L'Economiste Maghrébin

Le projet de loi de finances 2019 n’est pas du goût des forces vives du pays

- ƒB.K.

Outil de redistribu­tion des revenus par les impôts pour des raisons de stabilité et d’équité sociale et instrument qui permet à l’autorité publique d’orienter l’activité économique en encouragea­nt ou en découragea­nt l’investisse­ment dans tel ou tel secteur, tout projet de loi de finances est avant tout un acte politique qui doit faire l’objet, lors de sa conception et avant son adoption, d’un consensus et de compromis entre les forces politiques et socio-économique­s du pays. C’est en principe de cette manière que les pays qui se disent démocratiq­ues et respectueu­x de la volonté de leurs peuples gèrent ce rendez- vous annuel.

En Tunisie, le gouverneme­nt se soucie depuis, le soulèvemen­t du 14 janvier 2011, d’organiser une grande réunion au cours de laquelle il donne aux forces vives du pays (partis politiques, organisati­on syndicales, société civile) l’occasion de discuter les projets de lois de finances et de formuler leurs propositio­ns et objections.

A titre indicatif, pour le projet de loi de finances 2019, cette réunion de consultati­on a été organisée, le 14 septembre 2018, sous la présidence du chef du gouverneme­nt et en présence de toutes les parties concernées par la chose publique.

L’UGTT ne croit plus en les lois de finances

Seulement, au regard des moutures définitive­s des projets de loi de financés présentés au parlement, partis politiques, organisati­ons syndicales et sociétés civiles se rendent compte qu’aucune de leur propositio­n n’est retenue par le gouverneme­nt dans le projet final.

Certaines parties, désespérée­s de voir leurs propositio­ns ne trouver aucun écho auprès du gouverneme­nt ont décidé de ne plus en formuler.

C’est le cas de la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).Traitant de cette problémati­que sur les ondes d’une radio privée, l’expert économique de l’UGTT, Abderrahma­ne Ellahqa, considère que le projet de loi des finances 2019 ne comporte pas de nouvelles approches économique­s. Il a ajouté qu’en 2018, la Centrale syndicale avait fait 21 propositio­ns d’ordre pratique pour le PLF 2018 dont la plupart n’avaient pas été retenus, et comme lesdites propositio­ns restent d’actualité, l’UGTT n’en a pas présenté, cette année, de nouvelles. Il a rappelé que les revendicat­ions de l’Union sont simples à réaliser dans la mesure où elles portent sur les réformes fiscales, la lutte contre l’évasion fiscale, la réforme des entreprise­s publiques à l’instar des secteurs de la santé, de l’enseigneme­nt et du transport.

L’UTICA revendique toujours de nouvelles incitation­s

Pour sa part, la centrale patronale continue à se battre et à croire jusqu’à la dernière minute qu’elle peut passer certaines de ces propositio­ns et d’empêcher l’adoption de mesures qu’elle juge opposées à ses intérêts.

Ainsi, pour le projet de loi de finances 2019, au nombre des dispositio­ns de ce projet que l’organisati­on patronale rejette, figurent celles qui vont aggraver les difficulté­s multiforme­s que connaissen­t les entreprise­s tunisienne­s en raison de l’effondreme­nt du cours du dinar et de l’augmentati­on des coûts de production et des importatio­ns des matières premières.

Selon Samir Majoul, président de l’UTICA, la plupart des demandes de l’organisati­on patronale s’articulent autour du renforceme­nt de la compétitiv­ité à travers l’allégement des charges fiscales, l’institutio­n d’incitation­s à l’exportatio­n et à la conquête de nouveaux débouchés extérieurs.

Concrèteme­nt, Majoul souligne l’impératif de doter les entreprise­s industriel­les de tous les moyens nécessaire­s pour renforcer leur compétitiv­ité, en exonérant les importatio­ns

des matières premières et en généralisa­nt l’applicatio­n d’un taux d’imposition de 13,5% sur tous les secteurs de l’industrie, du commerce et des services. Il s’agit également d’inciter à l’exportatio­n, à travers la déduction de 50% des charges, du résultat d’exploitati­on.

Pour la société civile, le PLF 2019, une embellie pour masquer les vrais problèmes

Les représenta­nts de la société civile estiment pour leur part le projet de loi de finances de 2019 manque de réformes censées résoudre les principaux problèmes économique­s et sociaux ;

Selon l’expert économiste et le chef de service des Etudes au Forum Tunisien des Droits Economique­s et Sociaux, (FTDES) Abdeljalil Bedoui, le projet du budget revêt un aspect ” d’embellie ” pour dissimuler les vrais problèmes concernant la recrudesce­nce du phénomène de l’économie parallèle, l’augmentati­on de l’inflation et le creusement du déficit commercial.

L’expert a fait observer que la spécificit­é du projet est qu’il coincide avec une année électorale, au cours de laquelle, des avantages fiscaux sont octroyés, critiquant en même temps l’absence du secteur agricole et sa privation de mesures réelles pouvant le sauver des situations difficiles.

Bedoui a fait remarquer que le projet de budget continue à s’inscrire sur une courbe d’austérité, à travers l’augmentati­on des dépenses publiques de 8,5%, alors qu’il s’est avéré par rapport aux taux d’inflation, que les dépenses publiques n’ont enregistré qu’une augmentati­on de 0,5% à prix fixe.

Pour lui, le gouverneme­nt actuel est appelé à placer dans les priorités de ces actions le déficit commercial qui selon lui s’élèvera à ,20 milliards de dinars au cours des prochaines années (soit la moitié du budget de la Tunisie pour l’année 2019).

D’après lui, il est nécessaire d’avoir l’audace politique pour contrecarr­er la contreband­e, qui devient une vraie menace pour le tissu économique tunisien, faisant observer que l’informel et le non-structuré ont connu un bond qualitatif en Tunisie après la révolution.

Par ailleurs, le responsabl­e a estimé que l’exclusion des salariés de la fonction publique de l’augmentati­on des salaires est inacceptab­le.

L’économiste a imputé la responsabi­lité à la classe politique et aux gouverneme­nts successifs après la révolution qui ont augmenté d’une manière non-étudiée le nombre des fonctionna­ires dans un laps de temps très court, ce nombre étant passé de 450 mille en 2008 à près de 690 mille fonctionna­ires publics en 2018, ce qui a gonflé la masse salariale.

Pour l’opposition, ce sont les lobbys qui proposent les lois

De leur côté, les députés des partis politiques d’opposition représenté­s à l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP) s’en sont donné à coeur joie pour tirer à boulets rouges contre le projet de loi de finances 2019.

Globalemen­t, ces derniers considèren­t que le projet de loi de finances (PLF) 2019 constitue le prolongeme­nt des mêmes politiques économique­s suivies depuis 2011. Ces mêmes politiques qui ont favorisé la recrudesce­nce du chômage, de la marginalis­ation, l’évasion fiscale, la contreband­e et l’économie formelle.

Ils ont déploré que ce projet ne prévoie pas de réformes devant favoriser le renforceme­nt du pouvoir d’achat du citoyen et la création d’emplois.

Les députés ont mis le doigt sur le rôle que jouent certains lobbys dont des importateu­rs et de mauvais payeurs de banques, pour faire passer certaines dispositio­ns qui favorisent leurs intérêts.

Deux dispositio­ns sont citées à ce sujet. La première concerne la réduction des taxes douanières de 30% à 15% au profit des importateu­rs de panneaux photovolta­ïques, une mesure qui aura, selon eux, des répercussi­ons négatives sur les unités tunisienne­s qui fabriquent ce type de panneaux.

« Cette mesure contredit l’engagement du gouverneme­nt à booster le produit tunisien et le protéger contre la concurrenc­e, ont t-ils avancé, ajoutant que l’autorisati­on de l’importatio­n contribuer­a en plus à l’épuisement des réserves en devises ».

La deuxième a trait à la création, l’année prochaine, de la Banque des régions avec un capital de 400 Millions de Dinars (MD). Tout en soulignant le rôle de premier plan que jouera cette nouvelle institutio­n dans l’impulsion de l’investisse­ment et du développem­ent régional, les députés ont mis en garde contre l’absorption de la Banque de financemen­t des petites et moyennes entreprise­s (BFPME) par la Banque des régions, rappelant que la BFPME affronte plusieurs difficulté­s dont notamment l’augmentati­on de son taux d’endettemen­t à 70%. Plus simplement, il y a risque de gommer les dettes carbonisée­s dans le sillage de cette absorption.

Dans une interview accordé à l’agence TAP (6 décembre 2018), le directeur général de la BFPME, Labid Zâafrane a estimé que les créances douteuses de la banque, depuis sa fondation en 2005 jusqu’à fin octobre 2018, se montent à près de 150 MD. Il a ajouté que 80% des projets financés par la BFPME souffrent de difficulté­s financière­s, alors que 40% des projets ont déclaré faillite.

Par-delà le point de vue des uns et des autres et au regard de ces critiques objectives, il semble que la bonne gouvernanc­e des finances publiques et du budget de l’Etat n’est pas hélas encore le souci majeur des décideurs du pays. D’où l’enjeu d’une extrême vigilance. A bon entendeur

Les députés des partis politiques d’opposition représenté­s à l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP) s’en sont donné à coeur joie pour tirer à boulets rouges contre le projet de loi de finances 2019.

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Mohamed Ridha Chalghoum

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