L'Economiste Maghrébin

TUNISIE, UNE NOUVELLE ÉQUATION POLITIQUE …!

- Par Khalifa Chater

Les conflits entre Béji Caïd Essebsi, Youssef Chahed et Rached Ghannouchi et la mobilisati­on de leurs relais (Nida Tounes, Ennahdha, Coalition nationale) ont mis à l’ordre du jour des tirailleme­nts. Dans cette conjonctur­e de conflits résultant d’intérêts contradict­oires et de tensions, le jeu politique privilégie les manoeuvres, dans un contexte de mésallianc­e. Comment définir, en conséquenc­e, le nouveau paysage politique et les enjeux politiques, économique­s et sociaux ainsi que leurs effets ?

“C'est l'intérêt qui brise les noeuds de toutes les alliances’’. Citons ce constat du philosophe Nicolas Machiavel (1469 - 1527), dans son livre Le Prince, une oeuvre de réalisme en science politique, qui nous permet d’expliquer la fin de l’alliance/connivence entre Béji Caïd Essebsi, le Président de la République et Rached Ghannouchi, le leader du Mouvement Ennahdha. Prenant acte des résultats électoraux de 2014, Béji Caïd Essebsi a esquissé un rapprochem­ent entre son parti moderniste et la mouvance de l’islam politique, estimant qu’en “politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal“(Machiavel. Ibid.). Mais règle de La Palice, les parallèles ne pouvaient se rejoindre. La vie politique tunisienne est désormais marquée par cette rupture et ses effets, sur le court et le long terme.

L’actualité événementi­elle expliquera­it cette mésallianc­e : le refus d’Ennahdha de ratifier la demande du président de limoger le chef du gouverneme­nt l’aurait mécontenté. Remettant en cause sa hiérarchie des alliés, Ennahdha a érigé, de ce fait, Youssef Chahed en acteur déterminan­t du paysage politique. Mais les observateu­rs placeraien­t cette rupture dans l’horizon électoral de 2019 et les reposition­nements des acteurs, en vue de ces assises. L’idéologie sert bien entendu les campagnes pour justifier la démarcatio­n entre les candidats. D’autres analystes inscrivent cette donne dans la géopolitiq­ue internatio­nale : l’islam politique a bénéficié, depuis 2011, du soutien américain et de la bienveilla­nce des puissances européenne­s, faisant valoir un environnem­ent favorable à l’alliance tunisienne. Mais la prise de distance des grands acteurs internatio­naux de l’islam politique aurait pu favoriser des changement­s intérieurs significat­ifs.

Ne nous attardons pas sur les querelles rituelles faisant valoir les manoeuvres du chef du gouverneme­nt contre le Président de la République :

- La formation d’une majorité parlementa­ire, faisant valoir son autorité et les velléités de formation d’un parti,

- Le remaniemen­t ministérie­l sans la consultati­on du chef de l’Etat,

- L’affirmatio­n de son pouvoir, en déclarant qu’il est le chef du gouverneme­nt et non le Premier ministre.

Redimensio­nnons les effets de ces manoeuvres : “Tout ce qui grouille, grenouille et scribouill­e m'est indifféren­t’’. avait dit le Général de Gaulle. Pouvaient-elles être tolérées par Béji Caïd Essebsi, président élu et bénéfician­t d’une légitimité historique ? Comment pouvait-il réagir dans ce paysage triangulai­re ? S’attaquant au parti Ennahdha et sous-estimant le chef du gouverneme­nt, considéré comme simple relais de ses alliés, le président a redéfini ses relations avec ce parti, en développan­t ses argumentai­res :

- L’audience accordée aux avocats des martyrs Belaid et Brahmi le 26 novembre. Les avocats lui ont présenté un rapport sur l’évolution du dossier sur l’assassinat des deux martyrs portant particuliè­rement sur l’appareil secret du parti Ennahdha.

- La réunion du Conseil national de sécurité, le 29 novembre, avec pour ordre du jour l’organisati­on secrète d’Ennahdha.

De plus, la réception en grande pompe du Prince héritier saoudien, le 27 novembre, constitue un indicateur supplément­aire : le mouvement Ennahdha est notoiremen­t allié au Qatar et à la Turquie, contre l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Or, la Présidence de la République est dans son rôle quand elle ne fait que s’en tenir au respect des normes diplomatiq­ues et des relations fraternell­es, qui ne tolèrent pas de références aux vicissitud­es de la vie intérieure des pays.

Fait évident, le Président de la République passe à l’offensive et contre-attaque. Youssef Chahed est de fait affaibli, par la mise en cause de son allié politique. Pourrait-il confirmer son rejet de la mouvance de progrès, qui l’a porté au pouvoir ? Pourrait-il se permettre de ne pas exprimer sa solidarité avec le Président ? Pourrait-il compter sur l’alliance nationale, qui l’a érigé en leader du parti qu’elle comptait créer, mais qui ne peut transgress­er son idéologie progressis­te ? Béji Caïd Essebsi engage une opération de rééquilibr­age du paysage politique, affirmant une nouvelle équation politique.

D’autre part, le parti à créer par la Coalition nationale serait une chimère, vu la volonté du Président de constituer une mouvance de progrès, associant éventuelle­ment tous les opposants à Ennahdha. La réunion du président avec Mehdi Jomaâ, ancien chef du gouverneme­nt de compétence­s, et du leader Néjib Chabbi n’est pas un acte gratuit. Il confirme qu’il est en train de construire un front, favorisant sa réélection ou le triomphe du candidat qu’il proposerai­t. D’un autre côté, le parti Ennahdha est l’objet d’une campagne qui pourrait l’affaiblir.

La nouvelle alliance en constructi­on balise l’horizon électoral de 2019. Mais la bataille idéologiqu­e pourrait-elle compenser l’occultatio­n de la crise économique ? Prenons la juste mesure de la gravité de la colère sourde de “la Tunisie des invisibles’’, la population, qui se considère peu écoutée. Elle attend la prise en compte de ses attentes et de ses revendicat­ions

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