Réunion du Conseil de Sécurité Nationale
Les avertissements de Béji Caïd Essebsi
Le chef de l’Etat a voulu mettre le chef du gouvernement, l’ARP ainsi qu’Ennahdah devant leurs responsabilités. Sur trois dossiers qui font partie également de ses prérogatives, dans la mesure où la sécurité nationale ne concerne pas seulement les questions relatives à la police et à l’armée. Mais bien d’autres domaines.
Le Président Béji Caïd Essebsi semble vouloir utiliser les pouvoirs qu’il possède pour donner du grain à moudre aux acteurs de la vie politique tunisienne. Certains pourraient dire qu’il donne plutôt du fil à retordre.
C’est du moins l’impression qu’il a donnée avec son intervention du 11 mars 2019, en présidant le Conseil de la Sécurité Nationale (CSN), au cours de laquelle il a fait passer de nombreux messages. Montrant que, contrairement à ce que certains peuvent penser, il peut agir pour influer sur le cours des événements.
Abordant avec célérité l’affaire du décès des bébés à l’hôpital de La Rabta, survenue au cours de la fin de la semaine précédente, il a signifié à la nation qu’il y avait urgence à traiter d’une question qu’il estime importante pour la sécurité nationale.
L’occasion a été, cela dit, de placer quelques mots à l’endroit du chef du gouvernement auquel il a rappelé que la démission du ministre de la Santé, Abderraouf Chérif, est une action salutaire.
Une action d’un homme d’Etat. Jugeant, à ce propos, qu’il s’agit là d’un acte on ne peut plus normal et tout indiqué. Seul l’Etat continue. Des propos qui ont semblé à plus d’un viser Youssef Chahed auquel – faut-il le rappeler ? - il a jugé utile, au début de l’été dernier, qu’il démissionne
Il pourrait à l’avenir de nouveau convoquer le CSN
L’analyse est-elle inappropriée ou exagérée ? Tout le monde a pris l’habitude de voir le chef de l’Etat tenir des propos pour ainsi dire polysémiques. Sinon sibyllins. Et d’user d’un langage qui sans aborder directement les questions laisse à ses interlocuteurs le soin de l’interpréter.
Distillant à l’occasion des critiques plus ou moins voilées pour donner à ses interventions le sens qu’il souhaite communiquer. A l’interlocuteur de comprendre donc ce qu’il entend signifier.
Le chef de l’Etat n’a pas manqué, au cours de la réunion du CSN du 11 mars 2019, de rappeler que « la sécurité nationale ne concerne pas seulement les questions relatives à la police et à l’armée ». Mais bien d’autres domaines.
Dont celui des points qu’il a placés à l’ordre du jour de la réunion du CSN. Une manière de couper court, sans doute, à toutes les réflexions ou les interrogations à propos des questions futures autour desquelles il pourrait à l’avenir convoquer cette instance.
Il n’a pas manqué de rappeler, dans le même ordre d’idées, les prérogatives du CSN qu’il préside. Signifiant sans doute par là qu’il ne manquera pas, étant donné les questions dont il a la charge, d’en faire un outil de premier plan dans la gestion des affaires de l’Etat.
Sur un autre plan, mais en rapport avec ses prérogatives de chef de l’Etat, il a signifié clairement qu’il entend ne plus décréter l’état d’urgence. Tant que la présidence du gouvernement et l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) n’ont pas agi en vue de voter un nouveau texte relatif à l’état d’urgence conforme à la Constitution de janvier 2014.
Faut-il rappeler que le texte en question a été soumis au Parlement depuis quatre mois déjà. Un parlement dans lequel le chef du gouvernement dispose de la majorité. Avec, d’une part, les députés d’une coalition de quelque quarante députés qui ont pris fait et cause pour lui. Et avec, d’autre part, le groupe nahdhaoui, devenu son allié.
Ne s’agit-il pas de « lavage de cerveaux » ?
Faut-il douter un instant que le chef de l’Etat a voulu, en outre, indisposer le chef du gouvernement en évoquant deux autres questions : l’école coranique de Regueb et l’appareil secret du parti islamiste Ennahdah ? Sur ces deux questions le mouvement Ennahdah est, en partie ou en totalité, concerné.
Insistant sur le dossier de l’école coranique de Regueb, le chef de l’Etat a indiqué que la question est au coeur de la « sécurité nationale ». Ne s’agit-il pas de « lavage de cerveaux » ? Et donc d’une opération de soumission de jeunes pour en faire des personnes obéissant à la lettre à des injonctions qui peuvent être bien nuisibles pour la nation.
On comprend ce que pourraient cacher de tels propos : l’embrigadement peut conduire à des actes terroristes. D’où sans doute le fait que l’on ne doit pas clore le dossier tant il est crucial.
Crucial également le dossier de l’appareil secret du parti Ennahdah, qui a été pour la troisième fois à l’ordre du jour du CSN, et qui mobilise la presse et l’opinion. Mais qui a également des relents dans la justice ; une justice que le chef de l’Etat se dit en droit de défendre et de permettre de fonctionner normalement.
Reste à savoir ce que feront les acteurs visés après les propos du chef de l’Etat. Il est admis que le Président de la République pourrait revenir à la charge pour rappeler à ses interlocuteurs les propos qu’il a tenus le 11 mars 2019.
On nous reprend d’une main ce que l’on nous donne de l’autre
On sait que l’homme, en disciple de Bourguiba, ne lâche pas facilement du lest. Et qu’il croit, dur comme fer, que les actions politiques ne servent à rien si elles ne sont pas accompagnées des résultats voulus.
Le chef de l’Etat n’est pas sans savoir que son intervention du 11 mars 2019 arrive dans un contexte politique bien particulier. Les manoeuvres politiques ont bien commencé en vue des législatives et de la présidentielle de 2019.
Des manoeuvres marquées par une certaine percée, du reste attendue, de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) qui entend jouer un rôle de premier plan au cours des prochaines échéances électorales.
Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, n’a-t-il pas déclaré, le 6 mars 2019, à l’occasion de l’ouverture du Congrès de la Fédération de la culture, que « son organisation va lancer une campagne pour inciter les travailleurs à s’inscrire sur les listes électorales » ?
Ajoutant que l’UGTT se rapprochera « des parties dont les objectifs, les programmes et les choix nationaux convergent vers ses positions » et que « l’intérêt de la Tunisie, a-t-il dit, va au-delà des slogans, et seuls les choix économiques orientés vers le développement et capables d’apporter des réponses aux dossiers urgents, sont à même d’instaurer une véritable démocratie ».
Des propos qui ne peuvent pas avoir été réfléchis par un responsable qui a soutenu, plus d’une fois, que l’UGTT « est concernée par les prochaines échéances électorales ».
Nombre d’observateurs ont remarqué, à ce niveau, que la centrale syndicale a réagi énergiquement à la décision de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) de la hausse du Taux directeur et de ses conséquences sur le pouvoir d’achat.
En faisant la remarque suivante, après les augmentations salariales dans la fonction publique : « On nous reprend d’une main ce que l’on nous donne de l’autre ».
L’UGTT devra avoir, cela dit, a déclaré Noureddine Taboubi, un nouveau round de négociations avec le gouvernement, en juillet 2019, formant l’espoir de trouver des partenaires « réceptifs afin de parvenir à un accord sur la partie suspendue des négociations relatives aux majorations salariales ».
Un rendez-vous intervenant à deux pas des échéances électorales de la fin de l’année en cours : le 6 octobre 2019 pour les Législatives et le 10 novembre 2019 pour le premier tour de la présidentielle.
D’ici là, les manoeuvres vont évidemment s’en donner à coeur joie