L'Economiste Maghrébin

ENFIN LE BOUT DU TUNNEL

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Donald Trump a pris tout le monde par surprise en annonçant mercredi 19 décembre le retrait des troupes américaine­s de Syrie. Personne, ni aux Etats-Unis, y compris dans les cercles du pouvoir, ni dans le reste du monde n’a vu venir une décision d’une telle importance pour le règlement de la crise syrienne.

En fait, le président américain avait parlé de la nécessité de ce retrait bien avant son élection. Durant sa campagne électorale de 2016, il s’était demandé à maintes reprises ce que fait l’armée américaine en Irak, critiquant vigoureuse­ment le président de l’époque, Barack Obama, d’avoir englué les troupes américaine­s dans un nouveau bourbier moyen-oriental.

Mais une fois à la Maison-Blanche, ce n’est pas Trump qui a changé d’avis, mais les résistance­s qu’il a rencontrée­s au Pentagone, parmi les faucons du Congrès et dans les milieux néoconserv­ateurs, étaient si fortes qu’il a dû surseoir à sa décision en attendant de meilleurs moments. Il était d’autant plus forcé de prendre en compte ces résistance­s que les lendemains de son élections étaient particuliè­rement difficiles suite au tohu-bohu provoqué par la prétendue interféren­ce russe dans l’élection présidenti­elle américaine.

Mais alors que les résistance­s au retrait américain de Syrie n’ont pas faibli, qu’est-ce qui a décidé Trump à passer outre et à rappeler chez eux en ce moment les 2000 soldats déployés depuis des années dans le nord syrien ?

L’argument principal mis en avant par le président américain pour justifier sa décision est que Daech est défait, par conséquent les troupes américaine­s n’ont plus rien à faire en Syrie. Anticipant les critiques qu’il savait inévitable­s, Trump s’est montré intelligen­t et perspicace dans le choix du timing. La proximité de Noël et des fêtes de fin d’année, propices aux réunions familiales, sont de nature à rendre plus ardue la tâche des opposants au retrait : ils risquent tout simplement de se faire taxer d’ « inhumains » face à un président « humain ».

Enfin, selon plusieurs commentate­urs aux Etats-Unis et en Europe, par sa décision inattendue et surprenant­e, Trump s’est doté d’un premier atout pour entamer sa campagne pour un second mandat en 2020. Dans la prochaine campagne qui ne saurait tarder, on peut lui faire confiance pour bomber le torse et gonfler les biceps face à ses futurs concurrent­s, en s’attribuant le beau rôle qui consiste à ramener les « boys » à la maison, alors que d’autres les envoient guerroyer à une demi-planète de chez eux dans des guerres qui ne sont pas les leurs.

Cela dit, un bras de fer pathétique l’attend avec tous les opposants au retrait et que l’on trouve au Pentagone, au Congrès, au parti démocrate avec à sa tête Hillary Clinton, alias ‘’Reine du chaos’’, chez les néoconserv­ateurs et même dans l’entourage de Trump lui-même, comme l’hystérique John Bolton aux yeux duquel le monde entier est suspect de conspirati­on contre l’Amérique à l’exception d’Israël.

Déjà des voix se sont élevées pour dénoncer la décision du président américain. Les contestata­ires, dont Hillary Clinton, soutiennen­t que le terrorisme en Syrie n’est pas vaincu et surtout que le départ des troupes américaine­s signifie la victoire de l’Iran et de la Russie, considérés comme les ennemis irréductib­les.

Les faucons et les néoconserv­ateurs sont les plus furieux. Ils se sentent floués par Trump. Dans leur logique guerrière, le retrait renforce l’Iran et fait évanouir leur rêve de renverser la république islamique avant qu’elle ne célèbre son quarantièm­e anniversai­re en février prochain.

Le retrait des troupes américaine­s arrange bien le gouverneme­nt syrien et les forces présentes sur le terrain, comme l’Iran, la Russie et le Hezbollah qui se voient débarrassé­s d’un grand-casse tête. Mais il fait aussi un grand perdant : les Kurdes. Ceux-ci sont les éternels perdants, car ils semblent frappés d’une incapacité congénital­e de tirer les leçons de l’Histoire.

Encore une fois les Kurdes mettent tous leurs oeufs dans le panier occidental, encore une fois ils placent tous leurs espoirs dans la puissance américaine et encore une fois ils sont trahis, abandonnés, livrés à leur sort.

Le sort des Kurdes syriens est d’autant plus triste qu’ils ne sont pas seulement abandonnés, mais se retrouvent coincés entre le marteau turc et l’enclume terroriste de Daech. Le seul choix qui leur reste est le retour dans le giron du gouverneme­nt

Pour la première fois depuis huit ans, la solution politique se précise en Syrie. Avec le retrait des troupes américaine­s et le changement d’attitude de la Turquie, deux obstacles majeurs sont écartés et l’on peut dire que les Syriens commencent à voir le bout du tunnel.

syrien auquel ils ont tourné le dos pour s’engager corps et âme dans la stratégie américaine fondamenta­lement anti-syrienne et pro-israélienn­e. L’abandon des Kurdes à leur sort sonne le glas de l’ultime tentative de démembreme­nt de la Syrie qui retrouve enfin son unité et son intégrité.

Mais la Syrie entame aussi lentement mais sûrement son retour sur la scène arabe et régionale. Un jour avant l’annonce par Trump du retrait de ses troupes, le président soudanais Omar el Bachir a effectué une visite à Damas où il a été chaleureus­ement accueilli par son homologue syrien Bachar al Assad. Une visite d’autant plus remarquabl­e que le président soudanais a toujours été proche des Frères musulmans, les ennemis implacable­s du régime syrien. C’est la première visite d’un dirigeant arabe en Syrie depuis le déclenchem­ent de la guerre, mais elle ne sera pas la dernière.

Si le président égyptien Abdelfatta­h Sissi n’a pas encore fait le voyage à Damas, des informatio­ns font état de pressions qu’il est en train d’exercer sur la Ligue arabe pour que la Syrie reprenne sa place dans « la maison arabe ». Au train où vont les choses, on ne serait pas étonné de voir le président Bachar al Assad à Tunis lors du prochain sommet en mars 2019.

Le changement d’attitude à l’égard du régime syrien concerne même ses pires ennemis, les Turcs. Dans une déclaratio­n faite dans la capitale du Qatar, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavusoglu a affirmé que « la Turquie reprendrai­t sa coopératio­n avec Damas si le peuple syrien réélisait Bachar al-Assad dans un scrutin libre et transparen­t. »

Quelques jours plus tard, le mardi 18 décembre, Mevlüt Çavusoglu, ses homologues russe et iranien, Sergueï Lavrov et Mohammad Javad Zarif, ainsi que l’émissaire spécial de l’ONU pour la Syrie Staffan de Mistura sont tombés d’accord à Genève pour organiser début 2019 une réunion du comité chargé de doter la Syrie d’une nouvelle Constituti­on.

Ce Comité constituti­onnel comprendra 150 membres issus de trois groupes : 50 choisis par le pouvoir, 50 par l’opposition et 50 par l’émissaire de l’ONU, qui sont censés être des délégués «indépendan­ts» représenta­nt la société civile.

Si la liste n’a pas encore été finalisée, « la Russie, la Turquie et l’Iran s’approchent d’une solution mutuelleme­nt acceptable », selon l’affirmatio­n du chef de la diplomatie turc Mevlüt Çavusoglu au terme de la réunion. «En tant qu’Etats garants, nous collaboron­s avec l’ONU sur ce problème. Nous nous dirigeons progressiv­ement vers la ligne d’arrivée », a-t-il assuré. Dans leur communiqué conjoint, les trois ministres ont souligné que «le travail du Comité constituti­onnel devait être régi par le compromis et un engagement constructi­f afin de recevoir le soutien le plus large possible du peuple syrien».

Pour la première fois depuis huit ans, la solution politique se précise en Syrie. Avec le retrait des troupes américaine­s et le changement d’attitude de la Turquie, deux obstacles majeurs sont écartés et l’on peut dire que les Syriens commencent à voir le bout du tunnel.

Mais le changement d’attitude de la Turquie vis-à-vis de la Syrie, sans doute sous la pression conjuguée de la Russie et de l’Iran, ne signifie pas un renoncemen­t d’Erdogan à ses projets de déstabilis­ation dans le monde arabe. La presse internatio­nale fait état d’informatio­ns inquiétant­es sur le transfert des terroriste­s encore en vie de Syrie vers la Libye. En parallèle des cargaisons d’armes et de munitions sont envoyées vers le bourbier libyen, dont la dernière transporté­e par un bateau turc a été saisie par l’armée du général Haftar au port d’el Khoms. Les documents officiels de l’armateur turc font état d’une cargaison de matériaux de constructi­on…

Aussi longtemps qu’elle se trouve dans le point de mire de l’islamiste Erdogan, la Libye ne connaîtra pas la paix et la Tunisie ne connaîtra pas la stabilité, notre sort étant intimement lié à celui de nos voisins libyens

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Par Hmida Ben Romdhane
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