« La BEI tient le cap conformément à ses engagements car elle croit en la Tunisie nouvelle »
Emma Navarro, Vice-Présidente de la Banque européenne d’investissement (BEI)
Elle s’est entretenue avec plusieurs ministres. Elle est brillamment intervenue lors de l’ouverture officielle des « Journées de l’entreprise », en présence du Chef du gouvernement, avant de l’accompagner, à quelques encablures de là, au technopôle de Sousse que la BEI a financé. Moment fort de la visite d’Emma Navarro, la Vice-Présidente de la BEI s’est rendue au Musée du Bardo : tout un symbole. Comme pour signifier sa détermination à se tenir aux côtés de la Tunisie.
C’est sa première mission officielle dans la région, et elle s’est dite heureuse que ce soit en Tunisie. Elle n’avait pas de mots assez forts pour réaffirmer l’engagement de la Banque et son implication dans l’oeuvre de développement du pays. Cette banquière n’est pas à ce niveau de responsabilité par hasard. Elle a aussi ceci de particulier qu’elle a du coeur : « La BEI est le partenaire de confiance des Tunisiens et de la Tunisie depuis 40 ans ». Signe de cette relation privilégiée : « La BEI s’est engagée, dira-t-elle, à mobiliser moyens et compétences pour accompagner la Tunisie nouvelle face aux défis économiques et sociaux auxquels elle est confrontée depuis la révolution démocratique de 2014 ». La Banque « veut aussi donner un nouvel élan à l’investissement. Nous souhaitons, nous confie-t-elle, offrir de nouvelles perspectives d’avenir à la jeunesse tunisienne ». Elle le dit avec force conviction, avec autant de sincérité, de grâce et de détermination. Interview.
En votre qualité de vice-présidente de la BEI pour la Méditerranée, en quels termes évaluez-vous plus de 40 ans de partenariat entre la BEI et la Tunisie ?
40 ans, en effet, que la BEI est présente et active en Tunisie avec plus de 7 milliards d’euros d’investissements pour soutenir le développement du secteur privé, notamment les PME, comme des projets du secteur public et de grands projets d’infrastructure essentiels au développement économique de la Tunisie. Pendant toutes ces années, nous avons noué un partenariat de confiance et de grande qualité avec la Tunisie avec des étapes décisives franchies ensemble. En 2011, la BEI s’est engagée à accompagner la Tunisie nouvelle dans ce pari d’une transition exemplaire avec à la clé plus de 31 projets d’investissement signés pour un montant global de 2,1 milliards d’euros. En 2016, lors de la Conférence internationale « Tunisie 2020 », la BEI répondait à nouveau présente avec l’annonce d’un soutien d’envergure de 2,5 milliards d’ici 2020 pour soutenir une croissance inclusive et durable en ligne avec les priorités d’action du Gouvernement tunisien.
Voudriez-vous nous citer des projets phares qui ont été financés ou cofinancés par la BEI en Tunisie ? Comment se présente, aujourd’hui, la visibilité de la Tunisie pour la BEI ?
La BEI est un partenaire solide pour la Tunisie et de nombreuses opérations phares ont été financées dans les secteurs clés de l’économie tunisienne telles que l’énergie, le soutien au secteur privé, les infrastructures, l’éducation ou encore le logement social. Ce qui est important c’est l’impact de ces financements sur la vie quotidienne des habitants. Je citerais à titre d’exemples le projet de réhabilitation urbaine des quartiers défavorisés et des centres historiques, notamment les médinas, dont je viens d’annoncer le financement de 77 millions d’euros dans la continuité de notre soutien de 2012 avec à la clé l’installation d’infrastructures de base comme les réseau d’eau, d’assainissement et d’électricité. Dans le secteur de l’énergie, nous avons par exemple financé 370 km de gazoducs dans l’objectif d’une meilleure exploitation des réserves existantes et un approvisionnement du marché local en gaz naturel.
Dans leurs discours et déclarations, les responsables de la BEI ont été toujours optimistes quant à l’avenir de l’économie tunisienne, qu’est-ce qui explique, selon vous, cet optimisme en dépit de la crise multiforme dans laquelle se débat, aujourd’hui, le pays ?
La Tunisie est confrontée à d’importants défis socio-économiques et le processus de transition est difficile. Mais la Tunisie a des atouts et un réel potentiel de croissance. L’économie tunisienne a des possibilités énormes de par notamment le niveau d’éducation et de formation des Tunisiens, et leur engagement pour réaliser les réformes nécessaires. Une des clés est à mon sens la reprise de l’investissement et un soutien accru au développement et à la compétitivité des entreprises en accélérant les réformes de structuration nécessaires.
La Tunisie, voisine de la Libye qui connaît de graves problèmes de sécurité, cette donne ne dérange-telle pas outre mesure la BEI ?
La sécurité est en effet un enjeu majeur pour la Tunisie et nous y sommes très attentifs car elle est essentielle à la croissance et à l’attractivité des investisseurs. Nous travaillons d’ailleurs en étroite collaboration avec l’Union européenne dans le cadre d’une stratégie globale incluant le développement et la sécurité.
Quels sont les secteurs qui sont généralement éligibles aux lignes de crédit que la BEI met à la disposition de la Tunisie ? Y a-t-il des préférences ?
La BEI soutient les secteurs clés de l’économie tunisienne participant à une croissance durable.
Depuis 2011, nous avons axé nos financements en faveur du secteur privé et des entreprises en signant par exemple des financements particulièrement novateurs avec les banques et sociétés de leasing tunisiennes, s’appuyant pour certains sur un partenariat avec la société civile mais également en offrant des produits de garantie de portefeuille pour nos partenaires bancaires (Innovfin) permettant ainsi de favoriser et d’accélérer l’accès au financement des très petites entreprises. Le soutien à l’innovation a également été au coeur de notre action avec l’appui de la BEI à Tunisie Telecom à hauteur de 100 millions d’euros, l’objectif étant le développement des réseaux à très haut débit fixe et mobile avec la mise en place de 1500 sites 4G sur l’ensemble du pays, ainsi que le déploiement de 2000 km de fibres optiques. Ce financement est le premier du genre effectué hors de l’Union européenne. Il démontre le dynamisme et l’exemplarité tunisienne.
Nous avons constaté que la BEI poursuit, de plus en plus, un objectif
primordial et géostratégique, celui de la lutte contre le réchauffement climatique. Elle encourage le financement de mégaprojets dans les énergies vertes. Elle l’a fait au Maroc. Est-ce qu’elle peut le faire en Tunisie qui projette de satisfaire, d’ici 2030, ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables ?
La lutte contre les changements climatiques est une priorité d’action pour la BEI qui est le premier bailleur de fonds multilatéral au monde pour le financement de l’action climatique. La BEI consacre plus de 25 % du total de ses financements à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à leurs effets, ce qui représente en termes de volume 20 milliards d’euros de financements en 2017. Ce chiffre atteindra 35 % d’ici 2020 dans les pays situés à l’extérieur de l’Union européenne. La Tunisie a un grand potentiel en matière de développement des énergies renouvelables et nous sommes prêts à étudier toute demande de financement dans ce secteur pour soutenir les objectifs du Gouvernement tunisien.
Depuis janvier 2011, la BEI a renforcé, accéléré et étalé ses financements à une gamme plus étendue de secteurs. Elle a élargi son portefeuille à l’infrastructure sociale. Dans cette perspective, la BEI est-elle disposée, aujourd’hui, à financer ou à cofinancer de nouveaux hôpitaux publics, des lycées, universités, centres de formation professionnelle… ?
Nous avons, en effet, accru nos financements dans les infrastructures à vocation sociale et nous sommes prêts à continuer cet effort, en priorité sur des secteurs clés pour l’avenir de la Tunisie pour soutenir la formation et l’emploi des jeunes.
La BEI, en sa qualité de banque de développement durable, d’engagement et de confiance, a constamment oeuvré à donner une image positive de la Tunisie. Elle l’a fait avec brio, en novembre 2016, lors de la Conférence internationale pour l’investissement ou « Tunisia 2020 ». Est-ce qu’elle projette de continuer sur cette même trajectoire ?
La BEI tient le cap conformément à ses engagements car elle croit en la Tunisie nouvelle. Nous continuerons à proposer aux Autorités tunisiennes notre soutien financier et à mobiliser moyens et compétences pour accompagner au mieux les Tunisiens dans leur transition.
La BEI a tendance à accorder facilement des dons pour financer les études de faisabilité technicoéconomique de grands projets d’infrastructure (métro de Sfax, autoroutes…), faut-il entendre par là que ces dons seront relayés, automatiquement, par des prêts pour financer ou cofinancer ces projets ?
Un des atouts majeurs de la BEI est son expertise lui permettant d’intervenir de façon structurante et globale. Grâce à nos économistes et nos nombreux experts, nous sommes en mesure de faire des études pointues sur des grands projets d’infrastructures comme sur des problématiques socio-économiques clés, lesquelles peuvent en effet faciliter des financements futurs. Pour les projets que nous finançons, nous proposons un accompagnement « sur mesure » permettant d’évaluer et d’optimiser l’impact réel sur la vie quotidienne des populations, y compris dans ses dimensions sociales, environnementales et économiques. Le projet de réhabilitation des quartiers défavorisés et des centres historiques a bénéficié de cette expertise grâce à un programme d’assistance technique financé par l’Union européenne.
Vous avez participé les 7 et 8 décembre aux Journées de l’entreprises à Sousse placées cette année sous le thème : « L’entreprise et les réformes de rupture ». Quelle signification donneriez-vous à « ces réformes de rupture » ?
Il est important que la Tunisie puisse s’affirmer sur la voie de la croissance, de l’inclusion, de l’investissement et de la performance. Et la confiance des opérateurs économiques nationaux comme des investisseurs étrangers est essentielle au développement et à la compétitivité des entreprises tunisiennes. Le processus de transition démocratique, économique et sociale nécessite en effet une évolution en profondeur des textes, mais aussi des pratiques. Concernant les nombreuses réformes à engager en Tunisie, l’objectif de maîtrise des finances publiques et de simplification administrative, l’évolution de la fiscalité, l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation sur l’investissement, pour améliorer le climat des affaires, et les avancées en matière de développement effectif des partenariats public-privé, sont autant de signes positifs sur la voie de la modernisation et de la transition économique. Dans un contexte international toujours plus compétitif, les réformes structurelles peuvent s’avérer une tâche difficile mais elles sont une nécessité incontournable, ainsi que le soutien à l’initiative privée. La BEI est consciente de sa responsabilité à accompagner la Tunisie dans ce processus de réformes de rupture. C’est pourquoi dès 2011, la BEI s’est engagée à accompagner la Tunisie nouvelle dans son processus de transition.
Que souhaiteriez-vous dire du fond du coeur aux Tunisiens toutes responsabilités confondues ?
J’admire le courage que les Tunisiens ont démontré et pour ce qu’ils ont accompli, ouvrant une voie et une ère nouvelle. La BEI est plus que jamais à l’écoute et aux côtés des Tunisiens face aux défis auxquels ils sont confrontés aujourd’hui. La relance de la croissance et de l’emploi est notre priorité et nous y arriverons ensemble avec toutes les forces vives de ce pays, des dirigeants aux chefs d’entreprise et micro-entrepreneurs. Avec également les jeunes et très jeunes Tunisiens qui ont beaucoup d’attentes et d’interrogations face à leur avenir : qu’ils sachent que l’éducation, la formation, l’insertion professionnelle et l’intégration sociale sont également une de nos priorités. Ce lien de grande confiance qui nous lie aux Tunisiens est une force pour réussir ensemble cette transition