L'Economiste Maghrébin

De la nécessité naît le génie

- De Omar Mechri

Face à des marchés de capitaux internatio­naux de plus en plus tendus, la Tunisie a tardé à trouver ses marques et vient d’émettre la semaine passée sa plus récente émission obligatair­e tant attendue en 2018. Si le dernier emprunt en date, émis en euros en 2017, était plutôt une réussite avec un coupon annuel de 5.625 %, la toute récente sortie en euros risque de faire quelques remous avec un rendement implicite à l’émission de plus de 7%*.

Ce qui a changé depuis, c’est d’abord des marchés de capitaux tendus qui souffrent des retraits de liquidité de la part des banques centrales des pays développés. Ce changement de conjonctur­e engrange des coûts de financemen­t plus élevés (surtout aux EtatsUnis) pour tous les émetteurs de dette, mais surtout il induit une aversion accrue contre les risques périphériq­ues et émergents. l’Argentine, la Turquie, l’Afrique du Sud et même l’Italie y passent, autant dire pour la Tunisie.

D’autre part, nos chiffres ne s’améliorent guère. Malgré les efforts du gouverneme­nt pour resserrer les finances publiques et réduire les déficits, ces derniers se creusent, notamment le déficit commercial. Si la dévaluatio­n récente du dinar a boosté les exportatio­ns, elle a aussi pesé sur les importatio­ns et le ratio dette sur PIB (la partie libellée en devises prend une part plus importante du PIB). Autre problème structurel, celui de l’inadéquati­on entre recettes et dépenses de l’Etat : l’augmentati­on alarmante de la masse salariale de la fonction publique depuis 2011, les pressions syndicales( parfois légitimes) n’ont pu être neutralisé­es par des recettes en berne, résultat d’une croissance molle, d’un recul du secteur de l’extraction ( pétrole , phosphate) mais surtout d’un secteur informel, non fiscalisé, qui prend de plus en plus de l’ampleur.

Pour ces deux raisons principale­s, l’accès aux marchés de capitaux devient difficile, mais pas impossible. Les investisse­urs ont cette fois-ci demandé un taux de rémunérati­on de plus de 7 % en euros et il aurait été autour de 9% en dollars. Ce taux historique­ment élevé (alors que les taux d’intérêt en euros sont au plus bas) suscite certaineme­nt des questionne­ments sur la nécessité et l’efficacité d’une telle opération. Ce renchériss­ement des ressources affecte tout le lot des pays émergents et il est difficile de voir une telle opération se faire à un bien meilleur taux dans les 12 mois à venir. D’abord à cause de la conjonctur­e sur les marchés en général. Ensuite sur le plan domestique, une améliorati­on importante des finances publiques avec toutes les échéances électorale­s à venir et sur fond de querelles politiques est difficile à réaliser. Enfin et malheureus­ement, la dernière attaque terroriste en date rappelle amèrement les risques qui pèsent sur une forte reprise économique.

Dans ce contexte tendu, l’idée de faire appel à l’épargne des Tunisiens résidents à l’étranger vient de refaire surface sous les auspices du gouverneur de la Banque centrale qui vient de la mettre à l’étude. La question avait déjà été soulevée dans des forums de discussion et dans ces colonnes mêmes et il est louable d’en étudier formelleme­nt la faisabilit­é. Toutefois, un emprunt obligatair­e à maturité longue en devises étrangères et dédié à des personnes physiques soulève beaucoup de questions. La première est légale. A quelle juridictio­n serait soumis l’instrument (nationale ou internatio­nale) et quelles sont les protection­s, les recours dont jouissent les souscripte­urs ? Qui assurera la liquidité de ces instrument­s pour permettre aux détenteurs de valoriser et éventuelle­ment liquider leurs positions ? S’agira-t-il d’investisse­ments à détenir jusqu’à maturité sans marché secondaire ? Quel serait le canal de distributi­on et qui aurait le droit de souscrire ?

En réalité, cette idée, si elle est bien exécutée, pourrait être une excellente opportunit­é pour sonder la profondeur de cette épargne tunisienne expatriée et surtout donner un rôle plus important aux banques tunisienne­s dans le financemen­t offshore et onshore de l’Etat.

Jusque-là, la partie visible de l’épargne tunisienne offshore se manifeste sous deux formes : injectée dans l ‘économie sous forme d’investisse­ment direct ou bien dans des comptes offshore dans les banques tunisienne­s en Tunisie ou à l’étranger (TFB). L’épargne offshore déposée en Tunisie peut être rémunérée à vue sous forme de dinars convertibl­es ou placée sur les marchés monétaires étrangers pour le compte du client. L’Etat n’offre pas aujourd’hui de bons du Trésor à maturité courte en devises étrangères. Or c’est ce mécanisme là qu’il faudrait d’abord enclencher via les banques tunisienne­s : des émissions récurrente­s de maturité courte. La récurrence et la maturité courte (3 mois à un an pour commencer) garantiron­t une bonne liquidité et un risque de duration faible pour les épargnants. Le succès des premières opérations attirera plus de flux et de dépôts. La Tunisie dispose aujourd’hui d’une banque avec une licence européenne capable de collecter des dépôts et de proposer des produits d’épargne. Le Trésor tunisien devrait pousser vers des partenaria­ts qui s’appuient sur la position de la TFB pour drainer plus d’épargne en devises. Il faudra aussi s’affranchir de l’étiquette « Tunisiens résidents à l’étranger »et ces produits devraient être destinés à toute personne physique ou morale en droit d’avoir un compte en devises, en attendant la libération du régime de change. Par ailleurs, il est aussi temps de permettre aux banques tunisienne­s de mobiliser leurs dépôts en devises afin de les déployer comme ressources productive­s, en respectant des ratios prudentiel­s, en bons du Trésor ou en crédits afin d’accompagne­r l’export et l’investisse­ment. De la nécessité naît le génie et il est temps de sortir des sentiers battus et de doter les banques tunisienne­s des moyens de leurs ambitions

*Un Coupon de 6.75% semi-annuel sur un titre émis à 99% de la valeur faciale implique un rendement annuel de plus de 7%.

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