Les Béjaois mobilisés pour défendre leur pôle de compétitivité
Qui l’eût cru ? A l’initiative du gouverneur de la région de Béjà, Slim Tissaoui, environ mille Béjaois, de hauts cadres administratifs, des députés, des représentants de la société civile, des chefs d’entreprise, de simples citoyens se sont rassemblés, samedi 10 novembre 2018, à l’amphithéâtre de l’Ecole supérieure des ingénieurs de Medjez el Bab pour débattre, avec des représentants du gouvernement et des organisations nationales (Ugtt, Utica, Utap…), du blocage de l’étude du pôle de compétitivité Jinene Medjerda en dépit de la disponibilité d’un financement de 2,5MDT, fourni spécialement à cette fin sous forme de don par le Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES) et d’un bureau d’études sélectionné en l’occurrence pour mener l’étude . L’ambiance était tout simplement électrique
Jinene Medjerda c’est quoi tout d’abord ?
Ce mégaprojet, dont le coût est estimé à 2000 MDT, consiste à aménager, à 70 km de Tunis, sur 900 hectares de terres domaniales localisées sur les monticules du village Oued Zarga (gouvernorat de Béja) d’une nouvelle ville intelligente « Smart City » autour d’une université (College Town). Il s’agit de capitaliser en amont sur l’amélioration de l’enseignement, la formation et l’encadrement pour promouvoir des activités agricoles, agro-forestières et éco-touristiques avec en aval le développement d’industries agroalimentaires et biotechnologiques propres, ainsi qu’une station photovoltaïque flottante de 5 mégawatts, l’ensemble soutenu par des industries et services adaptés.
L’objectif stratégique est de conférer à la production agricole de la région une forte valeur ajoutée et de créer les conditions de restructuration et de transformation profonde de l’économie du Nord-Ouest à travers l’amélioration des compétences technologiques et de gestion des exploitations agricoles et l’introduction de nouveaux produits à haute valeur ajoutée à l’export.
Plus simplement, ce pôle de compétitivité à forte employabilité développé dans le cadre d’un partenariat public/privé (PPP), à l’instar de la Société de promotion du lac de Tunis, se propose de mettre la technologie au service de l’agriculture, d’accroître le chiffre d’affaires agricole, de créer à terme 24 mille nouveaux emplois directs et indirects dont un bon pourcentage d’ingénieurs et de gestionnaires qualifiés.
Les Béjaois tiennent à ce projet parce qu’il va améliorer l’attractivité de la région à travers, en amont, l’amélioration de la qualité de l’enseignement, de la formation et de l’encadrement pour promouvoir des activités agricoles, agroforestières et éco-touristiques avec en val le développement d’industries agroalimentaires et biotechnologiques propres, ainsi qu’une station photovoltaïque flottante de 5 mégawatts, l’ensemble soutenu par des industries et services adaptés.
Où en est le projet ?
Lancé depuis 2011, le projet dont l’étude de faisabilité a été confiée le 27janvier 2017 à un groupement de bureaux d’études Ernest-Young / Scet pour un forfait de 1.7 million DT, et ce, après approbation de l’appel d’offres et du contrat d’étude par le ministère du Développement et de la Coopération internationale et par le donateur.
Seulement, après un début d’étude sans encombre pendant 4 mois et l’avancement de l’ordre de 25% des travaux prévus par le contrat d’étude, le refus du paiement de la première facture due à la signature du contrat a obligé le bureau d’études à suspendre le contrat depuis début juillet 2017.
Ni les manifestations de la société civile, ni les très nombreuses interventions des responsables régionaux et nationaux , ni la décision du Chef du gouvernement, du 15 août 2017, ni les promesses fermes du ministre du Développement en séance spéciale à l’Assemblée des représentants du peuple du 24 février n’ont permis de débloquer la situation du contrat depuis 15 mois.
Il semble qu’un lobby administratif au sein des ministères de l’Agriculture et du Développement, qui serait derrière ce blocage, craint que la construction de ce pôle de compétitivité puisse menacer le barrage Sidi Salem et polluer ses eaux.
Qu’en pensent les experts ?
Selon Marouen Taleb, ingénieurchercheur, le diagnostic territorial établi par l’étude du schéma directeur
d’aménagement et de développement du gouvernorat de Béjà, étude élaborée par la Direction générale de l’aménagement du territoire, a identifié un ensemble d’opportunités et d’avantages favorables à la faisabilité de Jinene Medjerda. Parmi ces facteurs, il a cité un milieu physique diversifié mais favorable malgré certaines vulnérabilités, un faible dynamisme socioéconomique généralisé traduit par le niveau des investissements, la dynamique démographique et la rareté des stratégies sectorielles régionales.
Ce diagnostic fait état également d’autres avantages à valoriser : une situation géographique de carrefour régional peu valorisée malgré une bonne densité routière, un patrimoine historique et archéologique insuffisamment valorisé, un milieu urbain peu attractif alors que le milieu rural est répulsif et enfin, la proximité du Grand Tunis qui ne profite jusque-là qu’à la délégation de Mejez El Bab. Pour lui le message est des plus clairs. Pour peu que ce pôle de compétitivité voie le jour, les Béjaois n’auront plus à regarder dans la direction de Tunis ni à tourner le dos à Béjà.
Le relayant Sami Zaoui, représentant du consortium des bureaux d’études qui a entamé l’étude de faisabilité du projet avant de la suspendre, a évoqué d’autres atouts qui peuvent être valorisés par le canal de ce mégaprojet. Parmi ces derniers figurent, une région riche en ressources humaines et naturelles et un potentiel sous-exploité (faible valorisation des ressources et rareté des projets de développement). Mieux l’expert voit dans le pôle de compétitivité de Jinene Mejerda « un concept de développement régional inclusif et durable pour booster le développement dans la région économique du Nord-Ouest ».
Il devait ensuite énumérer des projets de pôle de compétitivité similaires qui ont réussi à travers le monde et dont Jinene Medjerda pourrait s’inspirer. Il s’agit entre autres de University of California aux EtatsUnis (production agricole et forestière), Agri- Ouest innovation en Midi Pyrénées et Aquitaine en France (agriculture et agroindustrie), centrale solaire flottante de Kyocera au sud-est de Tokyo au Japon. Construction d’un parc solaire flottant de 180 000 m2 sur la surface du plan d’eau, la région du Tyrol en Italie (activité agrotouristique…) et Green city à Freiburg en Allemagne, un site qui concilie l’écologie « douce » et l’économie « dure ».
Appui inconditionnel au projet des organisations nationales et de la société civile
Intervenant, les représentants des organisations nationales en l’occurrence, Bouali M’barki, secrétaire général de la centrale syndicale, Samir Majoul, président de l’Utica et Naceur Amdouni, président de l’Union régionale de l’agriculture et de la pêche de Béja, se sont engagés à parrainer le projet, à le soutenir et à faire pression sur le gouvernement pour l’amener à débloquer la situation.
Lors du débat instauré par la suite, les représentants de la société civile ont déploré, à gorge déployée, la fâcheuse tendance de l’administration à suspendre l’étude de faisabilité du projet alors que toutes les conditions sont réunies pour l’effectuer dans de bonnes conditions (financement…).
Ils se sont interrogés sur les intentions réelles de lobbys administratifs qui ont condamné la faisabilité du projet alors que les études ne se sont pas encore prononcées sur le projet.
Le débat s’est achevé par des propos sages et pragmatiques de Omar Béhi, ministre du Commerce, qui assistait à ce rassemblement en tant que fils de la région. Tout en s’engageant à tout faire pour refaire démarrer les études, il a appelé toutefois les initiateurs du projet, la société Jinene, à faire preuve de flexibilité et à accepter un changement de site si jamais l’étude l’estime nécessaire.
Au final, les Béjaois sont unis autour de ce projet. Ils sont déterminés à défendre, par tous les moyens, leur droit de rêver et de disposer un jour d’un pôle de compétitivité qualitatif qui ne manquera pas de tirer vers le haut leur région