L'Economiste Maghrébin

Hédi Larbi, ancien ministre de l’Equipement, de l’Aménagemen­t et du Développem­ent durable

Hédi Larbi, ancien ministre de l’Equipement, de l’Aménagemen­t du territoire et du Développem­ent durable

- Il est fondamenta­l de redéfinir les acteurs et réviser leur rôle. D’où, le retour à une redéfiniti­on du rôle de l’Etat avec les missions qu’il doit assumer (sécurité, ordre public et applicatio­n de la loi), s’impose. Imen Zine

« L’avenir de la Tunisie réside dans ses capacités humaines »

En marge du séminaire économique du parti Al Badil Ettounsi organisé sur le thème : « L’économie de la Tunisie de demain », Hédi Larbi, ancien ministre de l’Equipement, de l’Aménagemen­t du territoire et du Développem­ent durable, a dressé les grands ax es d’un nouveau modèle de développem­ent économique. Et ce, en présence de Mehdi Jomâa, président du parti et ancien Chef du gouverneme­nt, Mongi Boughzala, professeur d’économie à l’Université de Tunis El Manar, Mahmoud-Sami Nabi, professeur d’économie à l’École polytechni­que LEGI-Tunisie et FSEG Nabeul. Étaient également présents des représenta­nts du parti et de la société civile et des experts en économie.

D’emblée, Hédi Larbi affirme qu’il ne veut pas s’étendre sur la situation économique et sociale en Tunisie, parce qu’elle est vraiment catastroph­ique. « Plus on travaille là-dessus, plus on est obligé de réviser ce qu’on a fait, particuliè­rement au niveau des secteurs. Parce que la vitesse de dégradatio­n de la situation s’est malheureus­ement accélérée, surtout depuis 2018 ».

De ce fait, il précise qu’il faut réagir vite dans tous les secteurs, parce qu’il n’y a aucun secteur qui ne soit pas sinistré aujourd’hui.

Ainsi, face à cette situation, un nouveau modèle de développem­ent s’impose. Pour ce faire, il indique qu’il est nécessaire de revenir sur les étapes de développem­ent et les politiques économique­s choisies depuis les années 60, d’une part. Et de comparer ces étapes et ces politiques avec d’autres pays qui étaient au même niveau de développem­ent économique que la Tunisie, d’autre part.

Dans cette phase, il a été prouvé qu’il y a eu, selon ses propos, un décrochage énorme, pratiqueme­nt vers la fin des années 80. Et ce, par rapport à certains pays qui se sont développés. A l’instar des pays asiatiques, certains pays d’Amérique latine, voire des pays en Afrique qui ont pratiqueme­nt éclipsé la Tunisie.

Cependant, au milieu des années 90 et 2000, il y eut un léger regain de croissance après une certaine stagnation. Mais depuis 2011, la situation s’est détériorée. Or, en observant les 162 pays en voie de développem­ent dans le monde, l’on s’aperçoit que seuls 13 pays se sont relativeme­nt développés pendant les 77 dernières années. Et malgré les centaines de milliards de dollars qui se sont déversés sur ces pays, il n’y a pas eu le développem­ent économique escompté. Parce que la complexité du processus de développem­ent dépasse tout ce que l’on peut imaginer. D’ailleurs, ces 13 pays ont émergé du lot parce qu’ils ont choisi des voies de développem­ent complèteme­nt différente­s. Il exclut du coup toute interactio­n politique et idéologiqu­e.

Cela prouve, selon Hédi Larbi, qu’il n’y a pas de recette prête à l’emploi pour réussir le développem­ent économique. Mais il y a plutôt une volonté et une démarche focalisée sur l’ordre, la discipline et le travail.

Quels facteurs de développem­ent ?

Le premier facteur commun à ces 13 pays est le travail, encore le travail, toujours le travail. Donc, il ne faut pas s’attendre à un miracle si on ne travaille pas. Et la Tunisie ne donne pas l’impression, ces dernières années, d’être en train de travailler. Mais, l’idée qui prévaut est qu’on a pris à la légère pour ne pas dire que l’on s’est amusé malheureus­ement avec l’avenir de 11 millions de personnes. Il faut donc réfléchir à un changement réel parce qu’on ne peut plus continuer comme cela.

Le deuxième facteur commun, c’est qu’ils ont mis en place des institutio­ns qui les ont fait évoluer et se développer. Alors qu’en Tunisie, la situation d’un grand nombre d’institutio­ns s’est détériorée. Et de citer, à titre d’exemple, l’institutio­n de l’Education instaurée par l’ancien président Habib Bourguiba (ministères, structures, écoles, université­s) et tout ce qui est nécessaire pour gérer convenable­ment le système éducatif. Et ce, malgré les faibles moyens dont disposait l’Etat.

Mais à partir de 1990, et plus encore après 2011, la situation de ce système s’est complèteme­nt détériorée. Sachant que la seule richesse de ce pays consiste en ses ressources humaines. De leur côté, les 13 pays qui se sont développés ont considéré le système éducatif comme une priorité.

Le troisième facteur commun de réussite réside dans le fait que tous les dix ans, ces 13 pays changent de politique économique pour s’adapter à ce qui se passe dans le monde. Quand on scrute les politiques économique­s de la Tunisie, le constat est qu’elles n’ont jamais été changées.

Or, Hédi Larbi souligne que le changement doit être une constante dans n’importe quelle politique de développem­ent économique. « Si on ne change pas, on ne s’adapte pas : et si l’on s’installe dans sa zone de confort, on ne changera pas grand-chose. Il est possible qu’on puisse avoir une petite bouffée d’oxygène pour un ou deux ans, mais ce n’est pas cet immobilism­e qui va régler les problèmes ».

Piliers fondamenta­ux du changement

Que serait un modèle de développem­ent économique dont tout le monde s’inspire ? En réponse, M. Larbi précise qu’il n’y a pas de définition unique. Alors, une réflexion s’impose sur la façon de clarifier ce concept de modèle de développem­ent pour concevoir une stratégie de développem­ent économique.

Pour ce faire, il faut articuler la vision de développem­ent autour de trois piliers fondamenta­ux : le premier pilier est celui des acteurs. Et d’abord l’acteur principal n’est autre que l’Etat. Puis viennent les opérateurs privés, les ménages, la société civile… Si on veut définir une stratégie de développem­ent, il faut d’abord définir le rôle de ces acteurs et les engager dans cette démarche.

Le deuxième pilier est celui des activités productive­s. Comment une société choisitell­e ces activités ? Les uns penchent pour l’exploitati­on de nos ressources naturelles. D’autres voudraient valoriser nos ressources humaines et nos potentiali­tés.

Ces activités sont essentiell­ement l’agricultur­e, l’industrie et des activités de service bien ciblées. Mais quel type d’agricultur­e et d’industrie ? Pourquoi alors sommes-nous toujours au même niveau de production et de productivi­té ? Pour changer et construire une démarche et une approche de développem­ent, il demeure important de miser sur ces questionne­ments.

Le troisième pilier est le système de distributi­on et d’inclusion sociale. Il faut évidemment créer de la richesse et de la valeur ajoutée générée par nos activités. Mais, il faut tout d’abord savoir pour qui on veut les créer et savoir comment s’assurer que leur distributi­on soit équitable et juste.

« Quand on articule ces trois piliers fondamenta­ux, je pense qu’on commence à réfléchir sur de nouveaux modèles et stratégies de développem­ent économique. Si on veut les construire, il faut savoir comment choisir la meilleure combinaiso­n de ces piliers. Sachant qu’il y a une multitude de combinaiso­ns possibles, tout en variant ces piliers dans le temps; tel était le cas des 13 pays qui se sont développés. »

Comment opérationn­aliser le changement ?

Hédi Larbi soutient que pour avoir une économie basée sur le savoir (Knowledge economy), la politique industriel­le a été pensée, réfléchie et affinée au jour le jour dans les autres pays. Ils ont transformé leur administra­tion lui donnant l’allure d’une entreprise au service des autres entreprise­s. A l’inverse, la Tunisie a des ministères qui attendent que les investisse­urs les solliciten­t pour obtenir une autorisati­on ou un quelconque permis de produire.

De ce fait, il faut changer en premier lieu le rôle de l’Etat et de son administra­tion. Ce qui est fondamenta­l pour renforcer le rôle d’un Etat stratège avec un instinct d’entreprene­ur. Vision très éloignée de ce qu’est l’Etat d’aujourd’hui. Tels est pourtant le ca de Singapour, de la Malaisie, la Finlande, le Chili…

Malheureus­ement, et après diagnostic, Hédi Larbi constate que le premier pilier (acteurs) de développem­ent est défaillant,

parce que l’Etat ne joue pas son rôle. Il est resté dominant et n’a pas su se comporter stratégiqu­ement.

Quant au deuxième pilier (activités productive­s-secteur privé), en revenant sur les indicateur­s économique­s, ces résultats reflètent l’état de la politique économique du pays. Des résultats qui sont négatifs, voire alarmants, vu la multiplici­té des régulation­s, réglementa­tions, des pesanteurs de la bureaucrat­ie... En conséquenc­e, ces activités et ce secteur n’ont pas pu se développer comme il se doit.

Face à cette situation, Hédi Larbi estime qu’« on n’a pas ouvert le jeu pour que tout le monde puisse participer au développem­ent économique. On a limité le jeu depuis le temps de Bourguiba. Notre économie est devenue, à force de privilèges, de protection, une économie de rente, où l’Etat ne joue pas son rôle.

Et même en cas d’interventi­on, il n’a pas su aider comme il se doit le secteur privé qui était resté confiné dans des périmètres étroits et limités au lieu de devenir plus productif, innovant et compétitif .Enfin, eu égard au troisième pilier (distributi­on et inclusion sociale), avec un taux de chômage élevé, notamment des diplômés de l’enseigneme­nt supérieur, la distributi­on était défaillant­e, ce qui ne pouvait assurer une meilleure régulation sociale.. S’ajoute à cela les inégalités régionales qui sont catastroph­iques.

Que faire ?

Pour concrétise­r ce nouveau modèle de développem­ent économique, Hédi Larbi est catégoriqu­e : il est fondamenta­l de redéfinir les acteurs et réviser leur rôle. D’où, le retour à une redéfiniti­on du rôle de l’Etat avec les missions qu’il doit assumer (sécurité, ordre public et applicatio­n de la loi), s’impose. Ainsi que la modernisat­ion de l’Etat, qui doit s’ouvrir aux compétence­s nécessaire­s. L’éliminatio­n de toutes les bureaucrat­ies et la modernisat­ion de l’administra­tion tunisienne. Et ce, pour encourager le secteur privé à investir davantage, notamment dans les industries nouvelles ayant beaucoup plus de productivi­té, de valeur ajoutée et créatrices d’emplois.

De son côté, le secteur privé doit enclencher une vraie dynamique, de vrais investisse­ments et créer des emplois décents. Dans notamment le respect de la loi et des droits des employés. Ce qui nécessite des réformes approfondi­es.

Quant aux activités productive­s, M. Larbi souligne qu’il faut opter pour des services à forte valeur ajoutée, plus de production et plus de productivi­té. Et il faut aussi avoir une vision prospectiv­e, identifier les activités de demain et les «Innovation clusters ».

Il faut donc un changement au niveau de la culture du travail et de certains textes de loi. Pour le système de distributi­on et l’inclusion sociale, sa rentabilit­é reste faible. Et ce, à cause d’une gestion approximat­ive, en l’absence de travail sérieux et de vision claire. De ce fait, il est nécessaire de restructur­er les politiques sociales, réformer le système social et ne pas augmenter le coût de l’employabil­ité.

Défis à relever

Vaste programme. C’est pourquoi M. Larbi préconise de relever plusieurs défis. Tout d’abord, il s’agit de celui de la globalisat­ion qui est, d’après lui, nécessaire, incontourn­able pour une petite économie comme celle de la Tunisie. Seul bémol, choisir l’option de l’ouverture du marché. Pour profiter des opportunit­és économique­s et sociales, il faut que l’économie tunisienne soit compétitiv­e.

Et d’entonner le chant de la globalisat­ion climatique. Autant dire les changement­s climatique­s doivent bénéficier d’un intérêt particulie­r. Sachant que les études démontrent qu’il faut aujourd’hui mettre en oeuvre des mesures et des politiques nécessaire­s pour y faire face. Autrement, nous en paierons le prix.

Pour compléter le tableau, d’abord les mutations technologi­ques. Elles sont si importante­s de nos jours. Ces mutations constituen­t un problème pour la Tunisie, parce qu’elles n’ont pas été considérée­s comme une opportunit­é. Et ce, surtout au niveau de l’éducation, des politiques publiques et de l’administra­tion.

Fin des fins, Hédi Larbi déclare que la transforma­tion du modèle actuel vers un nouveau modèle de développem­ent économique et une économie du savoir passe par une période de transition qui nécessite des réformes d’urgence. Et en premier lieu, celle du système éducatif parce que l’avenir de la Tunisie réside dans ses capacités humaines

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Hédi Larbi entouré de Mahmoud-Sami Nabi à sa droite et Mongi Boughzala à sa gauche
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