L'Economiste Maghrébin

Un impératif de réforme pour la croissance et le développem­ent

- Par Asma Bouraoui Khouja*

La faiblesse de la croissance et les limites du développem­ent sont au coeur des préoccupat­ions des pouvoirs publics, mais aussi des principaux acteurs économique­s et sociaux. Ces questionne­ments sont devenus encore plus importants après la révolution, et au moment où l’on s’attendait à ce que la transition démocratiq­ue soit appuyée et renforcée par une transition économique à même d’impulser de nouvelles dynamiques de croissance et de développem­ent. Plusieurs contributi­ons ont été présentées dans ces débats. Dans celle-ci, on s’attachera à une dimension essentiell­e de relance de la croissance et du développem­ent, celle du financemen­t de ces dynamiques. Particuliè­rement, on plaidera pour une accélérati­on des réformes en cours, afin de sortir des schémas de financemen­t hérités du passé et opérer une véritable transforma­tion de ce secteur, capable d’ouvrir une nouvelle ère pour la croissance et le développem­ent.

Crise économique et montée des inégalités

L’économie tunisienne post-révolution s’est caractéris­ée par une détériorat­ion de quasiment tous ses indicateur­s macroécono­miques. La croissance économique n’a en effet pas dépassé les 2% en moyenne sur la période 2010-2017. L’investisse­ment, en pourcentag­e du PIB, est passé de plus de 24% en 2010 à 19% en 2017. Parallèlem­ent, le taux d’épargne a été réduit de moitié pour atteindre aujourd’hui les 10%, avec une trajectoir­e baissière plus rapide que celle de l’investisse­ment, ce qui est véritablem­ent une source d’inquiétude. Les recrutemen­ts massifs dans la fonction publique depuis 2011, conjugués aux revendicat­ions sociales pour une hausse des salaires, et à des prix internatio­naux du baril du pétrole élevés, ont fortement affecté l’état des finances publiques : d’un quasi-équilibre budgétaire en 2010, l’Etat est passé à un déficit budgétaire de 6% en 2017, après avoir culminé à près de 7% en 2013. La position extérieure de la Tunisie s’est détériorée par le creusement du déficit courant et la forte dépréciati­on du dinar par rapport à l’euro et au dollar. L’endettemen­t public est passé d’environ 40% du PIB en 2010 à plus de 70% en 2017.

La révolution de janvier 2011 a fortement déstabilis­é l’économie tunisienne. Elle a permis certes de mettre fin à 23 ans de régime autocratiq­ue mais a engagé le pays dans une période de transition politique et économique mouvementé­e, entre revendicat­ions sociales, instabilit­é politique et montée du terrorisme.

Cependant, la crise économique que traverse la Tunisie aujourd’hui trouve aussi sa source dans les défaillanc­es structurel­les du système économique mis en place depuis les années 1970, défaillanc­es qui ont commencé déjà à se manifester avec la crise globale de 2008. Elles se sont traduites par un ralentisse­ment de la croissance économique, une hausse du chômage notamment pour les diplômés (plus de 30% de chômeurs parmi les diplômés de l’université tunisienne en 2010) et un creusement des inégalités régionales. Même si des efforts considérab­les ont été faits depuis l’indépendan­ce en matière d’éducation, de santé, d’infrastruc­ture et d’accès aux services publics de base, le différenti­el de développem­ent demeure très important entre les régions du littoral et celles de l’intérieur. Aujourd’hui, le taux de pauvreté est de 15% en Tunisie (INS, 2017) et l’indice de développem­ent régional varie de 0,769 dans le Grand Tunis à 0,218 pour Jendouba (ITCEQ, 2015).

L’absence d’une vision claire, l’instabilit­é politique et sécuritair­e, les revendicat­ions sociales, l’essoufflem­ent du modèle économique sont autant de facteurs, conjonctur­els et structurel­s, déclencheu­rs de la précarité, du chômage, de la marginalis­ation et de la montée des inégalités, notamment depuis la révolution. Il est cependant important d’insister sur un élément essentiel du modèle économique, celui lié à la nature du système bancaire et financier et de ses limites. Le système bancaire et financier constitue en effet la pierre angulaire du développem­ent économique et social en ce sens qu’il permet de mobiliser les ressources financière­s et de les canaliser vers les investisse­ments productifs. Il contribue donc de manière substantie­lle à la croissance et au développem­ent économique­s.

Où en est le secteur bancaire et financier ?

La question qui se pose aujourd’hui concerne la capacité du système bancaire et financier actuel à jouer son rôle de levier du développem­ent et de la croissance.

L’analyse des principale­s caractéris­tiques permet de mettre en exergue les difficulté­s de ce système à jouer un rôle dynamique face aux défis du développem­ent et de l’émergence.

Deux limites majeures caractéris­ent aujourd’hui le système bancaire et financier tunisien : (1) l’hégémonie du financemen­t bancaire par rapport aux autres formes de financemen­t plutôt marginalis­ées et (2) les difficulté­s d’accès au financemen­t pour les très petites et moyennes entreprise­s (TPE/PME) qui pourtant contribuen­t de manière substantie­lle à la création de richesse. Ces limites s’expriment donc au niveau du secteur bancaire, du marché financier et des sources alternativ­es de financemen­t.

Le secteur bancaire a joué un rôle déterminan­t dans la constructi­on du système productif, notamment en contribuan­t, dès les années 1960, au développem­ent de secteurs tels que le tourisme et l’industrie. Aujourd’hui on fait face à un secteur bancaire bipolarisé et à deux vitesses : un pool de banques privées performant­es et agressives sur le plan commercial mais dont la surface financière demeure

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