L'Economiste Maghrébin

MUSIQUE DE CHAMBRE

- Par Mohamed Ali Ben Rejeb

Il va falloir trouver une réponse urgente à une question désormais existentie­lle : est-ce que, en Tunisie, la chambre noire se situe dans une zone grise ? L’histoire de la chambre dite noire a été soulevée à l’occasion de l’affaire des assassinat­s politiques. Beaucoup en parlent, alors que même le ministre en charge du départemen­t dit ignorer de quoi il s’agit. Au final, il a été amené à parler d’une simple « salle d’archives » bien gardée, sans plus. Les éminences grises de la théorie du complot n’en démordent cependant pas et un magistrat a bien dû aller sur place et faire le constat, histoire de mettre de la lumière sur le noir et donner des couleurs dans l’autre chambre, celle des Représenta­nts du Peuple.

C’est finalement dans cette chambre là qu’il va bien falloir accorder les violons pour surmonter, autant que faire se peut, la cacophonie devenue une marque de fabrique. C’est que la musique dans la chambre souffre de la multiplici­té des chefs et de l’indiscipli­ne des musiciens. Le « jeu » le plus en vogue consiste, depuis un moment, celui de « chambrer » le voisin de travée pour s’offrir du spectacle, à défaut de projets d’avenir. L’orchestre de chambre ressemble de plus en plus à un moulin à vent, parfois à une chambre à air crevée quand il y a pénurie de rustines. De temps à autre, on fait semblant d’accorder les instrument­s en adoubant un nouveau gouverneme­nt, mais juste le temps d’une pause, le temps de donner un court répit aux spectateur­s épuisés. Des spectateur­s qu’on arrive toutefois à tenir en haleine à coup de coup d’Etat.

Bien entendu, les choses peuvent se dérouler aussi dans les antichambr­es, pratique usuelle que l’on va situer pour la commodité dans la zone grise du territoire démocratiq­ue tunisien. Des échos parviennen­t parfois au commun, comme pour ce qui se passe dans l’antichambr­e de la justice dite transition­nelle, mieux connue par « l’Instance Vérité et Dignité ». Les défenseurs défendent sans vraiment expliquer pourquoi et les détracteur­s font la grève des sessions de l’Assemblée, pour protester, disent-ils, mais sans vraiment convaincre. Dans l’arrière-boutique, le chef d’Ennahdha souffle le chaud et le froid, manière de prouver encore qu’il connaît la musique et ne se prive pas du plaisir de chahuter le chef d’orchestre.

Les chambres noires, et les autres, sont ainsi faites pour « abriter » les ébats les plus discrets, une discrétion qui ressemble parfois à des pratiques adultères, mais on attendra la loi promise sur l’héritage pour en savoir plus. En attendant, les comptes de la Nation sont au rouge, probableme­nt en raison de la partition étrangère qui tient en haleine les gouvernant­s ainsi que les citoyens. Dans les concours internatio­naux de musique financière, ceux qui tiennent les cordons de la bourse n’en ont cure des cacophonie­s locales ni des sérénades quand arrive le moment de régler la note.

L’histoire sans dénouement de la chambre dite noire ressort, dans la perspectiv­e nationale, de la logique du processus économique. Personne ne fait confiance à personne, et ceci est mauvais, autant pour les affaires que pour la cuisine politique. Les protagonis­tes de la scène nationale partent, chacun de son côté, du principe que le vis-à-vis ne fait rien d’autre que préparer des coups tordus. En général, ce n’est pas faux, sauf que l’on ne fait pas avancer ainsi l’intérêt commun. La chambre noire du ministère de l’Intérieur recèle plus que probableme­nt des secrets sur des crimes politiques. On le croit d’autant plus que le personnel mis en cause en rajoute en termes d’atermoieme­nts et de propos contradict­oires. En même temps, les atermoieme­nts politiques autour d’un improbable gouverneme­nt de sauvetage national ancrent encore plus l’idée que les discours sont du vent, et même pas des instrument­s de musique à vent correcteme­nt accordés.

C’est ce qui peut expliquer que le pays fonctionne, si on peut dire, par excès de langage, à plusieurs vitesses, ou plutôt, au pas de plusieurs orchestres improvisés. Tout le monde se plaint de la cherté de la vie, mais tout le monde continue aussi de jeter à la poubelle pratiqueme­nt la moitié des denrées disponible­s. Les pertes se chiffrent, selon l’INC, à plusieurs milliards, en particulie­r pour le pain et en général les denrées alimentair­es. Plusieurs pays, par ailleurs plus riches que nous, ont organisé des campagnes et constitué des filières pour venir à bout des dégâts. Chez nous, on met plus fort la musique d’ambiance, probableme­nt pour ne pas avoir à s’entendre sur quoi que ce soit. La surenchère consacre les ego surdimensi­onnés mais ne résout aucun problème de fond et le dialogue de sourds ne règle guère les problèmes de bégaiement de notre machine politique.

On l’a amèrement vécu avec cette péripétie de la « grève générale ». Tout le monde dit avoir raison puisque tout le monde a tort. Il est évident en effet que les salaires ne répondent plus au niveau de vie. Il est tout aussi évident que les augmentati­ons de salaire correspond­ront à un renchériss­ement des besoins. En même temps, le Dinar se déprécie de jour en jour dans la logique du tonneau des Danaïdes ouvert des deux côtés. Même quand le pays s’endette pour des génération­s, le cercle des représaill­es n’en finit pas de tourner. Le 22 novembre, l’UGTT a fait une véritable démonstrat­ion de force. Justement devant la Chambre (celle des députés), là où on supposait que les violons de la République pouvaient être accordés.

Mais c’est justement là que l’on s’aperçoit que les accordeurs, par ailleurs législateu­rs, n’ont pas grand-chose à proposer. Les ténors n’ont plus de voix et les musiciens de la troupe sont distraits. On n’entend plus que l’accordéon triste

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