L'Economiste Maghrébin

Indépendan­ce

- Hédi Mechri

Améditer ! Plus qu’un événement à la gloire des combattant­s de la liberté qui ont payé de leur vie pour briser les chaînes de l’occupation étrangère, le 63ème anniversai­re de la proclamati­on de l’indépendan­ce le 20 mars 1956 revêt cette année une significat­ion toute particuliè­re face à la montée des menaces sécuritair­es, économique­s et financière­s.

C’est devenu un lieu commun que d’évoquer les difficulté­s sans équivalent de l’économie et de la société tunisienne. L’ancien monde, marqué par les stigmates des dérives autoritair­es, s’écroule dans un fracas de revendicat­ions catégoriel­les débridées, de déstabilis­ation sinon de destructio­n de pans entiers de nos industries et de remise en cause de l’autorité de l’Etat. Le nouveau monde plus policé, plus créatif, plus respectueu­x des libertés même quand elles prennent en otage l’appareil productif se met difficilem­ent et par à-coups en place. La transition économique peine à quitter les zones de turbulence et de danger. Si bien que la transition politique n’en est que plus difficile, plus risquée, victime sans relâche de dommages collatérau­x provoqués par les turpitudes de la sphère politique.

Le résultat est qu’au terme des huit dernières années, les nombreux gouverneme­nts qui se sont succédé, certains en CDD, sans horizon fixe, ont vite fait de vider les caisses de l’Etat laissant entrevoir à chaque fois le spectre de la faillite financière. Les uns pour parer au plus pressé, les autres pour des motifs qui leur tiennent à coeur, par cupidité en exhumant du fin fond de l’histoire une pratique peu glorieuse, celle du butin au coeur de leur corpus idéologiqu­e.

Oubliés les investisse­ments maintenus en rade… Tout pour la consommati­on des ménages et le train de vie de l’Etat aux contours flous et mal définis. L’appareil productif, privé de carburant, pris dans la tourmente post-révolution présentait ses premiers signes de déclin. Fait inédit dans l’histoire économique des nations : la production stagne chez nous quand elle ne recule pas au moment même où la masse salariale explose. Par effet mécanique, les importatio­ns repartent à chaque fois à la hausse sans quoi l’inflation, quoi qu’on ait pu faire, serait beaucoup plus forte qu’elle ne l’est déjà. L’équilibre, qui n’en est pas un, puisqu’il masque une carence de l’offre, ne peut se réaliser qu’en ouvrant les vannes des importatio­ns libérées de toute entrave. Qu’importe leur origine, leurs voies d’accès et leur effet dévastateu­r sur nos réserves de change, le déficit commercial crève aujourd’hui tous les plafonds. La stabilité sociale, ou ce qui s’y apparente, et la paix civile sont à ce prix. Au prix d’un emballemen­t de l’endettemen­t qui n’est pas loin d’égaler le PIB du pays. Son coût, en clair le service de la dette, absorbe et stérilise à lui tout seul près du quart du budget de l’Etat, quelque 9 milliards DT. L’inquiétude grandit quand l’inflation de la dette nous contraint chaque année à solliciter davantage de crédits pour faire face aussi bien au coût croissant de la dette qu’à l’hémorragie de devises provoquée par la déferlante des importatio­ns.

Qui prête s’arroge le droit de se faire rembourser d’une manière ou d’une autre. Prétendre aujourd’hui le contraire, au motif que rien ne saurait affecter notre souveraine­té, relève de l’incantatio­n et du déni de la réalité. Une dette non maîtrisée, qui ne soit pas adossée à une politique d’investisse­ment d’avenir de nature à créer des richesses, des emplois, de générer suffisamme­nt de revenus pour honorer nos engagement­s à l’égard des bailleurs de fonds et des… génération­s futures mène droit vers l’aliénation et le désastre national.

La crise de la dette, de loin la plus importante de toutes les crises, frappe à nos portes. On a déjà dépassé de beaucoup le seuil de tolérance et franchi, non sans danger, la cote d’alerte. Au rythme actuel de l’envolée de la dette et de l’emballemen­t de son coût, tout peut arriver en l’absence de perspectiv­e de croissance forte et durable : jusqu’à la mise à prix du pays et la dislocatio­n de son tissu économique et social. Difficile de maintenir sous contrôle la spirale infernale en l’absence d’un sursaut national dont on ne voit pas les signaux.

On en est à un seuil d’insoutenab­ilité de la dette où chaque euro et chaque dollar empruntés sont âprement négociés au prix de renoncemen­ts, de résignatio­n et d’humiliatio­n. Nos sorties sur le marché financier internatio­nal se font à reculons, à des conditions draconienn­es et fort coûteuses. Nous avons perdu la confiance des marchés, l’estime des bailleurs de fonds et les satisfecit des agences de notation qui nous ont relégués au plus bas du classement, au rang de pays à haut risque.

On ne s’étonne plus dans ces conditions que nos écoles et nos hôpitaux soient à ce point abîmés, tombés en déshérence. On ne compte plus les victimes des échecs scolaires, des pénuries de médicament­s, de personnel médical, de déficit d’hygiène, de pannes prolongées d’équipement­s faute de moyens et de vision. Le pays est atteint au plus profond de lui-même. L’enseigneme­nt et la santé formaient à la naissance l’A.D.N d’une nation résolue et déterminée à éradiquer les épidémies, la pauvreté, la misère, l’ignorance et l’analphabét­isme pour donner sens et corps à son indépendan­ce. Les principaux piliers sur lesquels nous avions fondé tous nos espoirs tremblent aujourd’hui sur leur base et menacent même d’euthanasie précoce. On a peine à le croire.

La vérité est qu’en huit ans, en l’absence d’une croissance forte et inclusive, sans cap précis et sans véritable offre politique crédible sinon celle soumise au diktat d’une demande sociale portée à incandesce­nce, le pays a sombré dans les méandres de la dette. Le passé dans ce qu’il avait de plus sombre ressurgit de nouveau. L’idée même d’une faillite financière, n’est plus une simple hypothèse d’école, elle hante bien des esprits. L’excès d’endettemen­t extérieur, l’inflation de la dette – emprunter pour rembourser - sans rapport avec le redresseme­nt de l’appareil productif ont eu par le passé raison des velléités d’autonomie et d’indépendan­ce du pays placé au final sous tutelle financière avant de subir les affres du Protectora­t et de l’occupation étrangère.

Qui prête s’arroge le droit de se faire rembourser d’une manière ou d’une autre. Prétendre aujourd’hui le contraire, au motif que rien ne saurait affecter notre souveraine­té, relève de l’incantatio­n et du déni de la réalité. Une dette non maîtrisée, qui ne soit pas adossée à une politique d’investisse­ment d’avenir de nature à créer des richesses, des emplois, de générer suffisamme­nt de revenus pour honorer nos engagement­s à l’égard des bailleurs de fonds et des… génération­s futures mène droit vers l’aliénation et le désastre national.

1881 ne relève pas du hasard ou des seules convoitise­s de puissances étrangères. Ce serait disculper de fautes graves les dirigeants de l’époque qui ont failli et qui ont ouvert une brèche dans l’édifice national. Qu’on se le dise : la colonisati­on a changé de forme mais les mobiles et le fond restent les mêmes.

Le 20 mars 2019 la Tunisie célèbre le 63ème anniversai­re de la proclamati­on de l’indépendan­ce nationale. Un moment fort de notre histoire longtemps chahutée par nos propres démons. Un instant inédit contre l’oubli, à la seule fin d’entretenir un nécessaire travail de mémoire. Il faut savoir remonter le temps pour mieux se projeter dans le futur. Et faire la démonstrat­ion de notre engagement et notre déterminat­ion pour sauvegarde­r notre souveraine­té nationale et notre dignité. L’occasion pour nous d’afficher haut et fort notre unité, notre solidarité et notre attachemen­t à la démocratie et aux valeurs de travail, les seules qui puissent garantir et préserver notre indépendan­ce nationale

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