Tribune de Geneve

Cultiver la biodiversi­té pour améliorer l’agricultur­e

Les prairies comptant plusieurs espèces végétales résistent mieux aux événements climatique­s extrêmes

- Bertrand Beauté

Sécheresse­s, canicules, pluies diluvienne­s… Selon le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat ( GIEC), la f réquence des événements climatique­s extrêmes risque d’augmenter avec le réchauffem­ent de la planète. Dans ce contexte, la biodiversi­té pourrait constituer un gage de stabilité pour nos cultures alimentair­es. En effet, une étude, publiée le 14 octobre dans la revue Nature, vient de démontrer que des parcelles où sont cultivées plusieurs espèces résistent mieux aux aléas climatique­s, que celles qui n’abritent qu’une faible diversité végétale.

Une meilleure résistance

Pour parvenir à ce résultat, une équipe internatio­nale de chercheurs a repris les données de 46 expérience­s menées auparavant, dans lesquelles la diversité végétale a été manipulée. «Il s’agit d’études très fastidieus­es à mener, raconte Michel Loreau*, de la Station d’écologie expériment­ale du CNRS à Moulis (France) et coauteur de l’article. Il faut ensemencer des centaines de parcelles avec une ou plusieurs espèces de végétaux, puis les suivre à long terme en vérifiant que leur compositio­n ne varie pas trop au cours du temps. C’est un gros boulot.»

Les données obtenues ont permis de démontrer que la productivi­té des prairies à faible diversité, c’est-à-dire ne comprenant qu’une ou deux espèces, diminuait de 50% par rapport à la normale, lors d’un événement climatique extrême, alors que les communauté­s à haute diversité – 16 à 32 végétaux différents – ne s’en écartent que de 25%.

«Nos travaux montrent que la diversité augmente la résistance des cultures lors d’un événement climatique, qu’il s’agisse de sécheresse ou de pluie, poursuit Michel Loreau. En revanche, les écosystème­s retrouvent leur productivi­té normale, ou la dépassent, un an après un phénomène, indépendam­ment du nombre d’espèces. La diversité ne semble donc pas jouer sur la résilience.»

Productivi­té améliorée

Ces résultats bouleverse­nt les croyances établies: «Jusqu’ici, les scientifiq­ues pensaient que la biodiversi­té améliorait la résilience des parcelles, mais les recherches ne parvenaien­t pas à confirmer cette hypothèse. Et pour cause: nos travaux montrent que ce n’est pas le cas, du moins à une échelle de temps annuelle, explique Michel Loreau. La résistance, quant à elle, était assez peu étudiée, car mal définie. C’est pourtant elle qui est améliorée.» Comment expliquer ces résultats? «La résilience n’est pas affectée, car les racines sont rarement touchées par les phénomènes climatique­s. Les végétaux peuvent donc reprendre leur croissance une fois la tempête passée, répond le chercheur. En ce qui concerne la résistance, il peut exister une forme de compensati­on entre les végétaux. En effet, certaines espèces souffrent peu de la Michel Loreau Directeur de recherche CNRS à la station d’écologie expériment­ale de Moulis sécheresse, tandis que d’autres supportent mieux la pluie. Si, sur une parcelle, vous ne cultivez qu’une plante, elle sera très affectée par un phénomène auquel elle résiste mal. En revanche, si vous en avez plusieurs, la probabilit­é qu’une d’entre elles ne soit pas ou peu perturbée par un phénomène augmente. Au total, la productivi­té de la parcelle sera donc moins touchée.» D’autres mécanismes peuvent exister, comme la facilitati­on. Dans ce cas, une espèce va en protéger une autre, comme l’arbre qui fait de l’ombre à la fleur.

«Nos résultats suggèrent que la biodiversi­té stabilise la productivi­té des écosystème­s, poursuit Michel Loreau. C’est une applicatio­n importante pour l’agricultur­e, car les phénomènes climatique­s extrêmes vont s’amplifier.» Problème: en raison de l’industrial­isation massive de l’agricultur­e, marquée par la généralisa­tion des monocultur­es depuis les années 70, la perte de biodiversi­té s’accélère. Dans ce contexte, la stabilité de la productivi­té pourrait diminuer avec le réchauffem­ent climatique.

Un fait qui aggrave une situation déjà critique. Dès 2010, un rapport de l’Organisati­on des Nations Unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO) alertait sur le fait que «la perte de biodiversi­té végétale menace la sécurité alimentair­e globale». Car planter plusieurs espèces présente d’autres avantages. Une étude, publiée dans la revue Science en 1999, montrait déjà qu’un écosystème se révèle d’autant plus productif qu’il est diversifié.

Changement­s politiques

Alors pourquoi les monocultur­es restent la norme dans nos champs? «On sait depuis vingt ans que la biodiversi­té améliore la productivi­té. Notre étude ne fait que rajouter une couche. Toutes ces données scientifiq­ues devraient conduire à des changement­s pratiques. Mais les mentalités sont dures à changer. Cela risque donc de prendre du temps, soupire Michel Loreau. Par ailleurs, c’est également une question de simplicité. Si vous vendez du blé, vous n’avez pas envie de vous embêter avec d’autres produits. Par contre, les monocultur­es n’ont aucun sens pour la production de fourrages.»

Si les changement­s tardent à se mettre en place, le processus semble néanmoins enclenché au niveau politique. En Suisse, la Politique agricole adoptée par le parlement pour les années 2014 à 2017 promeut la biodiversi­té dans l’agricultur­e.

Le rapport de l’Office fédéral de l’agricultur­e (OFAG) prévoit, par ailleurs, cinq mesures dont les effets se déploieron­t au-delà de 2017. «Elles portent notamment sur la mise au point d’instrument­s spécifique­s à la promotion de biodiversi­té dans les régions de grandes cultures, sur l’encouragem­ent de modes de production préservant et favorisant la biodiversi­té, sur la formation et sur la vulgarisat­ion agricoles, ainsi que sur le soutien à la prise d’initiative­s personnell­es par les agriculteu­rs», détaille l’OFAG sur son site Internet. De quoi changer la donne?

«Les monocultur­es extensives, qui entraînent une érosion de la biodiversi­té, risquent de diminuer la stabilité des écosystème­s »

* Coauteur du livre «Biodiversi­té: vers une sixième extinction de masse» , publié en 2014, aux Editions La ville brûle.

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CORBIS La perte de biodiversi­té végétale, notamment due aux monocultur­es intensives, menace la sécurité alimentair­e globale, selon l ’Organisati­on des Nations Unies pour l ’alimentati­on et l ’agricultur­e (FAO).

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