Classe politique
De quoi sera fait l’après-Tahya Tounes ?
La création du 216 e parti politique tunisien ne règle en rien la question de l’instabilité politique dans le pays. Bien au contraire. Car, et au fur et à mesure que les échéances électorales se rapprochent, les coups les plus durs vont être assénés par les uns et par les autres. Un climat qui pourrait aboutir à une forte abstention… et à un émiettement des voix. Ce qui est loin d’être souhaitable. Analyse.
Un début, sans doute, d’accélération de l’histoire électorale en ce début d’année 2019 en Tunisie avec l’annonce officielle, le 27 janvier, à Monastir, de la création de « Tahya Tounes » (Que vive la Tunisie). Il s’agit du 216e parti politique tunisien depuis la révolution du 14 janvier 2011.
Un parti qui a fait jouer, comme beaucoup d’autres, la fibre nationale : « Nidaa Tounes », « Afak Tounes », « Tounes Awalane »… Et qui se veut un sérieux prétendant pour les échéances électorales de l’année en cours.
N’est-il pas constitué autour d’une ossature faite de membres du gouvernement ? A commencer par son chef qui n’apparaît nulle part. Mais qui est le principal promoteur du projet. Comme celui de la constitution à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) d’une coalition de quelque 44 députés. Ses membres, à commencer par son président, Mustapha Ben Ahmed, se trouve du reste dans les instances de « Tahya Tounes ».
Un parti constitué notammentde transfuges d’autres partis, en l’occurrence « Nidaa Tounes » et « Afek Tounes » et «Al Joumhouri»... Une réalité avec laquelle il faut compter à l’heure de ce qu’on ne cesse d’appeler le « tourisme parlementaire » : certains députés ont changé jusqu’à trois fois de couleur politique.
Il faut se demander d’ailleurs si l’on est en droit de parler de couleur politique. Dés lor qu’une constellation de partis, qui se disputent les voix des Tunisiens en dehors des adeptes de la solution islamique ou islamiste, disposent de programmes bien semblables.
Une société moderne, ouverte et progressiste
Il s’agit évidemment de partis qui défendent une société moderne, ouverte et progressiste. Ces derniers proposent en fait – et à des différences près- les mêmes choix de société : démocratie, égalité des chances et devant la loi, statut avancé de la femme, l’école comme ascenseur social, liberté d’entreprendre, un Etat fort…
On comprend bien que les mutations que peut connaître ce dernier tissu politique sont plutôt déterminées en fonction des intérêts des uns et des autres. En fonction, selon toute évidence, du statut dont les acteurs politiques peuvent bénéficier.
Ce qui constitue une réalité bien gravissime. Elle dit que rien ne peut assurer à « Tahya Tounes », par exemple, une certaine pérennité. Bien avant les élections de 2019 et surtout après, les choses pourraient mal tourner si les intérêts de « glaneurs » de portions de pouvoir ou de notoriétés sont contrariés par leur choix.
Pour s’en convaincre, il faudra interroger le vécu de la classe politique qui se dispute les voix de la population, hors islamiste et conservatrice. Où est « Nidaa Tounes », « Afek Tounes » ou encore l’Union Patriotique Libre (UPL) ? Ne cessent-ils de vivre des opérations de fusions-acquisitions ?
Fait important sur lequel il faudra également s’arrêter concernant l’actualité de ces derniers jours : l’interview donnée par le chef de l’Etat à « Al Arab ». Publiée dans le numéro du 29 janvier 2019 de ce quotidien arabe édité à Londres, l’interview mérite tout notre intérêt.
Car, et on ne le dira jamais assez, le Président de la République, Béji Caïd Essebsi, qui n’est pas né de la dernière pluie politique, et qui en a vu d’autres au cours d’un cursus politique fait de nombreux rebondissements, sait très bien réagir.
Il est ainsi on ne peut plus probable qu’il va présenter sa candidature aux prochaines échéances électorales. Il n’a pas encore nié qu’il puisse le faire. Estimant qu’il agira en fonction de l’intérêt du pays.
Au-delà du contenu de l’entretien accordé par le chef de l’Etat, il faudra retenir que rien ne peut s’opposer à cette candidature qui est, à notre sens, probable. De toute manière, les deux, pour ainsi dire, exigences formulées pour pouvoir briguer un second mandat sont facilement dans les cordes du chef de l’Etat.
Candidature du chef de l’Etat
Des membres de son entourage assurent qu’il a demandé que « Nidaa Tounes » tienne, d’abord, son congrès (en mars 2019) et qu’il propose, ensuite, la candidature de Béji Caïd Essebsi.
Croire du reste que « Nidaa Tounes » est fini n’est pas aussi sûr que cela. Le parti, créé par le chef de l’Etat, en avril 2012, peut encore –même affaibli- jouer un rôle de premier plan d’ici les élections. Et bien au-delà.
Le parti dispose du reste de cadres et de sympathisants décidés à porter le mouvement bien haut. Beaucoup de ces derniers sont face au mur. Et n’ont donc d’autre choix que de défendre bec et ongles le parti et d’ imposer leurs vues.
D’autant plus que c’est encore trop tôt pour dire comment doivent évoluer les choses maintenant que rien ne peut empêcher les élections de se dérouler. L’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) est constituée. Enfin ! diront quelques uns.
Dans un pays où la politique est une affaire de conjonctures et quelquefois d’humeurs, de scandales, de rumeurs et de manipulations, tout est possible. Force est de croire que le succès des uns et des autres, y compris de « Tahya Tounes », va dépendre de beaucoup de facteurs.
Remarquons, à ce sujet, que les différents acteurs politiques et sociaux ne cesseront d’agir pour asséner les pires coups à leurs adversaires. Et aussi bien Youssef Chahed que le mouvement Ennahdah, qui semblent bien partis pour réussir dans la bataille électorale, qui a déjà commencé, peuvent y laisser des plumes.
Youssef Chahed le sait très bien. Il sait très bien que la survie de son gouvernement et de « Tahya Tounes » va beaucoup dépendre de la gestion de l’épisode Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT).
Il sait qu’outre la grève des 20 et 21 janvier 2019 et le dossier de l’enseignement secondaire, il devra répondre à d’autres exigences de la principale centrale syndicale concernant de nombreux dossiers comme la restructuration des entreprises publiques.
Il semble, à ce propos, acquis que le gouvernement va probablement jouer la montre. Les réformes peuvent attendre
l’après-2019. Le pays n’attend pas depuis des mois que l’on vienne au secours de beaucoup de dossiers qui impliquent une concertation avec l’UGTT ?
A propos comment va agir « Tahya Tounes » en prévision des élections des prochains mois avec une UGTT qui ne cesse de critiquer les faits et gestes du gouvernement Chahed dont elle a plus d’une fois vilipendé l’action ?
L’UGTT ne sera pas absente
Personne ne sait d’ailleurs que fera l’UGTT qui a dit clairement qu’elle ne compte pas être absente des élections ? Présenterat-elle des listes indépendantes ? Constitueratelle des listes communes avec telle ou telle formation ? Se limitera-t-elle à appuyer seulement tel ou tel candidat ?
Quoi qu’il en soit, il est bien probable qu’elle puisse faire du gouvernement un de ses adversaires de choix. Et de critiquer le bilan du gouvernement notamment à l’endroit de la classe ouvrière (inflation, cherté de la vie, dévaluation du dinar, chômage,…).
Certains posts qui circulent déjà sur les réseaux sociaux concernant ce bilan peuvent faire mal. Ils évoquent une détérioration (chiffrée) entre 2016 et aujourd’hui du vécu des Tunisiens. Evidemment Youssef Chahed n’est pas le seul responsable. Mais allez expliquer cela à des électeurs qui n’auront pas toujours le temps et les moyens de bien réfléchir à la question.
Le chef de l’Etat vient de remettre, le 2 février 2019, sur le devant de l’actualité le dossier des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Mbarki, à l’occasion du Conseil de sécurité nationale qu’il préside - Et faut-il le préciser ? - ce qui va avec : l’appareil secret d’Ennahdah.
Un appareil sur lequel le chef de l’Etat est revenu dans son entretien à « Al Arab ». Le président Béji Caïd Essebsi a dit –encore une fois- la nécessité de faire toute la vérité sur ce dossier.
Pourrait-on le lui reprocher ? D’autant plus qu’il s’agit là d’une promesse électorale. Le fait est là, le chef de l’Etat sait qu’il tient ici un moyen de maintenir la pression sur son allié d’hier, Ennahdah, et – par ricochet - sur Youssef Chahed. Il a également déclaré clairement dans son interview qu’une nouvelle alliance est en place aujourd’hui sur la scène politique tunisienne.
Tout ce qui précède n’est pas sans nous permettre de conclure que les prochaines élections donneront lieu à une quasi-bataille rangée. Cela ne risque-t-il pas de décourager plus d’un votant ? Ce n’est d’ailleurs pas un secret pour personne que l’abstention pourrait être au rendez-vous de la présidentielle et des législatives de 2019.
Certains posts qui circulent déjà sur les réseaux sociaux concernant le bilan du gouvernement peuvent faire mal. Ils évoquent une détérioration (chiffrée) entre 2016 et aujourd’hui du vécu des Tunisiens. Evidemment Youssef Chahed n’est pas le seul responsable. Mais allez expliquer cela à des électeurs qui n’auront pas toujours le temps et les moyens de bien réfléchir à la question.
Un bric-à-brac
Outre cette abstention, il y a à craindre un émiettement des voix. Ce qui ne favoriserait pas, et avec le mode de scrutin mis en place depuis 2011, une majorité déterminante au niveau de l’ARP ou un attelage d’alliances gouvernementales qui tienne. Il est à craindre qu’il s’agisse d’un bric-à-brac.
Evidemment, au vu de la situation bien difficile du pays, une victoire de l’un ou l’autre des deux principaux prétendants politiques importants décrits plus haut n’est pas de nature à favoriser un engagement pour la résolution des problèmes que traverse la Tunisie. Et affaiblirait cette dernière face à ses différents partenaires étrangers.
Bourguiba a parlé un temps d’un « démon numide », une sorte de pulsion pour la désunion. Nous y sommes peut-être déjà !