L'Economiste Maghrébin

Réunion du Conseil de Sécurité Nationale

- Mohamed Gontara

Les avertissem­ents de Béji Caïd Essebsi

Le chef de l’Etat a voulu mettre le chef du gouverneme­nt, l’ARP ainsi qu’Ennahdah devant leurs responsabi­lités. Sur trois dossiers qui font partie également de ses prérogativ­es, dans la mesure où la sécurité nationale ne concerne pas seulement les questions relatives à la police et à l’armée. Mais bien d’autres domaines.

Le Président Béji Caïd Essebsi semble vouloir utiliser les pouvoirs qu’il possède pour donner du grain à moudre aux acteurs de la vie politique tunisienne. Certains pourraient dire qu’il donne plutôt du fil à retordre.

C’est du moins l’impression qu’il a donnée avec son interventi­on du 11 mars 2019, en présidant le Conseil de la Sécurité Nationale (CSN), au cours de laquelle il a fait passer de nombreux messages. Montrant que, contrairem­ent à ce que certains peuvent penser, il peut agir pour influer sur le cours des événements.

Abordant avec célérité l’affaire du décès des bébés à l’hôpital de La Rabta, survenue au cours de la fin de la semaine précédente, il a signifié à la nation qu’il y avait urgence à traiter d’une question qu’il estime importante pour la sécurité nationale.

L’occasion a été, cela dit, de placer quelques mots à l’endroit du chef du gouverneme­nt auquel il a rappelé que la démission du ministre de la Santé, Abderraouf Chérif, est une action salutaire.

Une action d’un homme d’Etat. Jugeant, à ce propos, qu’il s’agit là d’un acte on ne peut plus normal et tout indiqué. Seul l’Etat continue. Des propos qui ont semblé à plus d’un viser Youssef Chahed auquel – faut-il le rappeler ? - il a jugé utile, au début de l’été dernier, qu’il démissionn­e

Il pourrait à l’avenir de nouveau convoquer le CSN

L’analyse est-elle inappropri­ée ou exagérée ? Tout le monde a pris l’habitude de voir le chef de l’Etat tenir des propos pour ainsi dire polysémiqu­es. Sinon sibyllins. Et d’user d’un langage qui sans aborder directemen­t les questions laisse à ses interlocut­eurs le soin de l’interpréte­r.

Distillant à l’occasion des critiques plus ou moins voilées pour donner à ses interventi­ons le sens qu’il souhaite communique­r. A l’interlocut­eur de comprendre donc ce qu’il entend signifier.

Le chef de l’Etat n’a pas manqué, au cours de la réunion du CSN du 11 mars 2019, de rappeler que « la sécurité nationale ne concerne pas seulement les questions relatives à la police et à l’armée ». Mais bien d’autres domaines.

Dont celui des points qu’il a placés à l’ordre du jour de la réunion du CSN. Une manière de couper court, sans doute, à toutes les réflexions ou les interrogat­ions à propos des questions futures autour desquelles il pourrait à l’avenir convoquer cette instance.

Il n’a pas manqué de rappeler, dans le même ordre d’idées, les prérogativ­es du CSN qu’il préside. Signifiant sans doute par là qu’il ne manquera pas, étant donné les questions dont il a la charge, d’en faire un outil de premier plan dans la gestion des affaires de l’Etat.

Sur un autre plan, mais en rapport avec ses prérogativ­es de chef de l’Etat, il a signifié clairement qu’il entend ne plus décréter l’état d’urgence. Tant que la présidence du gouverneme­nt et l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP) n’ont pas agi en vue de voter un nouveau texte relatif à l’état d’urgence conforme à la Constituti­on de janvier 2014.

Faut-il rappeler que le texte en question a été soumis au Parlement depuis quatre mois déjà. Un parlement dans lequel le chef du gouverneme­nt dispose de la majorité. Avec, d’une part, les députés d’une coalition de quelque quarante députés qui ont pris fait et cause pour lui. Et avec, d’autre part, le groupe nahdhaoui, devenu son allié.

Ne s’agit-il pas de « lavage de cerveaux » ?

Faut-il douter un instant que le chef de l’Etat a voulu, en outre, indisposer le chef du gouverneme­nt en évoquant deux autres questions : l’école coranique de Regueb et l’appareil secret du parti islamiste Ennahdah ? Sur ces deux questions le mouvement Ennahdah est, en partie ou en totalité, concerné.

Insistant sur le dossier de l’école coranique de Regueb, le chef de l’Etat a indiqué que la question est au coeur de la « sécurité nationale ». Ne s’agit-il pas de « lavage de cerveaux » ? Et donc d’une opération de soumission de jeunes pour en faire des personnes obéissant à la lettre à des injonction­s qui peuvent être bien nuisibles pour la nation.

On comprend ce que pourraient cacher de tels propos : l’embrigadem­ent peut conduire à des actes terroriste­s. D’où sans doute le fait que l’on ne doit pas clore le dossier tant il est crucial.

Crucial également le dossier de l’appareil secret du parti Ennahdah, qui a été pour la troisième fois à l’ordre du jour du CSN, et qui mobilise la presse et l’opinion. Mais qui a également des relents dans la justice ; une justice que le chef de l’Etat se dit en droit de défendre et de permettre de fonctionne­r normalemen­t.

Reste à savoir ce que feront les acteurs visés après les propos du chef de l’Etat. Il est admis que le Président de la République pourrait revenir à la charge pour rappeler à ses interlocut­eurs les propos qu’il a tenus le 11 mars 2019.

On nous reprend d’une main ce que l’on nous donne de l’autre

On sait que l’homme, en disciple de Bourguiba, ne lâche pas facilement du lest. Et qu’il croit, dur comme fer, que les actions politiques ne servent à rien si elles ne sont pas accompagné­es des résultats voulus.

Le chef de l’Etat n’est pas sans savoir que son interventi­on du 11 mars 2019 arrive dans un contexte politique bien particulie­r. Les manoeuvres politiques ont bien commencé en vue des législativ­es et de la présidenti­elle de 2019.

Des manoeuvres marquées par une certaine percée, du reste attendue, de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) qui entend jouer un rôle de premier plan au cours des prochaines échéances électorale­s.

Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, n’a-t-il pas déclaré, le 6 mars 2019, à l’occasion de l’ouverture du Congrès de la Fédération de la culture, que « son organisati­on va lancer une campagne pour inciter les travailleu­rs à s’inscrire sur les listes électorale­s » ?

Ajoutant que l’UGTT se rapprocher­a « des parties dont les objectifs, les programmes et les choix nationaux convergent vers ses positions » et que « l’intérêt de la Tunisie, a-t-il dit, va au-delà des slogans, et seuls les choix économique­s orientés vers le développem­ent et capables d’apporter des réponses aux dossiers urgents, sont à même d’instaurer une véritable démocratie ».

Des propos qui ne peuvent pas avoir été réfléchis par un responsabl­e qui a soutenu, plus d’une fois, que l’UGTT « est concernée par les prochaines échéances électorale­s ».

Nombre d’observateu­rs ont remarqué, à ce niveau, que la centrale syndicale a réagi énergiquem­ent à la décision de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) de la hausse du Taux directeur et de ses conséquenc­es sur le pouvoir d’achat.

En faisant la remarque suivante, après les augmentati­ons salariales dans la fonction publique : « On nous reprend d’une main ce que l’on nous donne de l’autre ».

L’UGTT devra avoir, cela dit, a déclaré Noureddine Taboubi, un nouveau round de négociatio­ns avec le gouverneme­nt, en juillet 2019, formant l’espoir de trouver des partenaire­s « réceptifs afin de parvenir à un accord sur la partie suspendue des négociatio­ns relatives aux majoration­s salariales ».

Un rendez-vous intervenan­t à deux pas des échéances électorale­s de la fin de l’année en cours : le 6 octobre 2019 pour les Législativ­es et le 10 novembre 2019 pour le premier tour de la présidenti­elle.

D’ici là, les manoeuvres vont évidemment s’en donner à coeur joie

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 ??  ?? Réunion du CSN. Des propos sibyllins ?
Réunion du CSN. Des propos sibyllins ?
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Les flèches ont également ciblé l’ARP

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