Et si la crise de « Nidaa Tounes » était symptomatique d’un vécu politique ?
Même les constructions politiques que l’on croit solides ne sont pas à l’abri d’une désunion. L’épisode de Lotfi Zitoun est à bien analyser. Nul n’est à l’abri. Même s’il pratique un « centralisme démocratique ».
Apeine revenu dans le giron de «Nidaa Tounes», voilà que Ridha Belhaj est de nouveau sans doute sur le départ. C’est du moins ce que l’on pourrait penser en lisant l’interview donnée, dimanche 17 février 2019, par Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de «Nidaa Tounes», au quotidien arabophone « Achourouk ».
A la lecture de l’interview, il est difficile effectivement de croire qu’il y a possibilité pour que les deux hommes dialoguent de nouveau. On sait que Ridha Belhaj est revenu à «Nidaa Tounes» pour reprendre la place qu’il a laissée après une embrouille avec le patron de son mouvement. Il a même abandonné son mouvement « Tounes Awalane », (la Tunisie d’abord). Mouvement qu’il a créé pour marquer l’intention de son départ… définitif.
Une embrouille qui vient s’ajouter à bien d’autres. Des cadres opposés à Hafedh Caïd Essebsi du mouvement - créé en avril 2012 par le président Béji Caïd Essebsi pour équilibrer un tant soit peu une scène politique largement dominée, au sortir des élections de la Constituante d’octobre 2011, par le mouvement islamiste Ennahdah et ses satellites d’alors, le Congrès pour la République (CPR) et le Front Démocratique pour le Travail et les Libertés.
«Nidaa Tounes» traverse des crises à n’en pas finir
De quoi se demander si le Congrès du mouvement attendu pour le mois d’avril pourrait se tenir. Une gageure, pensent des spécialistes de la scène politique, qui n’en finissent pas de voir «Nidaa Tounes» traverser des crises sans fin.
Des crises qui ont abouti à des déchirures qui ont provoqué des sécessions. Au moins trois mouvements sont nés des divisions des Nidaïstes. Dont « Tahya Tounes », le parti né en janvier 2019, et qui se revendique du chef du gouvernement, Youssef Chahed.
Mais si ce dernier tient bon et a réussi même à réunir des transfuges d’autres mouvements en dehors de «Nidaa Tounes», comme « Afek Tounes », il est à se demander s’il ne contient pas déjà les germes de son implosion.
Candidat au pouvoir, déjà allié d’un mouvement islamiste qui semble être le principal bénéficiaire d’une scène politique bien instable, il n’a pas eu l’occasion d’aller vraiment au charbon. Les élections n’ont pas bien démarré. Et il est à craindre que certains grinceront les dents le jour où il faudra constituer les listes pour les législatives de 2019. Ou encore se partager les fonctions au sein des instances dirigeantes.
Pour la première fois des commentateurs ont parlé de l’existence de « courants »
« Tahya Tounes », comme du reste le Nidaa, est un mouvement sans véritable background idéologique ou ciment bien particulier sinon celui des intérêts et des ego. Il recrute ses cadres dans les mêmes milieux que ceux de « Nidaa Tounes » : les Destouriens, la gauche, les syndicalistes et les indépendants.
« Nidaa Tounes » n’a pas tenu face aux épreuves. Comment son successeur le pourrait-il ? D’autant plus qu’il faut attendre l’accélération des épreuves électorales et les bouleversements politiques pour juger de sa solidité.
Cela dit, même ceux que l’on croit à l’abri de la désunion ne le sont en fait pas. Même si celle-ci n’est peut-être pas de la même nature, celle qui a vu le jour recemment au niveau d’Ennahdah donne à penser que tout est possible.
Pour la première fois, des commentateurs ont parlé de l’existence de « courants » (sic) au sein du mouvement islamiste qui a toujours obéi aux règles de ce que l’on appelle le « centralisme démocratique », bien cher aux partis communistes.
Un « centralisme démocratique » souvent défini comme étant une méthode de gouvernement qui veut que « la liberté des membres du parti politique pour discuter et débattre d'une décision politique existe bel et bien, mais une fois que la décision du parti est votée à la majorité, tous les membres du parti doivent faire respecter cette décision ».
Mais est-ce en réalité une manoeuvre ?
Le fait qu’il y ait eu des indiscrétions concernant les débats au sein du parti islamiste veut-il dire que certains ont un certain ras-le-bol au sujet de l’application d’une méthode qui bannit les différences du reste on ne peut plus normales dans une famille politique ?
Vous l’aurez compris, la polémique créée autour de révélations propres au discours de Lotfi Zitoun, qui a voulu élargir le débat et l’intérêt d’Ennahdha bien au-delà de ce mouvement et de son attachement, malgré tout, à une lecture religieuse de la politique, est un signe qui ne trompe pas. Loin s’en faut.
L’homme, on le sait, est une colombe largement connu pour être ouvert au dialogue et aux mutations du discours politique dans notre pays. Mais est-ce en réalité une manoeuvre comme Ennahdah sait très bien en fabriquer et conduire ?
Il y a évidemment de quoi semer le doute. Ennahdah sait du reste qu’elle a des élections à gagner et un contexte tant national qu’international à gouverner du mieux qu’elle peut.
Entre autres sur son front intérieur. Car, il ne faut pas du tout croire que l’harmonie règne dans les rangs et les cadres des sympathisants du mouvement islamiste. On sait que la direction a quelque part mal dans sa base qui est plus idéologique que pragmatique.
Les propos de Lotfi Zitoun sont-ils, à ce titre, un ballon d’essai ? Quoi qu’il en soit, difficile de croire que tout cela est bien fortuit. On a vu au sujet de l’affaire de l’école, dite coranique, de Regueb que le mouvement ne peut parler d’une seule voix.
D’autres étendards
Certains dirigeants du mouvement ont défendu bec et ongles cette école, qui dispense un enseignement religieux, sans condamner les dysfonctionnements que l’affaire a relevés.
Mais bien au-delà de ce vécu politique qui concerne Ennahdah et ses adversaires, certains se demandent si la scène politique tunisienne pourrait apporter autre chose pour les échéances politiques à venir que ce que les Tunisiens ont pu remarquer jusqu’ici.
En clair, pourrait-on voir la mise en place d’une autre politique et d’autres solutions aux remèdes du pays avec la même classe politique ? Même si celle-ci peut lever d’autres étendards.
« Nidaa Tounes », « Tahya Tounes », « Al machrou », « Afak Tounes » ou même Ennahdah n’est-ce pas en définitive la même chose ? Les mêmes pratiques et les mêmes travers que l’on a vus évoluer depuis des années ?
Et ce qui dérange beaucoup les Tunisiens c’est sans doute cette propension des uns à vouloir installer les désunions au sein de leurs programmes. Alors que tout le monde sait qu’il faut beaucoup de solidarité pour venir à bout des difficultés que connaît le pays.
L’absence d’un front uni qui sortirait des législatives de 2019 ne peut que fragiliser l’avenir des décisions nécessaires à prendre. On ne le dira, à ce propos, jamais assez !
« Tahya Tounes », comme du reste le Nidaa, est un mouvement sans véritable background idéologique ou ciment bien particulier sinon celui des intérêts et des ego. Il recrute ses cadres dans les mêmes milieux que ceux de « Nidaa Tounes » : les Destouriens, la gauche, les syndicalistes et les indépendants.