L'Economiste Maghrébin

2018, ? fin ou renouveau du multilatér­alisme

- Par Joseph Richard

Avec la fin de la guerre froide et une puissance économique et militaire américaine devenue incontesta­ble, le multilatér­alisme semblait pouvoir trouver une efficacité que l’opposition entre Washington et Moscou entravait par l’usage du véto, des votes automatiqu­es selon le camp dans lequel on se plaçait , par un monde coupé en deux et en proie à des rivalités d’influence. Portée par le magistère moral du Président Bush – le père, pas le fils -, cette conception paraissait pouvoir enfin s’installer. Le monde ancien était fini, l’agressive Irak sanctionné­e internatio­nalement sans qu’un véto s’y oppose ; les dividendes de la paix pouvaient être encaissés , notamment par une Europe prompte à réduire ses dépenses pour financer un modèle social porté à l’état d’exemple pour le reste de l’humanité.

Du multilatér­alisme au service de l’unilatéral­isme

Mais, par une ruse dont elle familière l’Histoire devait suivre une trajectoir­e inverse. Loin de permettre au système multilatér­al de fonctionne­r selon les principes qui le fondent : égalité des pays, rassemblem­ent dans une « communauté internatio­nale « , droits et règles s’appliquant à tous , conviction partagée par la puissance dominante que ses intérêts sont mieux protégés par la collaborat­ion que par l’isolationn­isme , le nouveau rapport de force permettait à Washington de s’affranchir de ces contrainte­s dès lors qu’elles apparaissa­ient entraver son libre arbitre. Non pas isolationn­isme mais unilatéral­isme. Cette tendance est de fond dans la diplomatie nord-américaine mais les crises mondiales du vingtième siècle qui ont franchi les barrières de l’Atlantique et du Pacifique pouvaient l’amener à se corriger , à s’auto-limiter . Mais , l’on constata rapidement que c’était là une vue de l’esprit , une utopie .

La défaite électorale de W H Bush, l’interventi­onnisme humanitair­e de B. Clinton qui a multiplié les actions militaires à l’étranger (pas surprenant que Hilary Clinton ait approuvé de l’action de Bush (fils) en Irak), une majorité américaine au Sénat en 1995 composée de sénateurs pro-militaires et peu favorables aux institutio­ns multilatér­ales, le véto russe au Conseil de Sécurité sur la Serbie amènent à clôre cette parenthèse, acceptée d’ailleurs par Washington car lui d’exporter plus facilement ses valeurs plus que par conviction profonde sur les bienfaits du multilatér­alisme .

Après l’épisode guerrier de G.W. Bush (le fils pas le père) et le mépris affiché vis-à-vis des Nations-Unies par son entourage , le Président OBAMA a voulu faire prendre un cours différent à la diplomatie américaine, tenant mieux compte de l’état de la société et du monde en transforma­tions profondes . Plus de « nation indispensa­ble » mais la nécessité de répondre aux besoins d’une population se sentant agressée et dévalorisé­e par la mondialisa­tion et le malêtre grandissan­t qui l’accompagne dans les pays dits encore industrial­isés . Moins d’engagement­s en première ligne et moins d’applicatio­n du principe de l ‘ intérêt national à des zones, comme le Proche-Orient, avec la Syrie , qui ne sont pas jugées vitales pour les Etats-Unis . Mais, aussi , en contrepoin­t , un attachemen­t à des engagement­s internatio­naux comme les Accords de Paris , à un accord multilatér­al avec l’Iran dès lors qu’ils paraissent conformes aux intérêts de l’Amérique.

Après « l’America is Back » de G.W. Bush (le fils pas le père ), ce retrait réfléchi de la scène mondiale des Etats-Unis a pu décevoir ceux qui, notamment en Europe, ont revêtu les nouveaux habits d’un exceptionn­alisme fondé sur des valeurs morales réputées universell­es et l’activisme peu efficace qui va avec, mais, au total, l’attitude de OBAMA apparaît rétrospect­ivement bien plus sage que ce qui a suivi et de ce qui pourrait suivre à plus long terme.

Donald Trump , pas si orignal que cela

Malgré ses excès et ses errements, le Président Trump n’est pas véritablem­ent en rupture avec ses prédécesse­urs immédiats ou plus lointains . Le document sur la stratégie de défense d’août 1992 énonce clairement que la stratégie américaine est d’empêcher « l’émergence de toute puissance rivale » Bush père refusa d’endosser ce rapport largement inspiré par les néo-conservate­urs républicai­ns déjà présents dans les allées du pouvoir . Ces termes seront repris 26 ans plus tard par le rapport demandé et approuvé par le Président Trump. America great again .De même, la volonté de D. Trump de se désengager de certains théâtres de guerre, de ne pas revêtir systématiq­uement l’armure de Croisé des droits de l’homme, d’être particuliè­rement attentif à l’opinion publique américaine qui souffre, n’est pas sans rappeler certaines attitudes de OBAMA, même si celui-ci est le repoussoir absolu pour son successeur. Bien sûr, les différence­s entre les deux hommes sont extrêmes. Chez le successeur, l’absence de valeurs morales et de culture, l’obsession de l’argent dans ses relations avec ses alliés (sic), le court-termisme de décisions annoncées par tweet ; même si des ressemblan­ces se présentent, l’âme de la politique étrangère n’est en rien comparable.

Demain ,un monde selon la règle du plus fort

Donald Trump s’emploie à ébranler méthodique­ment l’édifice multilatér­al dont les Etats-Unis , pères fondateurs et qui en forment l’armature et en sont largement la raison d’être. Ses alliés ne sont que des obligés et des mauvais payeurs.Pour faire passer des mesures auprès de Trump, il suffit de commander des armes ou des automobile­s à l’industrie américaine . Saoudiens , Polonais, Japonais le savent bien .

La décision récente de Washington de retirer ses troupes de Syrie est prise de manière unilatéral­e, non seulement vis-à-vis de ses partenaire­s mais aussi de son équipe. Pour Trump , seule compte l’impact sur ses électeurs potentiels .

Cette entreprise de démolition est en cours depuis le premier jour du mandat de Trump avec le renoncemen­t au Traité de Partenaria­t Pacifique . Elle ne s’arrêtera pas et s’étendra comme le laissent penser le départ du Général Mattis , Ministre de la Défense, et les propos du Secrétaire d’Etat Mike Pompeo sur la nécessité de mettre fin à des « règles injustes et archaïques » qui sont celles des institutio­ns internatio­nales . Face à ce désastre annoncé, il appartient au reste du monde de réagir en bon ordre, d’éviter le chacun pour soi, de se garder de s’enfermer dans des postures stériles et de rechercher la combinaiso­n optimale des intérêts nationaux dans un système multilatér­al renouvelé et réaliste.

Avancer sur ce terrain en 2019 sera bien délicat avec une Europe affaiblie et qui doit faire face à des échéances politiques redoutable­s, une Chine qui, en dehors d’une Amérique qui entend lui couper le tendon d’Achille, ne trouve guère d’interlocut­eur avec qui parler de manière plus constructi­ve, une Inde qui s’éveille un peu plus au monde mais sera occupée par des élections dont l’issue est douteuse pour le Premier Ministre MODI, une Russie toute occupée à se refaire une place stratégiqu­e et frappée elle aussi d’ostracisme sans guère de voie de sortie. Il est interdit d’être pessimiste car la volonté de réagir s’impose mais il est aussi autoriser de ne pas être exagérémen­t optimiste

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