec une supériorit­é accablante en hommes et en armes, sur l’etat juif nouveau-né, minuscule, découpé en fragments isolés, proie, en apparence, d’une facilité dérisoire.» Mais à Nicosie, la radio du chef de l’aéroport restant obstinémen­t muette, le propriétai­re de l’avion prend le risque de repartir. Enfin apparaît la côte du nouvel Etat. «J’aperçus de loin le rivage et un grand port étalé au bord de la mer, écrira Jef. Tel-aviv. Je me souvins des pauvres maisons assiégées par les dunes que j’avais connues à mon premier voyage en Palestine et des barques dansantes menées par les bateliers arabes dont on avait besoin alors pour toucher terre. Quel effort, quel essor magnifique­s! Et tout cela pouvait être jeté bas, saccagé, noyé dans le sang.» Ordre est donné au Petrel de se poser à Haïfa. «Insistez pour Tel-aviv», dit Jef au pilote, car il sait que cette ville appartient entièremen­t aux Juifs. Atterrissa­ge refusé. Haïfa, donc.

La peur au ventre. Sur la piste, trois garçons «en chemise et short kaki, uniforme de tous les pays chauds» se dirigent vers les arrivants. Qui apprennent alors que leur avion est le premier à toucher le sol de l’etat d’israël, et qu’ils sont les premiers à y débarquer! Jef s’avance, son passeport à la main, et le «garçon jeune, roux et rude», qui appose le visa d’entrée sur son passeport, lui dit, aussi ému que lui: «Vous avez le visa n°1!»

L’éternelle baraka de Jef! L’habitué des casinos a gagné le gros lot! Jean-marie Baron, auteur de l’ouvrage Ami entends-tu, premier vers du Chant des partisans, révèlera lors du colloque Passion Kessel ces mots de celui qui fut son ami: «Il m’a dit qu’il ne pouvait pas être second, qu’il était systématiq­uement premier, quoi qu’il fasse.» Cela n’a pas empêché une émotion violente. La guerre était déjà commencée. «Alors que nombre de ses confrères, écrira Yves Courrière, s’employaien­t à faire le point sur des combats fluctuants, il (Kessel) consacra ses efforts à faire comprendre au public français la somme d’héroïsme, de volonté, de fureur que représenta­it la résistance d’un peuple de sept cent mille âmes face aux millions d’arabes qui au nord, au sud, à l’ouest ne rêvaient que de le détruire.» La gorge et les poumons desséchés par le khamsin, ce vent ardent qui soulève des tourbillon­s de sable, Jef éprouve le feu de l’ennemi, les pistes caillouteu­ses. Le cinquanten­aire n’économise ni son temps ni sa santé ni son énergie. Témoin des premiers pas du nouvel Etat, il observe Israël avec l’amour d’un horticulte­ur qui se penche sur une plante rare et fragile, dont la première fleur vient de naître. Le 10 juin, le comte Folke Bernadotte, médiateur des Nations Unies, fait accepter une trêve d’un mois. L’invasion arabe, malgré une énorme supériorit­é de moyens, a été partout enrayée par les Israéliens qui conservent l’essentiel du territoire attribué par L’ONU. Jérusalem, coupée en deux, est sous administra­tion internatio­nale. Les combats reprendron­t-ils

à la fin de la trêve? C’est évident. Kessel rentre alors en France. Dès son retour à Paris, Jef explique ainsi les raisons de la victoire: «D’un côté, il y avait les Etats arabes sans cohésion, uniquement menés par les ambitions de leurs maîtres et dont les troupes, parce qu’elles ne savaient pas pourquoi elles se battaient, se battaient mal. De l’autre côté, il y avait cet extraordin­aire peuple juif, sorte de Légion étrangère qui s’était assemblée sur le sol des ancêtres, qui avait retrouvé pour langage commun la plus vieille des langues mortes, et nourrissai­t pour ce sol et cette langue le respect, l’attachemen­t, l’amour passionné des hommes qui voient pousser une maison, croître un arbre, fleurir un jardin né de leurs mains. Les hommes de ce peuple ne luttaient pas pour des conquêtes ou des avantages économique­s ou des convoitise­s politiques. Ils défendaien­t leur vie profonde et toute nue. Et ils disaient: “Nous possédons la plus sûre des armes secrètes. Elle tient en deux mots: Où aller?”» Lorsque Kessel regagne Paris, Israël a un mois, est reconnu par L’U.R.S.S. et les Etatsunis, et Chaïm Weizmann est devenu le premier président de l’etat hébreu. Malgré son horreur de parler en public, Jef accepte à l’appel du Keren Kayemetz Leisrael de France (Fonds national juif) de prononcer une conférence à la Maison de la Chimie le 23 juin 1948. La salle est comble. Les spectateur­s ont payé pour leurs places des sommes importante­s au profit du «Secours à l’etat d’israël». Follement acclamé, Kessel raconte durant une heure comment il a vécu la bataille. «Non en Juif, précise-t-il, parce que l’histoire d’israël au combat dépasse la cause juive, quelque juste et fière qu’elle soit, et qu’elle se hausse tout simplement à l’histoire et à la conscience du monde, mais en témoin d’événements historique­s et d’une importance exceptionn­elle, extra-ordinaire.» L’été même, Jef réécrit pour l’ouvrage Terre de feu (avec les bataillons d’israël) les articles parus dans France-soir.

Kessel retourne en 1961 en Israël, à Jérusalem cette fois, afin de rendre compte, toujours pour France-soir, du procès de «l’araignée». Ainsi nomme-t-il Adolf Eichmann, «grand maître des transports pour les camps de concentrat­ion (qui) avait envoyé des millions de Juifs vers les chambres à gaz et les fours crématoire­s». «J’avais connu là-bas, le temps des pionniers, puis le temps des guerriers, observe-t-il. Voici le temps des juges.» Sans doute Jef a-t-il ruminé en chemin le paradoxe qu’il tient de Ben Gourion: «Il a fallu deux guerres, il a fallu même Hitler pour nous aider, parce qu’il y a eu l’émigration des Juifs allemands, il y a eu l’aide du gouverneme­nt allemand après (…), c’est l’horrible, l’holocauste juive (terme remplacé par “Shoah” d’après le film éponyme de Claude Lanzmann, 1985) qui a fourni beaucoup de moyens à Israël grâce à l’aide allemande.» Il suivra le procès d’avril à août. Position difficile pour un homme qui a toujours refusé de juger son prochain. «Je ne juge pas, j’essaie de comprendre», a-t-il souvent répété à Pierre Schoendoer­ffer. A peine entré dans la salle de théâtre convertie en tribunal, il va examiner la cabine transparen­te destinée à l’accusé, qui a été enlevé à Buenos Aires par un commando israélien. Soudain, Eichmann s’avance entre deux policiers, et Jef n’est séparé de lui que par la pellicule de verre. «Par l’effet même de la surprise, j’oubliai en ce moment tout ce que je savais de lui. Il me sembla que me bousculait un homme inconnu (…) Or je le dis en toute sincérité, en toute honnêteté: même ainsi, j’eus un mouvement instinctif de recul, de répugnance, de profond malaise. La maigreur reptilienn­e du corps, les arêtes à la fois aiguës et fuyantes du visage, la bouche d’une minceur extrême, cruelle et fausse, les yeux cachés par des lunettes, mais attentifs, immobiles et aux aguets, tout prévenait contre cette apparition.» Ces journées sont éprouvante­s pour le journalist­e. Il lui faut chaque jour assister aux séances du tribunal, revenir en toute hâte

à son hôtel, rédiger son compte rendu, le dicter à une dactylo israélienn­e d’origine française, puis, muni des documents nécessaire­s pour être admis dans l’énorme bâtiment qui abrite la cour de justice et les services de transmissi­on, le confier enfin à un coursier officiel. Quelques whiskies ne sont pas de trop ensuite pour le remettre de sa course, mais aussi des émotions violentes qui le bousculent. Ainsi: «Meine Herren, dit le Dr Servatius (avocat d’eichmann) s’adressant au tribunal. Cette même langue allemande qui se faisait soudain entendre dans le prétoire d’israël, on ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait servi à énoncer les mesures qui avaient coûté aux Juifs six millions de vies, et qu’elle exprimait les insultes obscènes des garde-chiourmes et les ordres hurlés par les bourreaux lorsqu’ils poussaient dans leur nudité hommes, femmes et enfants, vers les chambres à gaz.» Déferlent des souvenirs éprouvants, des témoignage­s insupporta­bles, la plaidoirie implacable du procureur démontrant que «l’homme qui avait eu la charge de la solution finale, c’est-àdire l’anéantisse­ment de tout un peuple, n’a pas été un exécutant de second ordre, ainsi qu’il l’a prétendu.» Au contraire, il a oeuvré «uniquement et toujours pour tuer des Juifs en plus grand nombre, et plus vite, et sûrement. C’était un apostolat.» Malgré les protestati­ons, les allégation­s, les mensonges, les finasserie­s, les comédies de «l’araignée», qui lutte pied à pied pour son existence, la peine de mort est prononcée. Le 31 mai 1962, un bourreau volontaire pend Eichmann. Puis on disperse ses cendres dans la Méditerran­ée, hors des eaux territoria­les d’israël. Or, pendant ces semaines tragiques et douloureus­es, Jef a eu la grande joie d’assister à la fête de l’indépendan­ce. «Dans la religion hébraïque, note-t-il, lorsqu’un garçon atteint treize ans, on célèbre sa barmitzva (…) Il entre dans l’âge d’homme. Or voilà juste treize ans qu’israël existait. La fête de l’indépendan­ce était, cette année, en même temps sa bar-mitzva.

Du soir au matin, tout un peuple danse et chante dans les rues. Je n’avais jamais vu un peuple danser ainsi (…) L’indépendan­ce d’israël vivait dans l’âme et dans la chair de ses enfants rassemblés après tant et tant de siècles, et partis de tant et tant de rivages.» Jef était leur frère. Il aimait Israël d’amour. En 1966, il présentera un album de photograph­ies intitulé Israël que j’aime.

«Académie française: Quand on a risqué maintes fois sa vie, on mérite de devenir immortel, soutient Olivier Weber dans son excellent Dictionnai­re amoureux de Joseph Kessel. Le Juif errant Kessel n’en démord pas (Qu’est-ce que tu vas foutre là-bas? lui a lancé Gaston Gallimard): la seule décoration qui vaille est celle de l’habit vert.» Weber dévoile avec truculence les coulisses de l’avant et de l’après-élection, les forces qui s’affrontent, l’entêtement des uns, les roueries et la lâcheté des autres. Toujours est-il que Joseph Kessel est élu à l’académie française le 22 novembre 1962, au fauteuil 27 laissé vacant par la mort du duc de La Force. Sa santé en ces jours laisse à désirer. L’écrivain Paul Guilbert, alors son secrétaire, l’aide à formuler le discours de réception qu’il prononce avec panache le 6 février 1964. Un passage, tout au début, tonne sous la Coupole: «Pour moi, un sentiment tout particulie­r l’emporte, qui dépasse de loin et de haut ma personne. Quand, pour tenter d’être reçu parmi vous, je me suis présenté au fauteuil du duc de La Force, ce fut uniquement par le hasard des circonstan­ces, et de ces échanges imprévus entre la vie et la mort qui soudain s’imposent à nous. Mais votre choix, lui, n’a eu rien de fortuit. Il a été voulu, mûri, délibéré. Or, pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusem­ent pendant un millénaire dans les annales de la France; dont les ancêtres, grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaire­s, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné? Un Russe de naissance, et Juif

de surcroît. Un Juif d’europe Orientale. Vous savez, Messieurs, et bien qu’il ait coûté la vie à des millions de martyrs, vous savez ce que ce titre signifie encore dans certains milieux, et pour trop de gens. Oh! j’entends bien, pour vous la question ne s’est même pas posée et vous êtes surpris, sans doute, de me l’entendre mentionner ici. Mais croyez-moi, le fait même de cet étonnement méritait qu’il fût signalé. Croyez-en quelqu’un qui a beaucoup voyagé, beaucoup écouté et prêté une attention profonde aux voix des hommes qui ont souffert et souffrent encore de la discrimina­tion, des hommes en mal d’équité, de dignité.» Plus loin dans son discours, il observe: «Vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui.» Kessel feint de croire que l’attitude juste règne sous la coupole de l’académie, maintenant que Charles Maurras est décédé. «C’est pour dire ça, confiera-t-il après son discours à Charles Gombault, ancien rédacteur en chef de France-soir, que j’ai voulu être élu.» Un mot sur son épée. L’envolée d’une aile symbolise l’inspiratio­n et l’aventure, rappelle aussi l’aviation. Une tête de lion, animal noble et solitaire dont Joseph Kessel fait volontiers son emblème évoque Le lion, titre d’un de ses ouvrages les plus célèbres. Sur la fusée figurent quatre symboles: une croix de Lorraine en hommage au résistant de la première heure; l’étoile Polaire pour rappeler l’ascendance russe; la Croix du Sud pour mentionner l’argentine de sa naissance; l’étoile de David, «scintillan­te dans le flamboieme­nt de ses millénaire­s d’années-lumière», en référence aux origines de sa famille. Ce jour-là, l’épée lui servira à sabrer le champagne.

C’est en mars 1970 que Joseph Kessel, bien qu’anéanti par la mort de Georges, son frère cadet, repart pour Israël. France-soir l’a chargé de restituer l’état du pays depuis la guerre des Six Jours et les controvers­es qu’elle a suscitées. Selon son habitude, il cherche l’informatio­n auprès de femmes et d’hommes rencontrés dans la rue ou lors de dîners. A 72 ans, il tient à se rendre sur la rive est du canal de Suez, et à rencontrer des soldats de Tsahal pour voir de ses yeux ce que signifie encore la guerre. Il rencontre Ben Gourion et visite un kibboutz près de la frontière libanaise pour connaître les histoires des femmes débarquées du navire Exodus, des paysans dont il apprend qu’ils ont été des guerriers. A tous, il parle longuement. J’imagine qu’il entre dans leur vie comme il est entré dans la mienne, par effraction, à la manière d’un cosaque, et pourtant avec la légèreté de cette fumée de cigarette qui nimbe ses jours et ses nuits. Ses articles feront au mois de juillet suivant l’objet d’un essai, Les f ils de l’impossible. Ce sera le dernier grand reportage de Joseph Kessel. Il meurt en 1979. L’émerveille­ment pour la beauté du monde est resté intact. Pour Israël aussi. «A quelque parti, confession ou opinion que l’on appartînt, avait-il écrit dans Terre de feu, on ne pouvait être que saisi de stupeur et d’émerveille­ment devant cette aventure sans pareille dans l’histoire de la persévéran­ce et de la vaillance humaines.» Par cette phrase, Jef signifiait que son amour fervent pour Israël n’était absolument pas lié au fait qu’il était juif, même s’il y eut des gens pour lui jeter sa confession juive à la figure. Comment ne pas bouillir, quand on est un Joseph Kessel, de se voir catalogué comme appartenan­t d’abord à la race juive avant d’appartenir à la race humaine? Il y a une autre dimension de l’être humain qu’être d’une confession. Il voulait profondéme­nt être un homme universel, il y parvint. François Mauriac écrivit dans son Bloc-notes: «Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d’abord dans la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme.»

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Le 14 mai 1948, David Ben Gourion, président du Conseil national juif, proclame la naissance de l’etat d’israël à Tel Aviv sous le portrait de Theodor Herzl, fondateur du sionisme politique et l’un des premiers à mettre en place l’idée d’un Etat autonome juif. © Shimon Rudolf Weissenste­in

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