L'Economiste Maghrébin

Attention rien n’est joué d’avance

- Mohamed Gontara

Les élections de 2019 s’annoncent difficiles. Et les gagnants pourraient ne pas être ceux auxquels on pense. Le paysage est en mutation constante !

Pour l’instant, aucun parmi Hafedh Caïed Essebssi, Youssef Chahed, Rached Ghannouchi ou encore Samia Abbou ne pourraient remplacer le président de la République à Carthage». Cette phrase de Nourreddin­e Ben Ticha, conseiller politique auprès du président Mohamed Béji Caïd Essebsi, prononcée le 1 er décembre 2018, sur les ondes d’Express Fm, a-telle été assez bien analysée ?

Signifie-t-elle que le chef de l’Etat est tout indiqué pour succéder à lui-même à la haute fonction qu’il occupe ? Ou s’agit-il d’une glorificat­ion qu’un conseiller se doit lorsqu’il évoque son patron ?

Quoi qu’il en soit, l’actualité, avec ses batailles qui précèdent les législativ­es et la présidenti­elle de 2019, dont la campagne a déjà démarré, ont permis au chef de l’Etat de revenir sur la scène politique. En témoigne les 15,4% d’intention de vote pour le président de la République obtenus dans le baromètre de Sigma Conseils, publié, le 7 décembre 2018, par notre confrère « Le Maghreb ».

Des indicateur­s à prendre en considérat­ion

Il est évident que l’absence d’un dispositif juridique concernant les sondages politiques en Tunisie et les doutes au sujet de l’exécution de ces derniers ainsi que l’existence, quelquefoi­s, de « donneurs d’ordre » à ces exercices font douter plus d’un concernant tel ou tel résultat. Reste que les chiffres de Sigma Conseils peuvent être des indicateur­s à prendre en considérat­ion.

On ne peut se refuser de croire que le chef de l’Etat a assuré ces derniers jours une certaine « remontada » dans l’opinion qui ne peut que le servir. Et ne peut que l’encourager à aller, pour ainsi dire, au charbon. Il a toujours refusé, cela dit, de dire ce qu’il fera à ce sujet. Exprimant une sorte de « celui qui vivra, verra ».

Force est de constater, à ce juste propos, que son implicatio­n sur deux dossiers vitaux ne peut que lui faire gagner des pans entiers de l’opinion. Celui, d’abord, de l’égalité successora­le. Celui, ensuite du martyr de Chokri Belaïd et de Mohamed Mbarki.

Sur ce dernier dossier, personne ne peut lui reprocher cette implicatio­n. Outre, la nécessité, comme il l’a assuré, de recevoir tout Tunisien qui souhaite le rencontrer –le dossier n’est pas du reste anodin -, il y a là une promesse électorale qu’il se doit de respecter. Celle de faire avancer le dossier de ces deux graves assassinat­s politiques.

Tout le monde aura compris que le fait que le chef de l’Etat ait décidé de tenir, le 23 novembre 2018, un Conseil ministérie­l sous sa présidence sur l’égalité successora­le est le signal qu’il est celui d’où est partie l’initiative. N’a-t-il pas , à cet effet, créé la Commission des Libertés Individuel­les et de l’Egalité (COLIBE) afin qu’elle lui remettre un rapport sur les réformes à apporter à ce niveau.

Certains l’ont-ils oublié ? Peut-être. Ou veulent-ils le faire ? Politique nourri à la sève bourguibie­nne, il sait, comme le disait l’homme auprès duquel il a fait l’essentiel de son parcours, prendre des rendez-vous avec l’histoire.

Réactions teintées d’agressivit­é d’Ennahdah

On pourrait en dire autant concernant le dossier des martyrs Belaïd et Mbarki. Youssef Chahed, qui est, sans doute aux yeux du chef de l’Etat, un homme qui a voulu en faire à sa tête –n’a-t-il pas refusé, l’été dernier, de démissionn­er ou d’aller chercher la confiance du parlement ?- ne pouvait ne pas comprendre le message délivré par les audiences accordées aux avocats chargés

de la défense des deux martyrs. Comme de la réunion du Conseil national de sécurité,

du 29 novembre 2018.

Présent à la réunion, le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, ne pouvait ignorer que le fait que le président de la République se saisisse du dossier sous quelque forme et pour quelque motif que ce soit ne peut qu’indisposer un de ses principaux soutiens, du moins pour le moment : Ennahdah.

En témoigne les réactions, teintées quelquefoi­s d’agressivit­é, du parti islamiste au sujet d’une implicatio­n du chef de l’Etat dans le dossier. Ennahdah souhaite qu’il soit exclusivem­ent du regard de la justice.

Un dossier –faut-i le rappeler ?- largement lié à un autre, aussi grave sinon plus: l’existence d’un appareil secret devenu aux yeux du chef de l’Etat une sorte de secret de polichinel­le.

Autant dire que Mohamed Béji Caïd Essebsi, que l’on croyait incapable d’agir, avec la fin du fameux « Tawafek » (alliance) avec Ennahdah, qui a décidé de changer de fusil d’épaule en trouvant auprès de Youssef Chahed un nouvel interlocut­eur pour gouverner le pays, et l’obtention de la confiance à l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP) par ce dernier, le 12 novembre 2018, pouvait faire mal.

Des épisodes qui prouvent que le chef de l’Etat a plusieurs cordes à son arc. Il est, contrairem­ent à beaucoup de ses adversaire­s, élu au suffrage universel. Il constitue une autorité. Il a des relais dans la classe politique.

Une classe politique –on le devine- qui ne va pas du tout se priver de se quereller –pour ne pas dire plus- au fur et à mesure que la bataille des élections de 2019 va s’approcher. Le paysage politique –on ne cesse de le voir- est en mutation, pour ne pas dire qu’il est bel et bien mutant.

Impossible de croire effectivem­ent que les alliances qui voient le jour et les autres constellat­ions peuvent toujours tenir bon face aux enjeux et aux défis à venir. Ainsi en est-il évidemment du nouveau « Tawafek » entre Ennahdah et cette coalition parlementa­ire qui semble vouloir se constituer pour servir de soutien à un Youssef Chahed, dont les ambitions politiques semblent maintenant claires.

Comment expliquer sinon la réunion de membres du parti Nidaa Tounes autour de partisans de Youssef Chahed, à Sousse, le 6 décembre 2018, venus évoquer un nouveau mouvement politique.

Qu’en pensera Ennanhdah le jour où il faudra se battre coude à coude pour recueillir les voix des Tunisiens ? Le mouvement islamiste laissera-t-il le nouveau parti, qui sait qu’il ne peut qu’être l’expression d’une Tunisie progressis­te - et anti-islamiste -, lui voler une victoire qu’il pense certaine. Les hommes politiques sont de cette race : ils ne pensent d’abord qu’à eux-mêmes.

Doit-on croire, dans cet ordre d’idées, que d’autres forces politiques n’ont pas droit à la victoire ? Faux, archifaux. Ainsi Nida Tounes, que l’on dit presque fini, avec les déchiremen­ts qui le secouent, peut avoir sa « remontada ». Il est crédité de 29,8% des voix aux législativ­es, selon le baromètre Sigma Conseils cité plus haut. Derrière Ennahdah avec 36,1%.

Circonscri­re le jeu politique aux seuls acteurs politiques est, par ailleurs, une faute. La société civile a droit de cité dans des élections qui vont intéresser plus d’un. Déjà, l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) a donné le ton. En soulignant qu’elle compte s’y impliquer. Maintenant qu’elle sait que son non implicatio­n peut faire évoluer la chose sociale dans ce qui leur semble le mauvais sens.

Abandons d’acquis précieux

Quid des autres composante­s de la société civile qui savent, elles aussi, qu’il faut veiller au grain ? Afin d’éviter des retours en arrière. Et des abandons d’acquis bien précieux. Qui peuvent être dangereux pour l’avenir du pays.

Quid encore de ce qu’on nomme les indépendan­ts ? Ils ont été la principale surprise des élections municipale­s du 8 mai 2018. Ils ont gagné des mairies. Et sont de ce fait présents sur un terrain politique où ils peuvent agir et négocier des voix.

Conclusion, la bataille n’est pas non seulement gagnée d’avance, mais elle peut également se révéler fatale pour ceux qui ont vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Et celui qui a le plus à perdre sur ce terrain –de nombreuse élections l’ont montré de par le passé- peuvent être dans les rangs de ceux qui se présentent aux suffrages alors qu’ils ont une expérience du pouvoir. Comprenez, ceux qui ont gouverné, à quelque niveau que ce soit le pays, depuis 2014.

Et qui ont subi critiques, mais qui ont aussi laissé les traces d’une mauvaise gouvernanc­e que certains vivent dans leur chair : cherté de la vie, perte d’emplois et d’avantages, restrictio­ns économique­s… Or, de ce côté des choses, ils sont très faciles à identifier. Leurs adversaire­s ne manqueront pas du reste à le leur faire savoir

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 ??  ?? Le président Mohamed Béji Caïd Essebsi recevant, le 4 décembre 2018, Bessma Khalfaoui,la veuve de Chokri Belaïd, et l’avocat Ali Kalthoum
Le président Mohamed Béji Caïd Essebsi recevant, le 4 décembre 2018, Bessma Khalfaoui,la veuve de Chokri Belaïd, et l’avocat Ali Kalthoum
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Affichage électoral dans les environs de Tunis. La surprise peut être au rendez-vous en 2019

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