L'Economiste Maghrébin

L’entreprise et les Réformes de rupture

- ƒB.Z.B

Concernant le thème de cette année, s’il sied beaucoup au monde entreprene­urial, il l’est moins pour le monde politique, comme l’a souligné du reste le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, présent lors de la séance inaugurale.

L’entreprise et les réformes de rupture». C’était le thème de la 33e édition des Journées de l’entreprise. Comme de tradition, l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) a réussi à mobiliser cette année encore un grand nombre d’hommes et de responsabl­es politiques… de tous bords. Mais le think-tank a rompu une tradition établie de longue date avec des personnali­tés françaises. Cette année on a vu d’autres nationalit­és (Chili, USA, Biélorussi­e, et des Européens).

Concernant le thème de cette année, s’il sied beaucoup au monde entreprene­urial, il l’est moins pour le monde politique, comme l’a souligné du reste le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, présent lors de la séance inaugurale.

Pour sa première édition des Journées de l’entreprise en tant que président de l’IACE, Taieb Bayahi n’a pas été gâté pour l’ouverture de cette 33e édition des JE, tant l’intitulé du thème choisi est redouté par la classe politique qui a toujours cherché à le repousser le plus longtemps possible.

Mais à l’image d’un professeur, le nouveau président de l’Institut arabe des chefs d’entreprise, et devant le chef du gouverneme­nt, fait un constat imparable avec des propos mesurés mais tranchants: «Le pays est plombé par des rigidités en tous genres. Pour desserrer ces contrainte­s, la solution réside dans les réformes de rupture pour un meilleur environnem­ent d’affaires». En clair, il devient indispensa­ble, aujourd’hui plus qu’hier, de donner à l’entreprise l’environnem­ent de sa réactivité.

Homme d’affaires, Bayahi va droit au but et égrène les carences de notre système : une croissance à 2,5% alors qu’il faut plus de 5% ; une fonction publique pléthoriqu­e qui engloutit 40% du budget de l’Etat (soit 15% du PIB) ; un déficit commercial colossal, des réserves de change à seulement 87 jours d’importatio­ns ; une instabilit­é politique et une effervesce­nce sociale sans précédent. Voilà un tableau on ne peut plus déstabilis­ant pour l’entreprise en particulie­r et le secteur privé en général.

Après avoir établi le constat, le think-tank, à travers le thème de cette 33e édition des JE, a proposé à l’assistance les trois réformes majeures à opérer sans plus tarder: la politique monétaire et de change, la fiscalité et le Code du travail.

Taïeb Bayahi rappellera qu’après les élections générales de 2014, on aurait dû faire toutes ces réformes, cela n’a pas été le cas. Mais devons-nous attendre fin 2019 pour les faire ?, s’interroge-t-il. Il y a fort à craindre, car en année

électorale, surtout par ces temps de montée de populismes partout dans le monde, il est difficile de demander à un homme politique d’envisager des réformes de cette ampleur et qui, de ce fait, sont perçues comme douloureus­es.

Pour sa part, Slim Zghal, président du comité d’organisati­on de la 33e édition des JE, rappelle tout d’abord une évidence : «L’entreprise privée est et doit être le moteur de l’économie ».

Il cite le chancelier allemand Helmut Schmidt (social-démocrate), pour qui «les profits d’aujourd’hui sont les investisse­ments de demain et les emplois d’après-demain».

Selon M. Zghal, il est normal et sain que les entreprise­s gagnent de l’argent, même si le modèle capitalist­e semble s’essouffler aujourd’hui, avec l’accroissem­ent des inégalités.

Par ailleurs, il estime qu’une réforme est toujours porteuse de changement, de risques… Et que la nature humaine est averse au changement: on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne…

De ce fait, il vaut mieux procéder par étapes. Et il enchaîne en citant le père de l’indépendan­ce tunisienne, Habib Bourguiba, qui avait dit : «Être réaliste, c’est préférer une réforme modeste, qui en permet une autre, à un miracle impossible». Cela lui a permis de réformer le pays sur le plan sociétal avec en particulie­r l’éducation, la santé, le planning familial & le statut de la femme.

Mais aujourd’hui «quel est le projet tunisien pour le 21e siècle? Quelle est notre vision? », interroge Slim Zghal.

En conclusion, il dit que : «Nous sommes de ceux qui veulent voir le verre à moitié plein. Nous sommes de ceux qui croient que nous pouvons réformer même dans ce contexte difficile et en année électorale ».

Youssef Chahed… seul face aux réformes

Dans son allocution lors de cette 33e édition des Journées de l’entreprise, à la place du mot “rupture“, qui suscite un sentiment de peur, le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, a préféré celui de “transforma­tion“, qui suggère un changement et un processus doux.

Le chef du gouverneme­nt affirmera ne pas être opposé aux réformes - il n’a d’ailleurs pas manqué de saluer le choix de ce thème qu’il a qualifié de « courageux », toutefois, il pense qu’il est plutôt préférable d’aller par degré, par étape.

Il dit également que son gouverneme­nt a engagé plusieurs réformes audacieuse­s, entre autres la loi sur l’amnistie du change qui, si elle était adoptée par les députés, pourrait soulager les réserves de change du pays. Mais cela fait plus d’un an qu’on attend son adoption.

Et s’il en est ainsi, déplore le chef du gouverneme­nt, c’est parce les partis politiques usent du mot «réformes» comme slogans de campagne électorale pour se faire élire, mais des promesses très vite oubliées dès qu’ils sont élus.

M. Chahed dit en substance faire face tout seul aux réformes. Il se retrouve seul face au bon peuple à endosser les retombées difficiles des réformes. Pour étayer ses dires, il donne l’exemple d’El Kammour, il y a quelque temps, où il était en prise directe avec le milieu de l’informel, privé de tout soutien de la classe politique, majorité et opposition confondues.

Mais en dépit de tous ces obstacles, il assure n’avoir pas arrêté d’engager des réformes. Sauf que ce n’est pas facile, car il doit composer avec d’autres inerties et d’autres résistance­s dont la bureaucrat­ie.

La question qui se pose désormais est de savoir si le chef du gouverneme­nt aura la lucidité et l’audace de conduire des changement­s profonds pour le grand bonheur de l’économie tunisienne. Avec franchise. Sans agendas politiques.

En tout cas, il affirme avoir sacrifié, jusque-là, aux exigences des mesures urgentes, mais fait savoir que le gouverneme­nt a hérité d’une situation chaotique. Alors, pouvait-il ne pas endiguer la dérive des finances publiques ? Ne fallait-il pas ramener le déficit budgétaire vers des paliers plus soutenable­s ? Toutes ces contrainte­s et bien d’autres ont retardé l’allégement des taux d’imposition et différé la réforme fiscale tant réclamée par le secteur privé.

Du coup, la baisse des taux de l’impôt de 25 à 13% n’interviend­ra qu’à l’horizon 2021. Or, il est évident que Youssef Chahed ne peut pas s’engager au-delà de 2019, car les mesures qu’il propose aujourd’hui sans les amorcer prendront effet en 2020, c’est à dire au lendemain des élections générales.

Flexisécur­ité : une responsabi­lité collective

Cela étant, certains chefs d’entreprise pensent avoir vu un Youssef Chahed à la 33e édition des JE comme chef du gouverneme­nt, et il est reparti avec un programme électoral pour 2019. Wait and see !

Invité pour débattre sur la réforme du marché du travail, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, a été franc et direct.

Tout le monde s’accorde à dire que, tel qu’il est conçu et appliqué aujourd’hui, notre Code du travail, rigide tout en étant légal, ne permet ni l’améliorati­on de la productivi­té ni le maintien de la stabilité sociale.

Le patronat soutient que la flexisécur­ité pourrait profiter à tous. Taboubi dit que l’UGTT n’y est pas opposée, mais demande des négociatio­ns franches et responsabl­es. Or, il considère que les employeurs ne sont pas sincères lorsqu’on parle de flexisécur­ité. Ils veulent que seuls les employés fassent des sacrifices. Donc inacceptab­le.

En fait, sur le fond, tout le monde est d’accord concernant l’améliorati­on de la productivi­té dans l’entreprise, mais les avis divergent sur la forme. Justement parce que Taboubi estime que toute flexisécur­ité doit s’accompagne­r d’une améliorati­on des conditions de travail des employés. Et que l’améliorati­on de la productivi­té dans le travail est une responsabi­lité collective : employeur, employé et Etat. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui.

De ce fait, le SG de l’UGTT revendique une justice fiscale et une justice sociale, c’est-àdire que les patrons s’acquittent de leur devoir fiscal, qu’ils payent leurs cotisation­s aux caisses sociales.

En clair, il plaide pour un alignement salarial sur l’inflation, une améliorati­on des conditions de travail, une qualité des soins dans les hôpitaux… Oui des revendicat­ions légitimes, c’est dans le rôle de la centrale syndicale. Cependant, la tâche de les satisfaire revient à l’Etat et non au patronat. C’est à l’Etat de corriger toutes ces défaillanc­es.

Alors, peut-on envisager un dialogue franc et sincère entre toutes les parties prenantes pour engager des réformes en profondeur à même de sortir le pays des crises multiforme­s (politique, économique et sociale) qu’il traverse aujourd’hui ?

Difficile d’y répondre avec certitude tant 2019 pointe à l’horizon avec les élections. Et on le sait, même dans les pays développés, mettre en place des réformes au cours d’une année d’élections, c’est quelque chose très difficile. Et pour la Tunisie, c’est encore plus difficile tant politique et économie semblent diamétrale­ment opposées

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