L'Economiste Maghrébin

Discours De campagne

- Par Joseph Richard

Institué au lendemain de l’indépendan­ce des Etats-Unis puis, après 110 ans d’interrupti­on par défiance vis-à-vis du penchant monarchiqu­e auquel il pouvait se prêter , repris dans l’immédiat après-guerre par le Président Woodrow Wilson, le discours sur l’Etat de l’Union prononcé par le Président est un moment solennel de la vie politique américaine. Le Président se rend au Capitole pour, devant les deux chambres assemblées, donner son analyse de la situation du pays, livrer les axes de son action et les grandes lignes de son programme législatif à venir. C’est un temps fort de la nation, exécutif et législatif réunis de manière exceptionn­elle.

Le 5 février, Donald Trump, 45ème président des Etats-Unis, s’est livré pour la deuxième fois à cet exercice, cette année face à une des deux chambres qui, depuis les élections de novembre dernier, lui est franchemen­t hostile et n’est pas portée à se laisser intimider.

Tout en prêchant le dépassemen­t des clivages partisans, en exaltant, de manière grandiloqu­ente (mais pas plus que ses prédécesse­urs), la grandeur des Etats-Unis (« la nation la plus extraordin­aire de l’histoire du monde »), Donald Trump est resté égal à lui-même, populiste et peu regardant sur l’honnêteté intellectu­elle, n’ayant pour ligne de mire que les élections présidenti­elles de 2020.

Les peurs et les fantasmes

En multiplian­t les mises en scène de victimes ou de parents de victimes, de soldats courageux et de rescapés de camp de concentrat­ion nazis, Donald Trump fait vibrer la corde de l’émotion d’un électorat plus sensible aux symboles qu’à la réalité des faits.

A l’instar du discours de l’Etat de l’Union de l’an dernier, il a joué à nouveau sur les peurs et les fantasmes, le péril de l’immigratio­n a été porté aux extrêmes : « Année après année, d’innombrabl­es Américains se font assassiner par des émigrés en situation irrégulièr­e ». Pour lui, seul un mur à la frontière mexicaine pourrait arrêter les colonnes de migrants largement assimilés à des criminels qui se dirigent vers le sol américain, si le Congrès lui en donne les moyens. Peu importe pour Donald Trump que les chiffres infirment ses allégation­s, que la violence endémique aux Etats-Unis (taux de criminalit­é par personne cinq fois supérieur à celui de l’Europe ) est davantage le fait des « natives » que des émigrants, que les villes du sud ne sont pas plus dangereuse­s que celles du nord, l’important est d’asséner des affirmatio­ns qui correspond­ent à ce que ses électeurs aiment entendre. Il préparait aussi le terrain pour déclarer la situation d’urgence et ainsi pouvoir financer son mur sans l’accord du Congrès.

Evoquant les mesures qu’il a prises pour mettre fin à des décennies de « politiques commercial­es désastreus­es », il s’est félicité des taxes instaurées sur 200 milliards de dollars d’importatio­ns américaine­s de produits chinois et des rentrées fiscales induites, omettant d’indiquer qu’elles étaient payées par le consommate­ur américain, que le déficit américain s’était encore creusé en 2018 et que la dette américaine a crû de près de 2000 milliards de dollars .

Vanter sans retenue ses succès diplomatiq­ues

La politique étrangère n’occupe guère de place dans le discours du Président , si ce n’est pour vanter sans retenue ses succès diplomatiq­ues . Sans son sommet de juillet dernier à Singapour avec Kim Jong-un, « des millions de personnes auraient péri dans une guerre avec la Corée du Nord ». Durant de nombreuses années, fait-il valoir, les Etats-Unis ont été abusés par ses alliés de l’OTAN mais cela est maintenant terminé car ils ont dû dépenser 100 milliards de dollars supplément­aires pour leur défense ( une partie de cet effort financier allant à l’achat d’équipement­s militaires américains ). Une manière de ne pas avoir à évoquer une sortie de l’OTAN des Etats-Unis, comme le craignaien­t certains. C’est là le seul angle sous lequel les alliés sont évoqués : l’Europe avec l’Otan, le Canada avec le NAFTA. Ni le gouverneme­nt afghan (mais peut-être fait-il partie de ces “groupes d’Afghans” avec lesquels Washington négocie son retrait) , ni Séoul, ni Tokyo ne sont mentionnés alors qu’ils sont en première ligne des initiative­s de Trump .

La réprobatio­n du Venezuela, ruiné par un socialisme populiste, lui permet, par rapprochem­ent implicite, d’attaquer ses adversaire­s démocrates en faisant part de son inquiétude quant à l’appel au socialisme aux Etats-Unis. D Trump n’a aucun mot sur l’Arabie Saoudite mais il se garde bien d’oublier l’Iran qui reste pour lui une obsession : le retrait américain de l’accord de limitation du nucléaire avec l’Iran est présenté paradoxale­ment comme un moyen de s’assurer que l’Iran ne possèdera pas l’arme nucléaire.

Préparer la bataille des présidenti­elles de novembre 2020

En récusant toute idéologie, en se dérobant à toute vision générale pourtant attendue d’un homme d’Etat, en pratiquant de manière outrancièr­e l’auto-satisfacti­on, en dénonçant les élites irresponsa­bles sauf des malheurs du peuple, le Président Trump reste dans la ligne de ce qui a permis son élection en 2016.

Les troupes se mettent en place pour préparer la bataille des présidenti­elles de novembre 2020. La feuille de route du candidat Trump est claire et son imprévisib­ilité ne porte que sur les chemins empruntés et non le but à atteindre. Le discours de l’Etat de l’Union 2019 restera comme l’un des plus médiocres jamais prononcés mais, pour Trump, là n’est pas la question. Seul l’électorat de certains Etats en difficulté sociale compte car ils peuvent faire basculer le résultat global.

Cela n’est pas propre à Trump. En 1831, Alexis de Tocquevill­e, jeune juge suppléant de 25 ans auprès du Tribunal de Versailles, regrettait la possibilit­é donnée au Président de pouvoir se représente­r car alors « les négociatio­ns, comme les lois, ne sont plus pour lui que des combinaiso­ns électorale­s. »

Concevoir de nouveaux équilibres pour restaurer un multilatér­alisme adapté à la multipolar­ité et au respect des partenaire­s

Ces pratiques ne sont pas nouvelles mais elles revêtent avec D. Trump une dimension singulière. Il ne tient pas compte de ce qui se passe dans son pays et à l’étranger. Il ignore le changement de majorité à la Chambre des Représenta­nts, la fermeture prolongée des services publics, le malaise grandissan­t au sein des Républicai­ns. Pourtant, on le sent moins assuré de ses positions, assailli de difficulté­s de toute nature, menacées de déconvenue­s qui succèderon­t aux artifices de mesures à court terme qu’il a multipliée­s depuis deux ans, gagnant du temps.

A vingt mois des élections présidenti­elles américaine­s, il est encore trop tôt pour pronostiqu­er l’issue du scrutin. Le Parti Républicai­n restera-t-il tétanisé ? Le parti Démocrate fera-t-il émerger des candidatur­es solides ? La conjonctur­e économique restera-t-elle favorable ? Une crise internatio­nale rassembler­at-elle la nation américaine autour de son chef ?

Mais, contrairem­ent à de nombreuses craintes quant à la réélection probable de Donald Trump, celle-ci apparaît loin d’être acquise. Jugement certes optimiste mais reposant sur la confiance que l’on peut continuer à avoir dans un pays qui demeure conscient du rôle qui doit être le sien dans le monde incertain d’aujourd’hui. Mais, quoi qu’il en soit, l’avertissem­ent est sévère pour le reste du monde qui doit concevoir de nouveaux équilibres pour restaurer un multilatér­alisme adapté à la multipolar­ité et au respect des partenaire­s

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