Les grands chantiers de la rentrée
La rentrée politique et socioéconomique s’annonce très chaude. Et pour cause, elle sera marquée par la qualité des politiques à mettre en place par les parties concurrentes en prévision des prochaines élections générales prévues, en principe, pour 2019.
Au plan politique,
la rentrée sera marquée par la persistance du bras de fer qui oppose les deux têtes de l’exécutif : le président de la République, Béji Caïd Essebsi (BCE) qui souhaite, tout autant que Nidaa Tounès et l’UGTT, le départ du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Lequel refuse d’obtempérer et semble avoir choisi de braver ses adversaires et de faire prévaloir ses prérogatives constitutionnelles. Celles-là mêmes qui lui permettent de continuer à gouverner même sans le soutien de son parti Nidaa Tounès, parti vainqueur aux dernières élections de 2014.
Comble du paradoxe, Youssef Chahed survit actuellement à la faveur du soutien que lui apporte, provisoirement, le parti Ennahdha (parti vaincu lors des dernières élections générales devenu parti majoritaire au Parlement ), et ce, sous certaines conditions dont celle de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle.
En dépit de ces contraintes, Youssef Chahed donne l’impression qu’il ne va pas lâcher prise d’autant plus qu’il vient de renforcer sa popularité et d’imposer le respect de ses pires ennemis (le parti Irada…) grâce à sa téméraire décision de limoger pratiquement tous les hauts cadres du ministère de l’Energie et d’oser même supprimer ce département en le rattachant au ministère de l’Industrie et des PME. C’est du jamais vu.
Il s’agit, de toute évidence, d’une décision qui, pour peu qu’elle soit accompagnée par d’autres similaires, va jouer énormément en faveur de son maintien et affaiblir sérieusement ses adversaires, y compris son allié conjoncturel, Ennahdha.
Coïncidence ou jeu du hasard, cette décision a eu lieu concomitamment avec un autre événement heureux, celui des frappes aériennes réussies qui ont permis d’éliminer des essaims de terroristes djihadistes terrés sur le Mont Mghila.
Cela pour dire que la décision de Youssef Chahed contre la corruption qui prévaut au ministère de l’Energie et l’élimination de terroristes par de nouveaux moyens plus sophistiqués (intervention de l’aviation) sont des victoires tangibles, fort appréciées par l’opinion publique.
De par leur qualité et ampleur, elles ont pour vertu de marquer positivement les esprits. Et tous ceux qui affichent des positions contraires subiront les conséquences lors du vote sanction prévu pour 2019.
Sur le plan économique,
toutes les tractations se situeront autour de la Loi de Finances 2019. Compte tenu de l’enjeu de courtiser les pans électoraux en prévision des prochaines élections générales de 2019. Cette loi devrait, logiquement, satisfaire tout le monde, les particuliers comme les entreprises.
La LF 2019 a pour mission de nous faire oublier, particulièrement, les deux dernières lois de finances pour 2017 et 2018 qui ont été les plus traumatisantes avec la cascade de nouvelles taxes qui ont touché presque tous les secteurs et toutes les couches de la population.
C’est d’ailleurs en réaction aux dispositions impopulaires de la LF 2018 que des milliers de Tunisiens sont descendus dans la rue pour protester, avec véhémence parfois, contre cette loi. C’est par miracle que la Tunisie a évité le scénario de la Jordanie.
Le Chef du gouvernement, qui prouve chaque jour qu’il est intéressé par les prochaines échéances électorales, a déjà anticipé. Il avait promis, le 13 juin dernier, qu’ « il n’y aurait pas de taxes supplémentaires sur les entreprises en 2019 ».
Selon nos informations, « Youssef Chahed aurait donné des instructions claires à l’ensemble des ministères afin qu’aucune imposition ne figure dans ce nouveau projet de loi». La même source ajoute également que « la LF 2019 donnera la priorité aux services rendus aux citoyens à travers des crédits spécifiques ainsi que la création de nouveaux types de contrats qui serviront à employer des milliers de jeunes dans les secteurs vitaux ».
En principe et au regard des enjeux en place (prochaine échéance électorale), la LF 2019 sera pro-investissement, procroissance et peu contraignante en matière d’imposition.
Autre coïncidence heureuse en faveur de Youssef Chahed si jamais il entend utiliser la LF 2019 à des fins électorales : dans un communiqué rendu public le 31 août 2018, la mission du FMI, convaincue des « signaux positifs de la reprise de l’économie tunisienne », a décidé, après un séjour de deux semaines en Tunisie, de donner son accord de principe pour le décaissement de la cinquième tranche du crédit de 2, 9
La LF 2019 a pour mission de nous faire oublier, particulièrement, les deux dernières lois de finances pour 2017 et 2018 qui ont été les plus traumatisantes avec la cascade de nouvelles taxes qui ont touché presque tous les secteurs et toutes les couches de la population.
milliards de dollars, accordé en mai 2016, au titre du Mécanisme Elargi de Crédit (MEDC), soit 257 millions de dollars, et ce, sous réserve de l’approbation du Conseil d’administration du Fonds.
Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le gouvernement Youssef Chahed qui s’apprête à soumettre la LF 2019 à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) avant le 15 octobre prochain.
L’avantage de ce décaissement réside dans le fait qu’il va donner le feu vert aux autres bailleurs de fonds (Banque mondiale, BEI , BAD, FMA….) d’accorder à la Tunisie de nouveaux crédits et d’améliorer son image lors de sa prochaines sortie sur les marchés financiers internationaux.
Au plan parlementaire,
la rentrée sera marquée par l’émergence de nouvelles coalitions. La première à se manifester est celle de « la Coalition patriotique ». Elle a été créée par 34 députés indépendants, centristes et modernistes. Cette coalition, le troisième groupe parlementaire de point de vue nombre, serait selon certaines sources acquise à Youssef Chahed.
Un autre projet de coalition parlementaire est en cours, celui de l’alliance entre les partis Nidaa Tounès et Machrou Tounès (70 députés). Ennahdha avec son groupe de 69 députés reste soudé et bien évidemment dangereux. Tout indique qu’on va assister à des prises de bec spectaculaires lors du marathon budgétaire.
Sur le plan social,
la rentrée s’annonce explosive. La centrale syndicale, l’UGTT, qui a toujours plaidé pour le départ de Youssef Chahed l’attend de pied ferme. Deux menaces de grèves sont déjà annoncées : la première a été annoncée par le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Slaheddine Selmi. Il serait question d’« une grève générale dans les entreprises publiques que le gouvernement semble décidé à privatiser, pour obéir aux directives des bailleurs de fonds internationaux ». Selmi a annoncé que l‘UGTT tiendra le 12 septembre 2018 une réunion de sa commission administrative « pour décider des actions à entreprendre en vue de répondre à cette volonté de l’Etat de privatiser les entreprises publiques ».
La seconde est annoncée par le spécialiste des grèves, Lassâad Yacoubi, secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement secondaire. Il a annoncé la couleur le 8 août dernier. D’après ses déclarations : « Les mouvements de protestations des enseignants vont se poursuivre en l’absence de négociations sérieuses avec le gouvernement. Ces protestations débuteront, de ce fait, quelques jours après la rentrée scolaire après les réunions de la Commission administrative ». Moralité de l’histoire : la rentrée sociale et scolaire sera chaude, voire très chaude.
Sur le plan diplomatique,
le ministère des Affaires étrangères a intérêt à oublier ses pérégrinations de la diplomatie économique, en 2018, et à se concentrer sur des signes d’évolution inquiétants chez les deux pays voisins. Le retour de la violence à Tripoli en Libye et l’hospitalisation dans un état critique du Président algérien Abdelaziz Bouteflika en Suisse, avec toutes les conséquences que ces évolutions peuvent avoir sur la sécurité et la stabilité de la Tunisie.
Au final, nous pouvons dire que la rentrée ne sera pas de tout repos. Curieusement, à la présidence de la République, on observe un silence radio assourdissant