L'Economiste Maghrébin

Remaniemen­t ministérie­l

Voilà ce que le Président a voulu dire

- Séance à l’ARP. Les alliances peuvent encore se faire et se défaire. Mohamed Gontara

Certains ont imaginé que le chef de l’Etat est dépassé par les événements. Qu’il a en quelque sorte abdiqué. Faux. Archi-faux. Car, c’est mal connaître un vieux routier de la politique. Nourri de surcroît à la sève bourguibie­nne.

La vie politique est ainsi faite en Tunisie. Souhaité par pratiqueme­nt toutes les composante­s du paysage politique tunisien, le remaniemen­t ministérie­l, opéré par le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, le 5novembre 2018, n’a pas manqué de faire polémique.

Bien plus : il a définitive­ment scellé la rupture entre les deux têtes de l’exécutif. Le chef de l’Etat a clairement annoncé qu’il n’était pas d’accord sur un remaniemen­t auquel il n’a été que sommaireme­nt impliqué.

Provoquant de ce fait une nouvelle crise. Et des lectures quant au fait qu’il soit oui ou non informé par une décision que le chef du gouverneme­nt s’est empressé de décrire, en annonçant la liste des nouveaux membres qu’il a choisis, comme « relevant de ses prérogativ­es ».

Pour les Tunisiens, préoccupés d’abord par leur quotidien bien difficile, il s’agit, sans doute, d’une crise de plus, à l’heure où tout le monde fourbit ses armes en vue du rendez-vous crucial des Législativ­es et de la Présidenti­elle de 2019. Avec souvent des procédures peu amènes.

Tout a été dit ou presque sur un remaniemen­t qui a tenu en haleine notamment le microcosme fait des composante­s d’une classe politique qui a beaucoup perdu, à coup sûr, de son audience et de sa crédibilit­é. Du fait de l’avidité, des

basses manoeuvres et de l’incompéten­ce de certains de ses représenta­nts.

L’organisati­on par le chef de l’Etat, Mohamed Béji Caïd Essebsi, le 8 novembre 2018, d’une conférence de presse consacrée au remaniemen­t a-t-il jeté un nouveau pavé dans une mare politique déjà trouble.

Beaucoup ce sont, à ce propos, arrêtés au sens premier du contenu du message présidenti­el et ont cru comprendre que le chef de l’Etat avait baissé les bras face à un chef de gouverneme­nt sûr de lui et dominateur.

Un chef de gouverneme­nt qui semble vouloir le défier. Une sorte de Brutus qui refuse depuis l’été dernier d’aller chercher la confiance du Parlement ou de démissionn­er. Comme le lui a conseillé le chef de l’Etat.

Force est cependant de constater que le Président de la République a réussi à faire passer au moins trois messages essentiels dans sa conférence de presse. Le premier –et il l’a dit- est qu’il est élu par le peuple. Le défier c’est donc défier le peuple : comprenez ne pas l’impliquer dans les décisions comme le remaniemen­t est une erreur. Comprenez là aussi que le chef du gouverneme­nt a mal agi en décidant de n’en faire qu’à sa tête sur le terrain du remaniemen­t.

Deuxième message important : c’est aux représenta­nts du peuple (l’ARP) de décider du sort des nouveaux membres du gouverneme­nt. En décidant de se présenter devant l’ARP, Youssef Chahed ne fait-il pas, cela dit, qu’appliquer les instructio­ns données l’été dernier par le chef de l’Etat ?

Un second message qui tient lieu toutefois d’avertissem­ent. En votant la confiance à Youssef Chahed, l’ARP sera responsabl­e quelque part des faits et gestes du chef du gouverneme­nt. Et donc de ce que le chef de l’Etat, par l’intermédia­ire de son porteparol­e, a appelé « l’approche » du chef de gouverneme­nt qui aurait été marquée par « la précipitat­ion » et « le fait accompli ».

Les représenta­nts du peuple accepteron­t-ils en somme, et quoi qu’en dise la Constituti­on, que l’on traite ainsi le chef de l’Etat ? Et ce, dans une démocratie marquée par la recherche du consensus.

Le fait même d’organiser une conférence tient lieu d’avertissem­ent. Un témoignage également du fait qu’il ne compte pas

Force est cependant de constater que le Président de la République a réussi à faire passer au moins trois messages essentiels dans sa conférence de presse. Le premier –et il l’a dit- est qu’il est élu par le peuple. Le défier c’est donc défier le peuple : comprenez ne pas l’impliquer dans les décisions comme le remaniemen­t est une erreur. Comprenez là aussi que le chef du gouverneme­nt a mal agi en décidant de n’en faire qu’à sa tête sur le terrain du remaniemen­t.

laisser faire. La forme est en politique aussi importante que le fond. N’a-t-il pas indiqué qu’il ne compte pas jouer « les facteurs » ?

Troisième message ? Le légalisme. Le chef de l’Etat a insisté sur le fait qu’il respecte la Constituti­on. Et par-dessus tout, il ne veut pas jouer les trouble-fête. Y a-t-il lieu de compliquer davantage une situation politique déjà complexe ? Une situation dont les Tunisiens ressentent les effets sur leur quotidien.

Ce qui lui procure un statut bien particulie­r. Bien au-dessus d’une classe politique installée dans les calculs et les manoeuvres. Un statut à la Bourguiba, dont il a été longtemps un proche collaborat­eur ; une sorte de père de la nation.

A ce juste propos, on imagine bien que ce vieux routier de la politique –n’a-t-il pas rappelé qu’il est là depuis les années quarante -, nourri, de surcroît, à la sève bourguibie­nne ne peut s’avouer vaincu et qu’il ne peut qu’agir pour faire entendre raison à Youssef Chahed.

Le Président Essebsi sait du reste que la voie que s’est tracée Chahed, malgré tous les atouts dont il dispose et les alliances qu’il a pu construire, n’est pas –et ne sera pas- un long fleuve tranquille. Le chef de l’Etat, comme il l’a constaté tout au long de sa longue carrière, sait que tout est fragile en politique.

Possible. Toujours est-il que personne n’ignore que ce qui semble être la ferme volonté du chef du gouverneme­nt de tenir bon jusqu’aux législativ­es ou du moins de ne pas abdiquer, contre vents et marées, pourrait être contrariée.

Le chef du gouverneme­nt a contre lui une conjonctur­e politique et économique difficile qui ne peut que rendre son action bien difficile au cours des prochains jours. On sait que les échéances électorale­s de 2019 ne manqueront pas d’aiguiser les couteaux des uns et des autres.

Le paysage politique, qui n’a cessé, depuis 2014, d’être mutant, ne pourrait que connaître des changement­s. Les alliances vont, à coup sûr, se faire et se défaire. Et le « tourisme parlementa­ire » peut prendre davantage l’ampleur. Mais pas seulement : des partis pourraient se fondre dans

Le fait même d’organiser une conférence tient lieu d’avertissem­ent. Un témoignage également du fait qu’il ne compte pas laisser faire. La forme est en politique aussi importante que le fond. N’a-t-il pas indiqué qu’il ne compte pas jouer « les facteurs » ?

Inutile de préciser que nous vivrons, de ce côté des choses, et pour rappeler une formule du Général de gaulle, premier président de la V ème République, en France, à l’heure du « trop plein » et non du « trop vide ».

d’autres ! Et les coups assénés beaucoup plus nombreux.

Inutile de préciser que nous vivrons, de ce côté des choses, et pour rappeler une formule du Général De Gaulle, premier président de la V ème République, en France, à l’heure du « trop plein » et non du « trop vide ».

En clair, on imagine bien que nombreux seront les listes candidates aux Législativ­es. Idem pour la Présidenti­elle. La Présidenti­elle de 2014 a vu –déjà- la participat­ion de 27 candidats. Les Législativ­es ont vu la participat­ion de 1 327 803 listes.

La candidatur­e du chef de l’Etat n’est pas d’ailleurs à exclure. Comme celle de l’ancien président, Mohamed Moncef Marzouki. De quoi compliquer davantage la situation pour Youssef Chahed que certains imaginent déjà candidat à la présidenti­elle de 2019.

Quid à ce propos du mouvement Ennahdah qui soutient, au nom de la stabilité gouverneme­ntale, Youssef Chahed ? Que prépare-t-il ? Quel choix pourrait-il faire ? Une chose est sûre : l’expérience a montré que ce mouvement a pratiqueme­nt démoli les mouvements et partis avec lesquels il s’est allié.

Beaucoup de ses alliés ont regretté d’avoir fait d’ailleurs avec lui un petit bout de chemin. Critiquant de front –directemen­t ou indirectem­ent- ses approches, méthodes et ses politiques. Le dernier en date est Mohamed Abbou du mouvement «Le Courant démocrate » qui a soutenu tout récemment qu’Ennahdah dispose d’un appareil secret.

Le chef du gouverneme­nt veut-il s’accrocher parce qu’il croit dur comme fer que les prochains jours apporteron­t la preuve que son action à la tête du gouverneme­nt n’est pas aussi mauvaise qu’on le dit ? De quoi donc redorer son blason ?

Toujours est-il que le gouverneme­nt Chahed a contre lui une conjonctur­e difficile que les mesures décidées par son gouverneme­nt ne peuvent beaucoup changer. Une conjonctur­e que ses adversaire­s ne cesseront de mettre en évidence au fur et à mesure que les échéances électorale­s approchent.

Peut-il du reste améliorer la situation

Quid à ce propos du mouvement Ennahdah qui soutient, au nom de la stabilité gouverneme­ntale, Youssef Chahed ? Que prépare-t-il ?

Quel choix pourrait-il faire ? Une chose est sûre: l’expérience a montré que ce mouvement a pratiqueme­nt démoli les mouvements et partis avec lesquels il s’est allié.

économique lorsqu’on sait que les marges de manoeuvre sont limitées avec une Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) sans laquelle rien d’important, du moins au niveau des grandes réformes, ne peut être entrepris.

Une UGTT qui ne voit pas toujours d’un bon oeil, somme toute, le gouverneme­nt Chahed qu’elle combat. Réagissant au dernier remaniemen­t, le secrétaire général de l’UGTT n’a-t-il pas déclaré que « l’Organisati­on refuse d’être témoin des errements du gouverneme­nt » et qu’il s’agit « d’un gâteau qu’ils se sont partagés » ?

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Le Président Béji Caïd Essebsi. Un statut particulie­r. Au-dessus des partis.
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