Des banques rentables au sein d’une économie qui va mal
L’économie tunisienne et les finances publiques tunisiennes vont mal, très mal. Tous les indicateurs, sans exception aucune, le montrent. Ces indicateurs se dégradent de manière continue de période en période. Le citoyen tunisien est bombardé de mauvaises nouvelles par l’ensemble des médias et par les réseaux sociaux. Mais il y a une exception à tout cela : les banques tunisiennes.
En effet, les banques, étant des établissements faisant appel public à l’épargne et étant tous ou la plupart cotées en Bourse , sont tenues de publier leurs résultats tous les trimestres. Et là le citoyen ne comprend plus. Les résultats de la plupart des banques progressent à deux chiffres (plus que 10% de progression) alors que l’économie du pays va si mal. Quelle explication ?
1/ Les banques tunisiennes financent le déficit du Budget de l’Etat
Ceci sonne comme un péché, c’en est un en effet. Les banques ne devraient pas servir à financer le déficit budgétaire, mais elles le font depuis 2011. Et elles continuent à le faire. Il faut rappeler à ce propos que les dépenses de l’Etat ont augmenté au rythme de 10% environ par an depuis 2011 (+17,2% pour l’année 2017), alors que l’économie tunisienne n’a pas réalisé de croissance significative depuis 2011. L’écart a été financé par l’endettement public à hauteur du tiers en dinars (à l’exception d’un emprunt de 250.000 Euros ) auprès des banques tunisiennes et d’autres institutions financières tunisiennes. Les deux autres tiers étaient sous forme de dette extérieure en devises. Mais comme le système bancaire vit une crise de liquidité sans précédent, les banques prêtent à l’Etat en souscrivant à des bons du Trésor à des taux d’intérêt confortables (pour les banques) et se refinancent quasi intégralement auprès de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) à un taux moindre. La BCT fait fonctionner la planche à billets à fond pour maintenir les banques à flot sur le plan liquidités.
Le système bancaire disposait, en 2010, d’un excédent de liquidités estimé à 1 milliard de dinars. En août 2018, le déficit de liquidités, comblé par le refinancement de la BCT avait pointé à 16,5 milliards de dinars. Dans le cadre de ce mécanisme, les banques gagnent une marge nette de 2 à 3% provenant de la différence entre le taux des bons du Trésor (prêt à l’Etat) et le taux de refinancement de la BCT. Cette marge confortable est réalisée par les banques quasiment sans frais de gestion et sans constitution de provisions (s’agissant de l’Etat).
2/ Vingt-deux milliards de dinars
Les bilans de la plupart des banques tunisiennes sont chargés de bons du Trésor. A fin août 2018, l’encours a dépassé les 22 milliards de dinars. Faisons un calcul simple sur la base d’une marge moyenne de 2.5% par an :
22.000.000.000 dinars * 2.5% =500.000.000 dinars.
Oui cinq cents millions de dinars de bénéfice net chaque année provenant des bons du Trésor et donc du financement du déficit budgétaire. Vous avez bien compris. C’est de là que provient une part importante (et exceptionnelle) de la rentabilité des banques. Mais pensons-y un instant ce bénéfice exceptionnel n’est plus véritablement exceptionnel puisqu’il se renouvelle et gonfle d’année en année depuis 2011 et surtout depuis 2012. Pensons-y un instant aussi, ce bénéfice provient, in fine, de l’argent du contribuable. Pour compléter l’image, il faut ajouter à ce mécanisme des bons du Trésor un phénomène de majoration continue des taux de marge d’intérêts et taux de commissions des banques. Arguant de la crise de liquidités, la plupart des banques ont augmenté, de manière abusive parfois, leur rémunération.
3/ Effet d’éviction
Le plus dangereux dans tout cela est l’effet d’éviction. Les banques ont en effet préféré prêter à l’Etat, sans frais et sans provisions, plutôt que de financer les entreprises ou même les particuliers. Les entreprises se sont souvent trouvées évincées du processus d’accès au financement. Et dans le cas où elles ne sont pas évincées, elles doivent payer plus cher le financement et le service. Cet effet d’éviction a deux conséquences graves :
- Le non-accès ou l’accès insuffisant des entreprises au financement freine l’activité économique et aempêche l’entreprise de réaliser tout son potentiel de production, de création de richesses et de création d’emplois.
- Le financement du déficit budgétaire, aux dépens du financement des entreprises, ne permet pas de développer le fonds de commerce de la banque. La vraie valeur d’une banque provient de sa capacité à générer du profit. Et cette capacité à générer du profit dépend de deux éléments essentiels : la clientèle de la banque et son personnel. L’Etat n’est pas un client normal dans banques, et il est ne devrait pas l’être.
Ces dernières années, depuis 2012 notamment, ont été des années de forte rentabilité des banques, mais elles n’ont pas été des années de développement des banques.
4/ La nouvelle orientation de la BCT
La BCT a compris qu’il est impossible, dans les conditions actuelles de la Tunisie, de lutter contre l’inflation par des augmentations successives du taux d’intérêt directeur uniquement. Elle tente dans le cadre d’un projet de circulaire, de réduire la contribution des banques au financement du déficit budgétaire en limitant le recours des banques au refinancement par la BCT sur présentation de bons du Trésor, comme garanties. Elle compte également imposer progressivement aux banques un ratio crédits / dépôts plafonné à 110%. Certaines banques montrent actuellement un ratio de 150%, voire plus.
La rumeur concernant ce projet de circulaire a provoqué une secousse à la Bourse de Tunis. Mais la nouvelle réglementation devrait ramener progressivement les banques à leur métier de base qui est le financement de l’économie. Cette nouvelle réglementation devrait aussi aboutir à calmer l’appétit de l’Etat à obtenir du crédit facile auprès des banques tunisiennes pour financer son déficit budgétaire