Littérature du réel
Ecrivain, grand reporter, auteur de documentaires et lauréat de nombreuses récompenses dont le Prix Albert Londres, Olivier Weber nous livre ses coups de coeur du moment.
«Dessine-moi une frontière», a-t-on envie de lancer à cet arpenteur des confins à la lecture de ses livres. Michel Foucher est un passemurailles de la littérature et de la cartographie. La planisphère est son royaume. Les frontières, il les a théorisées, négociées et maintes fois traversées avec un oeil juste et un fort esprit de curiosité qui rappellent l’honnête homme du XVIIIE siècle. Ce touche-à-tout des atlas, qui est universitaire et qui fut ambassadeur dans les marges de l’europe, en Lettonie, nous rappelle dans ses mémoires un curieux tropisme qui au fond l’incarne plus que toute autre fonction: demeurer un marcheur de la planète. Son cheminement est instructif, au sens physique comme géopolitique. A la manière de ces cartes du monde dont les projections sont plus respectueuses des superficies que celle de Mercator, Foucher décentre sans cesse et remet au coeur de la géographie l’être humain. Cela peut paraître un truisme ou relever de la candeur. Tout au contraire, le propos est audacieux. Loin de ces conceptions globalisantes des décennies passées qui ont débouché, parfois, sur le totalitarisme. Monté sur un ressort perpétuel, Foucher nous le prouve dans Arpenter le monde, un journal d’un demi-siècle de pérégrinations, à travers cent vingt-cinq nations ‒ nous n’avons pas tenu la comptabilité précise mais gageons, le temps que ce bloc-notes paraisse, que ce nomade par excellence aura déjà repris son bâton de pèlerin. De l’argentine aux pays Baltes et de l’ethiopie à la Chine, le constat est éloquent, hors des sentiers battus. Et démontre par cet éloge de la géographie «habitée» une vision du monde profondément humaniste. Cet arpentage du globe, autant littéraire que géographique, nous entraîne, au-delà des cinq continents traversés, à un monde d’aventures et de rencontres, de personnes humbles et de puissants, de seigneurs et de manants. Au fond, le leitmotiv de ce bilan d’une vie de déambulations, avec de constants allers et retours entre la rencontre et le magistère, est ambitieux: redonner aux représentations spatiales la place qui leur revient dans l’imaginaire des peuples, loin des doctrines
désincarnées et des idéologies déshumanisantes. Une vie passée à observer, en somme, entre les espaces, leurs acteurs politiques et les sociétés qui s’y installent. Foucher, qui convoque Rimbaud et Tintin, est un subtil funambule penché au-dessus des portulans et dont le balancier oscille sans cesse entre le voyage de terrain et la théorie. La géographie, cet autre exercice délicat de l’équilibre, devient sous sa plume et ses bottes de sept lieues un art de vivre. Et la diplomatie l’art de poursuivre la paix des atlas par d’autres moyens.
Des frontières, il en est question aussi dans un essai iconoclaste. L’écrivain et journaliste Christian Makarian renoue avec le voyage immobile ainsi que le peregrinatio in stabilitate cher à Joseph de Maistre et nous invite à un redécoupage de nos frontières mentales engendré par la pandémie. D’une catastrophe surgit une renaissance. Makarian plonge dans sa mémoire des voyages et dans les textes fondateurs, de Pascal à Spinoza ou Nietzsche, sans oublier les héritages des grands maîtres spirituels. Grâce à Bouddha, le lecteur comprend le nouvel impérialisme chinois, cette colonisation du monde sans les gardes rouges. Raymond Aron nous aide à saisir les nouvelles coercitions dues au virus. Par la lecture de Confucius, nous apprenons des hydres engendrées par la mondialisation, du retour des empires à la remise en cause d’une certaine idée de l’etat-nation. Un livre puissant et au ton singulier qui convoque le spirituel sans prosélytisme aucun ni bigoterie et nous invite à la réflexion par temps de pandémie avec de grandes lueurs d’espérance sur les dérives de la modernité consumériste. L’enthousiasme comme rédemption au sortir de l’épreuve… Généalogie
de la catastrophe confirme les talents d’essayiste de Makarian, qui incite au voyage intérieur, lequel est infini comme le rappelle Descartes.
Le reportage, pas mort. Et le reportage littéraire, encore moins. Par ce recueil d’entretiens, les éditions du Sous-sol nous transportent au septième ciel du journalisme. Un panthéon d’humilité, à hauteur d’homme, où le sel de la terre le dispute à l’enthousiasme à fouler des terres lointaines. Pour remettre au goût du jour ce que l’on appelle outre-atlantique la narrative non-f iction, Robert S. Boynton s’est évertué à converser avec les figures de proue, une vingtaine, de ce genre qui abolit les frontières entre reportage et littérature. On navigue ainsi de Susan Orlean à Gay Talese, de Ted Conover à Adrian Nicole Leblanc ou encore William Finnegan. C’est un florilège étonnant qui se dessine ainsi, non pas un cours de nouveau journalisme mais bien plutôt une manière de voir, les gens, le monde, les banlieues, riches et pauvres, avec quelques recettes certes, astuces ou vieilles habitudes, mais l’on sent bien que ce qui compte est le regard.
Déjà, en 1973, Tom Wolfe estimait que la non-fiction représenterait «la plus importante littérature écrite aux Etats-unis aujourd’hui». Le journalisme s’est depuis érigé en genre littéraire à part entière. Avec
Le temps du reportage, il acquiert de nouvelles lettres de noblesse.
Infatigable et singulier arpenteur du globe lui aussi, Michel Le Bris nous a quittés en ce début 2021. Ecrivain aux semelles de vent, philosophe, génial éditeur, biographe de Stevenson, cofondateur de Libération, passionné d’aventures à la Jack London, à la proue du vaisseau Etonnants Voyageurs ‒ trente ans de festival déjà à Saint-malo ‒, le bougre nous laisse certes orphelins mais il n’a pas oublié, bon prince, de nous léguer un sacré testament, un abécédaire de ses passions, envies littéraires et vision de ce monde, qui fait suite à son formidable Pour l’amour des livres. De Nerval à Moby Dick, du Boulevard du crime au cul de veau à l’angevine, recette aussi longue à préparer qu’à digérer, le passager de ce bateau ivre est sous le charme, soumis aux caprices du vent et aux humeurs du capitaine, vif et tendre à la fois, comme la viande qu’il aime, et toujours le regard émerveillé. Cela donne Abécédaire intime, un livre généreux, pétri d’humanisme et d’empathie, érudit et porté sur la curiosité. Drôle aussi. A l’entrée «Dieu existe», on lit sous la main de ce flibustier des lettres: «Dieu existe mais c’est une fiction.» On sent les prunelles bleues de cet adepte falstaffien de l’aphorisme et de la «littérature-monde» ‒ il est l’auteur du concept, ouvert à tous les vents ‒ frétiller à la lecture d’un auteur africain autant qu’à la préparation d’un plat breton bien nourrissant avec vue sur la baie de Morlaix. Il aimait la tempête et les lectures dans la soute. Un écrivain à tempérament, féru de jazz comme du romantisme allemand, dont on sent, en se plongeant dans ces pages, qu’il avait le coeur sur la main et donc au bout de la plume. Lisez les confessions d’un promeneurmonde dont la vie était un roman et qui n’aimait la solitude que lorsqu’elle était bien entourée.
Après avoir bourlingué pendant quelques décennies, un autre écrivain voyageur a décidé de ralentir le pas. Ou plutôt d’entrer dans la douceur. A force d’avoir vu des guerres, assisté à quelques autres tragédies, Jean-claude Guillebaud, ancien grand reporter devenu éditeur et écrivain, a choisi de débusquer deux autres calamités, le cynisme ambiant et l’hypernombrilisme. Deux plaies qui minent le monde contemporain et surtout qui l’empêchent de voir au-delà de l’autocentration exacerbée, d’apercevoir l’espérance. Oui, voici un livre d’espérance par un pérégrin qui a toujours porté un regard d’empathie sur le monde après le nu de la guerre ‒ lire aussi son très beau et émouvant Les Tourments de la guerre,
qui tient à la fois de l’aveu, du journal intime par temps d’orage d’acier et de l’essai philosophique. «Mon énigme de la guerre», s’interroge encore cet ancien correspondant des champs de bataille, qui a couvert le Viêtnam, le Biafra, l’ethiopie puis les révolutions de l’est. «Comment ça va avec la douleur de la guerre?» pourrait clamer son vieux complice, le photographe Raymond Depardon, qui erra lui aussi sur quelques théâtres martiaux. Guillebaud, lui, s’en remet à une perpétuelle empathie. Cette bienveillance-là, celle qui sourd de ces pages, de ces principes éthiques qui pourraient paraître candides mais que la civilisation a trop souvent écartés, est un protocole de compassion. Attention, cette compassion-là est éminemment contagieuse! Ambitieux sans être péremptoire, l’écrivainreporter nous convie à une réinvention de l’avenir, cet horizon plus ou moins lointain qui nous permet de rester debout et demeurer espérant. Un plaidoyer salutaire dans une époque anxiogène et dont on craignait qu’elle n’avait fini par adouber une finitude. En guise de thérapie, Guillebaud nous offre son revigorant optimisme en partage, sans céder pour autant à la candeur. Bref, un manuel de l’anti-cynisme qui éclaircit nos cieux.
C’est à une fantastique plongée dans une singulière mégapole que nous convie Catherine Clément. Calcutta l’étrange, Calcutta l’envoûtante,
Calcutta la démesurée, à la fois riche et pauvre, cité des Indes qui n’en finit pas de muer. La grande ville de l’est indien aime la métamorphose, elle adore se grimer, changer de costume. Et une écrivaine philosophe suit ces mues depuis des lustres. Comme Malraux, Catherine Clément a eu la «tentation de l’inde» au point d’en discerner les multiples facettes, des sources du Gange au panthéon complexe et coloré de ses divinités. Voilà qu’elle revêt à nouveau le sari pour devenir précisément la déesse Calcutta et incarner sa voix, ses voix plutôt, à la première personne et dans une approche polyphonique. «24’306 habitants au kilomètre carré. J’en suis très fière; c’est l’une des plus fortes du monde», s’exclame la ville-narratrice.
Autoportrait de Calcutta est à la fois un autoportrait, un récit de voyage immobile, une plongée intime dans les méandres amoureux d’une cité, une promenade avec les écrivains et maîtres spirituels, de Sri Aurobindo à Rabindranath Tagore et aux auteurs contemporains. On redécouvre aussi en un contexte différent les pages du jeune Lévi-strauss, ébranlé par le spectacle de la rue dans Tristes Tropiques. Même si l’on croise le spectre des slums d’hier, les bidonvilles, et le fantôme de Kipling, qui avait baptisé Calcutta «la Cité de l’épouvantable nuit» après avoir décrit son port et ses bouges, il est utile de rappeler deux autres de ses surnoms: la Cité de la joie et la Cité de l’amour. Un siècle et demi plus tard, amoureuse des Indes
ma non troppo, juste ce qu’il faut avec une pointe de dérision ou plutôt d’autodérision et d’esprit critique, Catherine la Grande-bis dépeint une ville en renaissance, grimée mais non fardée, embellie mais demeurée authentique, profondément hospitalière, de Kâli à Mère Teresa. Grandeurs et fragilités d’une forteresse de la culture hindoue à vocation oecuménique… On croise aussi Saytajit Ray et les maoïstes naxalites, le Mahatma Gandhi et des brahmanes, des maîtres et des mendiants. Une ville qui a accueilli jusqu’à deux millions de réfugiés lors de la guerre du Pakistan oriental en 1971, qui va devenir le Bangladesh, mais «trop bien élevée», avoue-t-elle, pour ordonner des visites de ses bidonvilles aux touristes, contrairement à Bombay. Ancien comptoir de la Compagnie des Indes orientales britanniques qui a fini par dévorer sa rivale française Chandernagor, Kolkata, son nom indien, est une déesse aux bras multiples que Catherine Clément ressuscite en digne fée des lettres.
On croyait avoir tout lu sur le courage, vertu nécessaire mais non suffisante pour le long voyage de l’être humain dans la jungle des siens depuis la nuit des temps. Oui, il en faut, du courage, pour rester debout! Et le courage est souvent la vertu des inconscients. Chez certains, elle est une vertu cardinale. Depuis Aristote et Platon, la valeur a été savamment déclinée.
Elle a été mise à l’épreuve par temps de trahison. Elle a été testée par Dieu ou les dieux, et ce depuis Abraham sur le mont Moriah. Elle a été exacerbée par les sombres tempêtes de l’histoire avec une grande hache ou en saison d’occupation, lorsque les vestes se retournaient et les treillis aussi. La foi est une béquille en cas de doute, depuis le Deutéronome et Josué. Après avoir célébré l’éloge de la peur, Gérard Guerrier s’aventure dans une nouvelle friche de l’âme humaine, un domaine inconnu. La perception de la peur, cette soeur aînée du courage… Il est vrai que les deux valeurs sont intrinsèques à l’humanité. Aventuriers, alpinistes, écrivains voyageurs, humanitaires, philosophes, marins, les errants du courage, cette vertu critique et néanmoins généreuse, sont passés au crible par Guerrier au nom prédestiné, qui cabote de Jankélévitch à Ernst Jünger, de Tocqueville à Soljenitsyne. «Il ne peut y avoir de courage sans conscience ni libre arbitre», écrit-il joliment, en mettant en exergue ses «quatre indispensables piliers», la lucidité, l’élan, la persévérance et le noble objectif. On peut y ajouter la prise de risque et la sortie de la zone de confort, comme dans toute aventure, qui doit d’abord être humaine, avec la mort pour partie du décorum, laquelle demeure le terminus pour tous. Car le courage est une vertu-matrice à nos yeux, et rappelons précisément le trait de Jankélévitch, qui estimait que
le courage, permettant aux autres valeurs d’être efficaces et opérantes, est «moins une vertu lui-même que la condition de réalisation des autres vertus». Il n’empêche! De nos banlieues aux sommets himalayens, des arrièrecuisines aux casernes des soldats du feu, ce bréviaire est revigorant, en quête des héros d’un jour ou de toujours que nous sommes ou que nous pourrions être. Du courage, un manuel de philosophie à l’épreuve des faits, et le plus souvent loin des armes, donne envie de mordre un peu plus la vie, sans fanfaronnade mais avec bravoure. A glisser dans son sac de rêveur des confins. Le courage, cette voie d’ascension entre le mythe et la concrétude depuis Homère qui nous rend plus humains.
Nous sommes tous fétichistes, c’est bien connu depuis Karl Marx, qui en voulait à la monnaie physique. La monnaie justement a permis à des ethnologues éclairés de se pencher sur les équations de l’échange par les multiples objets d’un courant novateur, l’anthropologie économique, avec les cauris des îles Salomon ou les barres de sel des Baruyas de Papouasie-nouvelle-guinée. Des chercheurs se sont attachés à traquer d’autres objets fétiches, ceux de la mondialisation. Du XVIIIE siècle à nos jours, l’éventail est prodigieux. Du châle au shampoing, de la bouteille de plastique au passeport (qui pourrait s’en passer aujourd’hui?) le lecteur dévore cette exploration du quotidien mondialisé. L’inventaire est savoureux et rappelle le génie des nouveaux courants de l’ethnologie, mais aussi de l’histoire, qui étudient les moeurs de l’étonnante tribu du village planétaire sous toutes les coutures, et jusqu’à l’ethnologie de la chambre à coucher. A propos, vous trouverez aussi dans Le magasin du monde les origines du sextoy, avec son premier modèle en 1983 qui fut japonais et exclusivement réservé aux femmes, bien que nous n’ayons pas vérifié. Encore un objet mondialisé dont le marché est faramineux ‒ 22 milliards de dollars. Quoique nous ne sommes pas renseignés sur les bénéfices engrangés par l’industrie du latex, le préservatif masculin, digne concurrent et néanmoins partenaire de l’objet précédent, semble bien se porter. Bref, nous disposons là d’un fabuleux cabinet des curiosités du monde comme il va, pour le meilleur et pour le pire. Et ces passionnantes miscellanées nous renseignent précisément sur l’évolution de l’homo sapiens, qui oscille entre Fil de fer barbelé (p. 200) et Cercueil (p. 43) dans un océan de matérialisme, sans oublier de se protéger (voir Statuette de bouddha, Revolver et Pénicilline). L’ethnologie est non seulement un sport de combat mais aussi de survie.
Voilà bien l’étrange magie de la littérature que de pouvoir transformer une biographie en roman. David Grann, qui nous avait habitués à des récits ubuesques, s’empare de la vie
d’henry Worsley pour décrire une saga dans la veine de la littérature du réel. Worsley? Un aventurier des pôles, ou plutôt de l’antarctique, ancien lieutenant-colonel qui ne voulait pas s’assagir, un adepte non de l’exploit mais de la «beauté du geste» et récemment disparu, autant obsédé par le froid que par l’exploration et sa folle dimension de l’inconnu périlleux. Loufoque et obstiné, méthodique et désinvolte, rationnel et désespéré, comme il se doit par moins quarante et vents rugissants, l’individu s’entraînerait aujourd’hui à dormir dans un congélateur. Ecrivain américain et reporter au long cours au New Yorker, David Grann, lui, le suit pas à pas, pénètre dans son cerveau, nous emmène dans les tréfonds de l’âme d’un fou des pôles qui ne rêvait que de planter son drapeau un peu plus loin et dont la mort a bouleversé la Grande-bretagne, jusqu’à ses têtes couronnées. L’aventure extrême devient dès lors aventure littéraire. Il est vrai que l’explorateur à glaçons n’était pas dénué de panache: à l’issue de son expédition «Shackleton Solo 2015-2016» en Antarctique, il meurt quelques heures après son sauvetage, après avoir accompli la quasi-totalité de sa traversée de l’antarctique en solitaire et sans assistance. La banquise, cette autre terra incognita mais que David Grann décortique dans sa cartographie du rêve. On ressort de The white darkness les doigts engourdis par le froid austral, la langue bleuie, les paupières entourées de glace, mais le coeur réchauffé, l’esprit rassuré par ce pouvoir fou et propulsant de l’exploration par la littérature. De quoi vous rendre givré pour l’année.
En matière d’écriture de voyage, signalons la parution de l’excellente revue Embarquements, lancée et longuement concoctée par Stéphane Dugast et ses complices Bruno Valentin et Julien Pannetier. Trimestrielle, en format de journal quotidien, la revue, dernière-née du photojournalisme, recense aventures, expéditions, voyages au long cours et dresse quelques portraits d’aventuriers des temps modernes. Un savant mélange entre l’ailleurs et l’ici, le grand dehors et l’intime, que savent si bien porter certains auteurs et explorateurs d’aujourd’hui. S’ouvre ainsi une belle fenêtre sur le monde et la découverte qui nous invite à reprendre illico le large, avec photos et longs articles, dans la veine du grand reportage et de ce que nous aimons ‒ de l’espoir pour les semailles, du temps pour la récolte, de l’espoir en chemin. En bref, de l’aventure à dimension humaine et humaniste, avec des regards parfois décalés, ce qui en fait sa richesse. Les débuts sont prometteurs, sous la bannière des trois capitaines à la barre. Souhaitons une longue vie à cette revue amie. Car Embarquements est un parfait havre pour les escales avant un nouvel envol. A mettre entre les mains de tous les coureurs d’horizons rêvés. On passe ainsi d’un débat sur la réimplantation de l’ours dans
les Pyrénées à l’atoll de Clipperton, possession française et confetti de la République au large du Mexique sur lequel s’échouent de temps à autres des ballots de cocaïne largués par les contrebandiers. On cabote de Cherrapunji (Inde), la ville la plus humide du monde – déconseillée pour les rhumatismaux ‒, au cercle polaire ‒ plus sec mais venté ‒ et même jusqu’à un gigantesque bac à glaçons dans lequel un enragé de la geste humanitaire a battu le record du monde - une entrée dans le livre
Guinness des records pour, une fois n’est pas coutume, la bonne cause. L’astrolabe, le navire polaire qui patrouille par vents de 70 noeuds et affronte des vagues-murailles de 20 mètres de haut, hérite d’un beau portrait, avec le récit de deux «fortunes de mer», deux terribles incidents, et la revue brusquement prend un goût d’eau salée. L’oeil est élégamment sollicité par ces pages aventureuses, le coeur aussi. Et désolé de reconnaître ce péché originel, mais la curiosité, on aime ça.