LE G20 BUENOS AIRES, DE LE TANGO DES RIVAUX
Dix ans après sa création pour réagir à la crise des subprimes qui menaçait de disloquer l’économie mondiale si chacun retrouvait les réflexes protectionnistes des années 30, le G 20 au niveau des Chefs d’Etat de Buenos Aires a fourni plus d’une occasion de s’écouter que de s’entendre.
En 2017, Angela Merkel avait déployé une grande énergie pour que la réunion de Hambourg produise des résultats, en tout cas ne débouche pas sur des coups d’éclat du Président Trump, peu amateur de ces rassemblements, qu’il juge peu justifiés et où il figure souvent en accusé. Dans la capitale argentine, le Président Trump a boudé largement les plénières avec ses pairs mais s’est gardé de ses invectives coutumières.
Une situation économique et la protection du climat dans l’incertitude
Depuis Hambourg, la situation internationale s’est dégradée et l’incertitude s’est installée sur tous les plans, entravant la marche du monde. Les perspectives économiques se sont assombries avec une année 2018 aux performances inférieures à celles de 2017, ralentissement appelé à se poursuivre l’an prochain. La situation au sein du G20 est très contrastée. Le pays hôte subit une baisse du PIB de 5%, une inflation de 45,5% et sa monnaie a perdu la moitié de sa valeur en un an. Les pays pétroliers du G20 pâtissent de la chute du baril, ce qui les fragilisent. Outre ses difficultés résulant du meurtre de Khashoghi, l’Arabie Saoudite est entrée en récession, tout comme l’Afrique du Sud, tandis que l’Allemagne, le Japon connaissent ces derniers mois un trou d’air. L’Inde, la Chine, la Turquie contiennent les tendances à la baisse, sans les empêcher de se manifester. En Europe, les écarts entre Etats membres se sont resserrés avec une tendance à la baisse générale. Aux Etats - Unis, la conjoncture reste porteuse même si les déficits se creusent et l’inquiétude gagne les marchés boursiers.
Malgré ce paysage économique contrasté, les préoccupations sont communes face aux menaces que continuent à faire peser Donald Trump sur les institutions et arrangements multilatéraux et les échanges commerciaux mondiaux.
A Taormina et à Hambourg, Trump n’avait rien cédé sur le climat. Dans la capitale argentine, le sujet a été abordé car on ne pouvait pas ne pas le faire mais sans conviction ni espoir d’un changement de la position américaine. L’attachement aux accords de Paris a été renouvelé par les 20-1 , Washington campant sur son refus de revenir sur son retrait et se moquant peu après du Président Macron qui a fâché les Français ( les Gilets jaunes du début ) par sa fiscalité écologique sur les carburants alors que lui fait tout pour éviter la hausse des prix du baril et donc du carburant, à l’heure où les automobilistes américains abandonnent les petites cylindrées. Les dernières données chiffrées montrent que les gaz à effet de serre poursuivent leur course tandis que la COP 24 de Katowice ne soulève guère de mobilisation et d’espérance.
La trêve commerciale, pas vers la sortie de crise ou pas de clerc
Le point le plus attendu portait sur les relations commerciales sino-américaines. L’escalade des droits de douane allait-elle se poursuivre ? L’incident survenu à l’APEC de Port-Moresby où les riverains du Pacifique s’étaient quittés sans communiqué commun et dans la fureur, allait-il se reproduire ?
Au soulagement général, le Président Trump a accepté une trêve de 90 jours sur le relèvement de 10 à 25 % des droits de douane frappant 200 milliards de dollars de produits chinois importés. Il a accompagné cette décision d’une bordée de gazouillis dithyrambiques sur le « deal du siècle ». Les négociateurs américains et chinois ont 90 jours pour parvenir à un accord mais sur des sujets de négociations bien mal identifiés.
Outre la réduction du déficit sino- américain, les questions d’accès au marché chinois et, surtout, celle des conditions de l’appropriation par les sociétés chinoises de la technologie américaine se trouvent posées.
Le déficit américain s’est creusé cette année. C’est le résultat des mesures de relance fiscale et budgétaire conjuguées au protectionnisme. Ce creusement du déficit se produit avec l’ensemble des partenaires des Etats-Unis et pas seulement la Chine. Les capacités nationales de production ne pouvant faire face à la demande accrue, classiquement les importations augmentent tandis que les exportations baissent pour satisfaire la demande domestique mais également parce que, en réaction, les droits de douane imposés à l’étranger aux importations de produits américains freinent les ventes et que l’industrie américaine se trouve pénalisée par le coût de ses intrants venus du reste du monde.
La réduction du déficit sino-américain peut être envisagée comme une issue possible des négociations car c’est l’intérêt de la Chine et elle peut encourager ses sociétés à « acheter américain ». Trump peut se poser en vainqueur dans ce bras de fer. Bien sûr, ce sera un problème pour les autres vendeurs à la Chine tandis que cette dernière ne cesse de gagner des positions sur les pays émergents, faisant refluer les parts de marché occidentales.
La question la plus cruciale est celle de la propriété intellectuelle et de l’accès aux technologies les plus avancées. C’est le noeud gordien de la transformation de la Chine en grande
puissance technologique pour se placer au centre de la scène mondiale d’ici 2050, selon l’objectif affiché par le Président XI Jinping. Le programme « made in China in 2025 » a été jeté aux oubliettes ainsi que la rhétorique l’accompagnant mais Pékin ne peut se permettre de ne pas rechercher les moyens de son autonomie stratégique qui passe par la maîtrise des sciences et technologies du XXI ème siècle. Le temps des traités inégaux est fini et le nationalisme chinois l’emporte sur le jugement des Chinois sur leur système politique.
La volonté de contenir les avancées de la Chine n’est pas l’apanage des seuls Américains comme l’illustrent les récentes mesures prises par les Européens, plus individuellement que collectivement, pour contrôler les investissements chinois, les acquisitions de technologies chinoises, les ventes de produits sophistiqués à la Chine …
L’issue des pourparlers est donc des plus incertaines d’autant que ne manquera pas de s’y inviter l’attitude de la Chine à l’égard de la Corée du Nord, de l’Iran, du pré carré latino-américain des Etats - Unis ….
Des lendemains peu prometteurs
Présenté comme la rencontre de tous les risques, le G20 s’est achevé dans le soulagement car du temps avait pu être gagné et la sagesse pouvait l’emporter. Mais cet espoir est vite retombé.
Quelques jours après le G20, le multilatéralisme a fait l’objet d’attaques frontales du Secrétaire d’Etat américain qui s’est lâché à Bruxelles dans une enceinte pourtant dédiée aux liens américano-européens. Pour Mike Pompéo, porte-voix de son Président, la souveraineté nationale est la priorité absolue et les USA sont appelés à « diriger maintenant et toujours le monde », au nom de leur intérêt national qui recouvre, volens nolens, celui des autres.
Ces propos n’ont guère soulevé de protestations, de peur de déplaire à celui qui se veut le maître du monde. La montagne de la taxation des GAFSA par l’Europe a accouché d’une souris, par crainte de réactions trumpiennes . Le populisme gagne du terrain en Europe avec une Chancelière allemande et un Président français diminués, le trou noir du Brexit qui absorbe les énergies des deux côtés de la Manche ; en Amérique latine où le Président Trump semble un modèle pour le Mexique ou le Brésil, oubliant l’attitude inamicale de celui- ci à leur égard.
Par ailleurs, la Chine ne peut changer de modèle en profondeur car il y va de la place de la Chine dans le monde qui est en cause, et, tout-puissant qu’il est, XI Jinping ne peut s’ écarter sans péril de cette ambition.
L’arrestation au Canada pour le compte de Washington de la directrice financière , et fille du Fondateur, de Huawei ne va pas simplifier les débats déjà ardus entre négociateurs . D Trump peut estimer qu’il a récupéré une carte supplémentaire dans le grand jeu engagé avec XI Jinping mais cela ne peut que renforcer l’acrimonie de la Chine et la pousser, plus que jamais, à compter sur ses propres forces et à pousser les feux de son indépendance technologique.
L’histoire jugera certainement sévèrement l’action de D. Trump dans dix ou vingt ans , si ce n’est avant , quand les effets destructeurs de sa politique se seront développés. Mais, 2030 ou 2040 est bien au-delà de sa ligne d’horizon, fixée à novembre 2020 quand sonnera l’heure de l’élection présidentielle américaine et le moment de vérité pour son second mandat