Interview de Youssef Chahed à « Attassia »
Interview de Youssef Chahed à « Attassia »
Ce qu’il faut vraiment retenir des propos du chef du gouvernement
Pas moins de trois messages ont été distillés par Youssef Chahed, soucieux de défendre son bilan et de rester au pouvoir jusqu’aux prochaines échéances électorales. Décryptage de son interview sur « Attassia ».
«
Mes relations avec le Chef de l’Etat ne se sont pas détériorées. Elles ont changé. » La nuance est sans doute de taille. Il aurait pu cependant préciser le comment et le pourquoi. Au lieu de se limiter à dire que ses relations en tant que chef du gouvernement avec le Président Béji Caïd Essebsi sont « régies par la Constitution ».
Cette phrase du récent entretien de Youssef Chahed avec la chaîne privée
« Attassia » lève le voile sur l’approche et la méthode avec lesquelles il a conduit, le 21 décembre 2018, son interview : il a manqué de précision et a largement « oublié » ou omis de parler de nombre de sujets préoccupants. Comme le réseau secret d’Ennahdah, objet de nombreuses interrogations.
Car, s’il est vrai qu’il ne faisait en fait que répondre aux questions qui lui ont été posées, il pouvait cependant aller plus en
profondeur et saisir l’occasion pour distiller d’autres messages.
Conclusion : le chef du gouvernement n’a rien dit de nouveau. Comme il est souvent resté évasif quant à certaines questions.
« Vous n’avez pas répondu à la question »
Par deux fois, son interlocuteur, Boubaker Ben Akacha, lui a dit catégoriquement : « Vous n’avez pas répondu à la question ».
Sans que le chef du gouvernement ne pipe mot ou ne se limite à dire : « J’ai tout dit ». Une réaction sans doute bien pensée. Tout le monde sait –et notamment les professionnels de la politique en premier lieu- qu’un politique prépare bien son entretien en s’autorisant à dire des choses et à taire d’autres. On a souvent, à ce niveau, en mémoire cette phrase –enseignée dans les écoles de journalisme- de l’ancien président François Mitterrand utilisée, face à un Alain Duhamel, un grand interviewer de la télévision, un peu trop insistant pour extorquer une réponse : « C’était votre question et c’est là ma réponse ».
Cela dit que retenir de l’interview du 21 décembre 2018 au soir ? D’abord, que Youssef Chahed ne compte pas du tout plier face à ses adversaires. C’est clair, net et précis- même s’il l’a dit à demi-mots : il compte rester jusqu’aux prochaines élections législatives et présidentielles de 2019.
Il ne compte pas, à ce juste propos, laisser notamment le terrain à des « Nidaïstes » agrippés au fils du président et président du Comité politique de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, qui sont jugés incompétents pour régler les problèmes du pays. Mais qui pratiquent aussi un « ôte-toi de là que je m’y mette » pour semer la gabegie et défendre des intérêts bien particuliers.
L’homme s’est présenté comme étant bien au-dessus de la mêlée politique. Plus d’une fois, il a mis en exergue le fait qu’il est le chef d’un gouvernement qui veille à l’intérêt de tous les Tunisiens. Une belle manière de dire qu’il ne pense pas comme d’autres hommes politiques aux intérêts particuliers d’ une chapelle.
A retenir, à ce niveau, qu’il a voulu donner l’impression d’agir pour l’égalité sociale comme on tient à la prunelle de ses yeux. Ainsi en est-il des familles défavorisées ou encore des jeunes chômeurs pour lesquels il a, à ses dires, une sincère pensée.
Et ce, lorsqu’il a évoqué également les négociations salariales avec une Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) qui entend mener une grève des fonctionnaires pour le 17 janvier 2019. N’a-t-il pas appelé à négocier en prenant en compte l’intérêt de tout un chacun ? A commencer par ceux
Par deux fois, son interlocuteur, Boubaker Ben Akacha, lui a dit catégoriquement : «Vous n’avez pas répondu à la question». Sans que le chef du gouvernement ne pipe mot ou ne se limite à dire : « J’ai tout dit ». Une réaction sans doute bien pensée. Tout le monde sait
- et notamment les professionnels de la politique en premier lieu- qu’un politique prépare bien son entretien en s’autorisant à dire des choses et à taire d’autres.
Un moment fort de l’interview au cours duquel il avait, sans doute, perdu l’occasion d’aller en profondeur. Et de dire autre chose que de nier les faits... Certains disent que le gouvernement a signé un document en ce sens. Ou que du moins que l’institution née des accords de Bretton Woods ne voit pas d’un bon oeil ces augmentations et a mis en garde le gouvernement tunisien au sujet de la non maîtrise de la masse salariale dans la fonction publique.
auxquels les augmentations doivent aller en toute priorité.
Le chef du gouvernement balayera d’un revers de la main les propos –ou accusations- quant au fait qu’il ne fait, en la matière, que plier face aux injonctions d’un Fonds Monétaire International (FMI) ; un FMI qui exige que les salaires ne soient pas revalorisés dans la fonction publique. « Qu’ils disent ce qu’ils veulent », répondra-t-il.
Un déficit communicationnel
Un moment fort de l’interview au cours duquel il avait, sans doute, perdu l’occasion d’aller en profondeur. Et de dire autre chose que de nier les faits... Certains disent que le gouvernement a signé un document en ce sens. Ou que du moins que l’institution née des accords de Bretton Woods ne voit pas d’un bon oeil ces augmentations et a mis en garde le gouvernement tunisien au sujet de la non maîtrise de la masse salariale dans la fonction publique.
Notons toujours, dans ce même ordre d’idées, que Youssef Chahed a reconnu que son gouvernement souffre d’un déficit communicationnel. L’occasion en a été donnée du reste au cours de l’entretien du 21 décembre 2018 sur « Attassia » : le chef du gouvernement se devait d’apporter des arguments irréfutables sur le dossier du FMI et du rôle négatif que celui-ci est accusé de jouer pour la souveraineté nationale. L’accusation a été au centre du débat public qui a précédé de quelques jours l’entretien. Le chef du gouvernement avait laissé faire la grève du 22 novembre 2018, dit-on, pour ne pas décevoir le FMI !
Ensuite, le chef du gouvernement s’est présenté en victime. Si son bilan n’est pas aussi reluisant que certains peuvent le dire et le penser, suggère-t-il, c’est parce qu’on lui met les bâtons dans les roues. Il passera une partie de la bonne heure de l’interview qu’il a accordée à « Attassia » à expliquer que beaucoup a été fait pour redresser la situation du pays et pour renverser le vapeur.
Avec peut-être le tort de ne pas – encore une fois - être allé plus loin. En ne présentant que les mesurettes qu’il compte entreprendre pour agir face à un bilan morose. Rien de concret, par exemple, en ce qui concerne la détérioration de la parité du dinar.
Il usera de formules largement utilisées par le passé par nombre de ses lieutenants et prédécesseurs comme la nécessité pour les Tunisiens de se mettre au travail. Il évoquera, à cet égard, que le Premier ministre sud-coréen lui a indiqué, au cours d’une récente visite à Tunis, que ses compatriotes travaillent 52 heures par semaine.
Et si le gouvernement était responsable ?
Ce qui est en partie vrai. Mais insuffisant pour convaincre nombre de Tunisiens qui savent qu’il détient une bonne partie du pouvoir. Ainsi en est-il de ses remarques au sujet de la lutte contre le déficit commercial qui a atteint des records.
Cela est dû certes au fait que les Tunisiens n’exportent pas assez. Avec pour preuve le recul de la production des phosphates. Mais n’est-il pas quelque part responsable pour ne pas avoir appliqué la loi face à tous ceux qui empêchent par des moyens divers –dont le blocage des routes et des chemins de fer - la marchandise de prendre la voie de l’exportation ?
Aboubaker Akacha le lui a dit clairement. Vous êtes celui qui gouverne, lui a-t-il même répété. Il lui posera, par ailleurs, la question suivante : pourquoi ne pas avoir agi depuis votre arrivée en 2016 ? Et là aussi encore rien de concret dans les réponses du chef du gouvernement.
Toujours côté empêcheurs de tourner en rond pour l’action du gouvernement, Youssef Chahed ne manquera pas de pointer du
Le chef du gouvernement s’est présenté en victime. Si son bilan n’est pas aussi reluisant que certains peuvent le dire et le penser, suggère-t-il, c’est parce qu’on lui met les bâttons dans les roues. Il passera une partie de la bonne heure de l’interview qu’il a accordée à « Attassia » à expliquer que beaucoup a été fait pour redresser la situation du pays et pour renverser la vapeur.
doigt l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). De nombreux textes de lois qui reformeraient le pays ne dorment-ils pas dans les tiroirs du Parlement ?
Sauf que l’on pourrait dire que cela n’est aussi qu’en partie vrai. Youssef Chahed ne dispose-t-il pas d’une majorité au niveau de l’ARP ? Ne lui a-t-elle pas accordé la confiance par deux fois à commencer lors du vote de la nomination du ministre de l’Intérieur, Hichem Fourati, fin juillet 2018 ? Bien avant la constitution de cette Coalition nationale (une quarantaine de députés) qui lui est largement acquise.
Enfin, Youssef Chahed, qui a des ambitions politiques évidentes, va compter sur une force politique démocratique et moderniste pour briguer le pouvoir dans un an. On ne peut comprendre pour quelles autres fins et utilité appelle-t-il de ses voeux la création d’un mouvement de ce type sinon pour qu’il puisse un jour ou l’autre en faire un bon usage ?
La direction de Nidaa Tounes l’a bien compris. Elle qui a demandé, il y a quelques jours, et par écrit, à des Nidaïstes de justifier des réunions qu’ils ne cessent de tenir ou auxquelles ils participent (à Sousse, Bizerte, Kairouan, Tunis et Le Kef) en vue de préparer, disent certains, un mouvement pro-Chahed.
L’appel du pied qu’il a fait au cours de l’interview à la famille destourienne en évoquant son oncle, le militant Hassib Ben Ammar, mais qui est en fait l’oncle de sa mère, n’est pas anodin. La fibre destourienne est un fonds de commerce certain. Elle a permis de renforcer le bâti de Nidaa Tounes. Et de faire gagner à Mohamed Béji Caïd Essebsi la présidentielle et les législatives de 2014.
Pour l’heure évidemment Youssef Chahed ne dit rien au sujet de cette dynamique. Une telle « reconnaissance » de la paternité d’un tel mouvement ne pourrait que nuire à un responsable qui dit ne pas avoir la tête à cela. Soucieux de conduire en toute priorité la politique qu’il croit juste pour le pays et permettre le respect du calendrier électoral
L’appel du pied qu’il a fait au cours de l’interview à la famille destourienne en évoquant son oncle, le militant Hassib Ben Ammar, mais qui est en fait l’oncle de sa mère, n’est pas anodin. La fibre destourienne est un fonds de commerce certain. Elle a permis de renforcer le bâti de Nidaa Tounes. Et de faire gagner à Mohamed Béji Caïd Essebsi la présidentielle et les législatives de 2014.