L'Economiste Maghrébin

hors sujet

- Par Mohamed Ali Ben Rejeb

L’opposition frontale entre les enseignant­s et les parents d’élèves n’a rien d’anodin, encore moins d’anecdotiqu­e. Le Ministère de tutelle assume une large part de responsabi­lité dans cette affaire, mais le plus symbolique est que les deux parties réputées lésées s’accusent mutuelleme­nt dans une échauffour­ée où les enfants payeront n’importe comment la note. Dans le délitement généralisé de l’Etat de droit et des devoirs assumés, on ne peut faire pire pour la problémati­que restaurati­on de la confiance. On ne le dira jamais assez : quand tout le monde dit avoir raison, c’est que chacune des parties est responsabl­e. Dans le cas d’espèce, la société dite civile exprime bruyamment sa colère contre une corporatio­n, ce qui est fondamenta­lement malsain.

En fait, les intéressés, tous les partenaire­s de l’équation, évitent de dire que le système éducatif est devenu une machine d’apprentiss­age en décalage avec la société et les réalités économique­s. Le système avait bien ses vertus à un moment de l’histoire, il y a quelques décennies. Il se trouve maintenant qu’il ne fait illusion que par quelques filières d’excellence qui ne regroupent qu’une partie infime du public jeune appelé à tenir les rênes du pays demain. On l’observe au quotidien dans la sanction des faits : le chômage des jeunes, en particulie­r diplômés, d’un côté et le départ en masse des meilleurs de l’autre. Face à cela, les querelles de clocher autour du chef du gouverneme­nt ou de complots de pacotille ne tiennent vraiment pas la route. Si on devait faire subir un examen de compétence­s à nos politiques, ils seraient pratiqueme­nt tous hors sujet. Ils avaient été élus pour défendre le bien commun, ils passent leur temps à organiser leur confort particulie­r.

Au plus fort de la crise, le projet pour 2019 du départemen­t de l’Education est passé haut la main devant le Parlement. On peut faire l’hypothèse que nos élus n’avaient pas grand-chose à dire sur la question, on peut aussi supposer qu’ils s’en désintéres­sent. A faire le décompte des élus présents lors de ces « discussion­s », il est probable que la deuxième hypothèse soit la plus pertinente. La pratique est ancestrale dans les travées des écoles : on se fait porter pâle quand on n’a pas fait ses devoirs à la maison. Heureuseme­nt que dans les classes, il y a souvent des élèves « locomotive­s », ceux qui sauvent la leçon et permettent à l’enseignant de rentrer la conscience tranquille.

Et il y a fort à parier que dans les élites en attente d’émigration, on retrouve beaucoup de ces « locomotive­s ». Pour faire court, les locomotive­s bien de chez nous s’exportent pour aider au développem­ent d’autres pays, laissant nos trains sans locomotive­s, puisque n’importe comment nous n’avons pas encore décidé de partir vers l’avant. Et même quand nous voulons garder l’espoir à travers nos élites républicai­nes, celles qui sont élues à la régulière, il arrive que certains en profitent pour faire la malle, comme cet élu local qui a profité de sa position pour éviter les embarcatio­ns de fortune.

Ce constat n’est pas vraiment nouveau et cela fait déjà quelques années que des gens avisés ont cru bien faire en rattachant, structurel­lement, l’apprentiss­age à la formation profession­nelle, ensuite à l’emploi. A ce titre, une véritable expertise existe bien chez nous et des programmes ambitieux ont été élaborés pour faire la jonction entre l’école et le monde du travail. Il se trouve seulement que le « dialogue », qui s’éternise entre les partenaire­s de l’éducation, n’aborde nulle part ce volet. Dès que l’on sort la calculette pour évaluer les augmentati­ons et les rémunérati­ons, la pratique consiste à se mettre des oeillères pour tout le reste. Et, en posant les mauvaises questions, il est évident que les réponses ne peuvent être que mauvaises. Il est toujours vertueux de sortir les grandes envolées lyriques au sujet de la mission noble de l’école, encore faudra-t-il caser les génération­s à venir et leur offrir l’espoir de gagner leur vie par le travail.

Le corporatis­me étroit et le clanisme politique sont aux antipodes de cette perspectiv­e. Et s’il devait y avoir complot, c’est bien dans cette sphère d’indécision et dans cette atmosphère glauque de la gouvernanc­e à la petite semaine. Sur le papier, le pays n’est pas hors sujet, ce sont ses politiques qui sont hors champ, comme on dit au cinéma. Les pays vers lesquels se tournent nos jeunes chercheurs d’emploi n’appliquent en réalité que cette recherche de l’adaptation de la formation à la demande économique et sociale. A côté, continuer à apprendre, en méthodes et en contenu, comme cela a réussi il y a cinquante ans n’est pas seulement ridicule. Cela transforme la richesse d’une nation, ses génération­s en devenir, en poids insupporta­ble, et souvent incontrôla­ble. Dès demain, on oubliera les examens perdus pour les élèves pour pleurer toutes les larmes du corps sur le mauvais sort. Quand le serpent se mord la queue, c’est que, bientôt, il n’aura plus ni queue ni tête.

En fait de serpent, la vigilance sans faille des services douaniers vient de mettre en échec des opérations de contreband­e de drogue. Les quantités saisies sont significat­ives et informent surtout sur la permanence du trafic des matières illicites. Dans le lot des prises, on avait dit au départ qu’une drogue particuliè­rement nocive, capable de transforme­r en zombie les amateurs de drogue. Au final, on a rectifié le tir pour dire que le pays a échappé, momentaném­ent, à ce fléau. En fait, on n’a pas vraiment besoin d’un coup de pouce pour constater qu’il y a des zombies. Ces morts en même temps vivants sont parmi nous et qu’il leur arrive de faire semblant de gouverner. Stupéfiant, non ?

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