Entre promesses, contraintes et réalités
Loi de finances et Budget économique 2019
Réunions, rencontres débats et autres séminaires se sont tenus, ces derniers mois, autour des projets de la loi de finances et de Budget économique pour l’année 2019. Décortiqués, analysés, controversés leur examen se poursuit encore et ces deux instruments de politique budgétaire et fiscale n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Annoncés comme l’expression d’une volonté axée sur la relance économique et sociale à travers le soutien à l’investissement, au développement régional, à l’emploi, à la numérisation et à la lutte contre la fraude fiscale et le marché parallèle, leur contenu n’a pas été épargné de critiques associées à des propositions d’aménagement lors de la rencontre organisée, par l’Association Solidar, le 7 novembre dernier, précisément à la veille de la réunion de la commission des finances, de la planification et du développement à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) présidée par le député Mongi Rahoui, présent activement pendant toute la durée de la rencontre.
Une excellente occasion, pour ce qui le concerne, de prendre le pouls auprès de la cinquantaine de professionnels présents, représentant différents secteurs d’activité, Industrie, agriculture, services, société civile sans oublier les médias.
L’originalité de l’exercice, introduit par Mme Lobna Jeribi, qui préside l’Association, a consisté en la présentation de la lecture faite par Solidar des deux textes, ses vues et ses propositions d’aménagement suivies des réactions faites par les représentants des deux départements ministériels concernés, à savoir celui du développement, de l’investissement et de la coopération internationale et celui des finances.
Un certain écart en matière d’objectifs et d’agrégats économiques.
Essayons de nous fixer les idées face à la masse d’informations chiffrées reçue en moins de quatre heures.
Lobna Jeribi en a repris l’essentiel dans son introduction en mettant l’accent sur les discordances relevées entre la vision du ministère des Finances et les orientations du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale. La présidente de Solidar a affirmé que cette discordance s’est révélée
à l’occasion d’une évaluation des mesures retenues dans le cadre des lois de finances des années 2016, 2017 et 2018. Une comparaison multiple entre les objectifs fixés dans le cadre du Plan quinquennal 20162020, celui du Programme Economique et Social à l’horizon 2020 (qui semblent avoir été oubliés, comme elle l’a souligné), se trouve être en total décalage avec les prévisions des lois de finances successives. Ainsi les performances enregistrées, qui n’ont pas fait l’objet d’évaluation, démontrent un certain écart en matière d’objectifs et d’agrégats économiques. A cet égard, elle a mis l’accent sur la nécessité d’une meilleure coordination entre les deux départements cités.
Pour ce faire, elle préconise l’adoption d’un plan d’actions axé sur la convergence des politiques économiques s’appuyant sur une cartographie des principaux acteurs intervenants, l’évaluation et l’impact des précédents projets de loi. En outre, Lobna Jeribi a mis en garde contre le flou de la nouvelle mesure qui stipule, dans un souci de bonne gouvernance, l’harmonisation des avantages fiscaux entre les entreprises onshore et offshore en avançant que la convergence onshore-offshore doit s’exercer à travers un nivellement par le haut pour les entreprises tunisiennes et non le contraire !
Les critères sur lesquels se sont basés les rédacteurs du projet de la LF
De son côté le député Mongi Rahoui n’a pas manqué de souligner que les différentes mesures préconisées vont davantage opprimer les populations dans la précarité, qui ont déjà souffert de l’exercice 2018. Il s’attend à une année 2019 encore plus difficile tant les dispositions de la loi de finances ne poussent guère, selon lui, à l’optimisme.
Les éléments saillants soulevés par le député ont été les critères sur lesquels se sont basés les rédacteurs de ce projet. Ce qui inquiète le plus est d’avoir retenu l’hypothèse d’un prix du pétrole au niveau de 75 $ le baril, combinée à la poursuite de la détérioration du dinar complétée par une inflation galopante qui mine le pouvoir d’achat du citoyen.
Cet ensemble, selon le député, rend difficilement réalisables les objectifs visés par le gouvernement, à savoir contenir l’inflation, réduire le déficit budgétaire de 4,9 % en 2018 à 3,9 % en 2019 puis à 3 % en 2020 et ramener la dette en dessous de la barre des 70 % du PIB.
Par ailleurs, Mongi Rahoui a affirmé que des améliorations peuvent être apportées au projet de loi. Ces améliorations doivent toucher les axes suivants : la lutte contre l’informel, l’évasion fiscale, la corruption et la bonne gouvernance des ressources naturelles.
Concernant la lutte contre la fraude fiscale, estimée comme mollement engagée par l’Etat, la représentante du ministère des Finances à cette rencontre de Solidar a annoncé que certaines mesures préventives sont préconisées comme la justification du règlement à l’enregistrement des contrats.
A ce sujet l’exigence de données justificatives ne concernerait pas les activités des cabinets d’avocat ou de médecins, ces professions étant tenues par le secret professionnel. Cet argument pourrait être également avancé, selon un intervenant dans les débats, aux cabinets d’expertise
comptable eux-mêmes tenus par le respect de cette même déontologie.
Enfin il est également possible de citer, parmi les critiques, l’absence de recul et d’évaluation de mesures précédemment prises comme l’augmentation des droits de douane et de la taxe à la consommation sur
certains produits (LF2018) qui a visiblement renforcé l’informel sans l’impact supposé de maîtrise des importations. De plus, elle a accru les coûts des intrants de production, affaiblissant de fait la compétitivité d’un tissu industriel déjà fragilisé.
Parions que les différents éléments soulevés lors de cette rencontre vont faire l’objet d’un large débat au sein de la commission qui siège en ce moment avec l’audition des différents départements concernés.
Il s’agit là de l’ultime étape avant sa discussion et son adoption, au plus tard le 10 décembre par l’ARP.
Un budget à caractère expansionniste en croissance de 8,5%
Il reste toutefois un reproche qui peut être formulé sur ces deux projets, dans lesquels il n’est nullement fait allusion à l’impérative politique d’austérité qui doit être menée au niveau des dépenses publiques, toujours en dehors des clous des exigences des bailleurs de fonds. L’on est, bien au contraire, face à un budget à caractère expansionniste en croissance de 8,5%.
La Tunisie n’est certainement pas, aujourd’hui, dans une situation des plus confortables. Mais au-delà de tout discours populiste, l’on se doit d’accepter le principe d’un sacrifice probablement encore acceptable actuellement mais qui, demain, sera encore plus douloureux et insupportable.
Question de choix mais il n’est pas exclu que l’année 2019, étant une année électorale, a certainement eu une part d’influence sur l’exécutif dans l’élaboration des projets de loi de finances et de Budget économique pour l’année à venir