MILLEFEUILLE ET TARTE À LA CRÈME
N’importe quel pâtissier amateur fait la différence entre ces deux gâteries. A partir du moment où le même amateur se met à la politique dans sa version locale il ne fera plus la différence entre millefeuille et tarte à la crème. L’usage est désormais établi que les serviettes politiques servent de torchon, l’inverse étant tout à fait envisageable. Maintenant, quand on dit millefeuille, il ne faut rien exagérer : il n’y a pas de millefeuilles différents dans un seul gâteau et le beurre des intervalles est bien souvent frelaté. On ne sait pas très bien si les services de contrôle et d’hygiène relèvent du paradigme de la corruption, toujours est-il que les pâtisseries ne sont plus ce qu’elles sont supposées afficher et la politique se résume à des intentions, le plus souvent des effets d’annonce trompeurs, comme en politique.
Le renouvellement des spectacles mis à l’affiche et annoncés à grands cris est assuré, il faut dire. Les derniers en date concernent le bidouillage d’un remaniement ministériel d’un côté et le foot de l’autre, pour ne rien changer aux habitudes. Pour ce dernier, le spectacle est dans la rue et dans les « chauffeurs » de salles. On croyait le pays en crise économique ouverte, il n’en est rien. La tarte à la crème du foot est régulièrement resservie pour donner du plaisir aux grands enfants, quitte à gaver de sucreries le commun. Même le chef de l’ancien nouveau gouvernement a cru nécessaire de s’en mêler, histoire de varier le plaisir d’avancer en reculant. Dans l’euphorie des conquêtes surannées du foot, l’affaire de l’attentat terroriste en pleine avenue a dû passer à la trappe. On pensait aussi que la question controversée de la loi en préparation sur l’héritage allait accaparer l’attention, on se rend compte qu’il ne s’agissait que d’une feuille comme une autre. L’automne, c’est la saison des feuilles mortes, celles des arbres que la crue des oueds a laissés encore debout.
La politique des millefeuilles consiste à multiplier les strates de pâtes pour laisser l’impression de richesse, dans les arrièreboutiques des pâtisseries comme dans les armoires à balais de la politique. Au final, nous avons obtenu le dernier gouvernement dont presque personne ne comprend vraiment la pertinence. Il y a bien des noms et des appartenances politiques, au moins sur le papier. Or, tout le monde sait, par expérience, que ces étiquettes ne correspondent à aucun projet économique de nature à affronter la crise économique, sociale et sécuritaire. Les nominés ne sont pas les seuls en cause, mais on leur souhaite tout de même du bon temps et beaucoup de courage pour lire les multiples feuilles des routes, ces routes qui ne convergent jamais.
Juste pour le rappel : il y a des feuilles pour l’indemnisation des sinistrés des inondations, d’autres pour la transition dans la justice, quelques unes au sujet de l’accumulation des dettes, une rame de papier pour les trous dans les caisses sociales, sans parler du carton (rouge certainement) de la menace de grève générale. La répartition des portefeuilles a fait beaucoup jaser, mais c’est sans commune mesure avec ce qu’il va falloir endurer quand tout le monde va en baver. Y. Chahed serait, selon les gazettes, candidat à la présidentielle en 2019, mais cela n’intéresse que les professionnels des tartes à la crème qui s’agitent en girouette, selon la direction du vent. Pour le commun, boucler les fins de mois est une prouesse incommensurable, avec ou sans pâtisseries. Le dernier remaniement ne répond vraisemblablement pas à cette urgence comme la tarte à la crème ne remplace pas la pénurie de médicaments et de lait.
Dans la logique des millefeuilles, il est admis que la République, et les représentants de la République, aient droit à une feuille dite de route. Comme pour les sanitaires, la nouveauté consiste à user de « multicouches ». Tout comme pour la pâtisserie : une feuille pour donner de la consistance au produit, quitte à en appliquer plusieurs pour obtenir du volume. Le millefeuille est un en-cas, juste pour tenir la route qui promet d’être encore plus longue. On rajoutera dans l’intervalle de la crème prise à la louche, ce qui est louche étant par définition preuve de sérieux. Pour la crème il faut du lait, mais nous avons déjà notre histoire belge, rien à craindre. On aurait pourtant pu se passer de cette importation de lait, juste en attendant l’application de « notre » prochaine loi de finances, puisqu’il est avéré que le contribuable va continuer à jouer le rôle de vache à lait et de cochon de payeur. Le marasme économique et l’argent de contrebande ne rentrant décidément pas, il faut bien que quelqu’un paye le gâteau amer puisque rassis. La cerise sur le même gâteau est cet accord historique, et non hystérique comme certains prétendent, entre Hafedh Caïd Essebsi et Slim Riahi.
Les intéressés s’en vantent comme du projet devant tout régler et, surtout, devant terrasser l’hydre de la Kasbah. Que le paquet cadeau n’ait fait que des mécontents et des démissionnaires est probablement anecdotique. La pâtisserie politique n’est pas faite pour se mettre quelque chose sous la dent mais pour tromper les gogos et nourrir les malins. Et comme si les couches successives ne suffisaient pas, BCE en a rajouté une sur l’absence de concertation avec Chahed au sujet des ministres nommés. Tout le monde userait de ses prérogatives constitutionnelles, ce qui ne va guère aider à endiguer la hausse du prix des millefeuilles et des tartes.
Comme pour la brioche qui remplacerait le pain, les tartines restent le seul lot de consolation