L'Economiste Maghrébin

ENTRE TRAGÉDIE ET POINT DE NON-RETOUR

- Meriem Ben Nsir

Les scandales se multiplien­t et se succèdent dans le domaine devenu très épineux de la santé en Tunisie. Très régulièrem­ent des affaires de fautes médicales réelles ou présumées, des soupçons de mauvaise gestion dans certaines structures sanitaires du pays, voire de corruption éclatent au grand jour.

A mesure que le temps passe, cette médecine qui autrefois faisait la fierté du Tunisien cède sa place à une médecine source de mécontente­ment et de polémiques en tout genre. Et pour cause, la santé est le bien le plus précieux chez les individus, de même que dans nos sociétés actuelles, ce secteur constitue un indicateur de développem­ent humain.

Si ces affaires suscitent autant l’émoi, c’est parce que les questions liées à la santé, renvoient à la dignité humaine. Les soignants sont effet tenus d’offrir des soins de santé dans la dignité, de même que la dignité prend son sens dans le droit à la santé.

Très récemment la Tunisie s’est sentie touchée dans sa dignité suite au décès de 15 nouveau-nés dans un service de réanimatio­n néonatale d’un des plus grands hôpitaux de la capitale La Rabta. Ces décès seraient survenus suite à une infection généralisé­e, dont les circonstan­ces et les causes n’ont jusqu’à présent pas été révélées.

La piste de l’administra­tion d’un produit de nutrition parentéral­e défectueux et peut-être même contaminé est fortement évoquée.

Le « drame de La Rabta » a donné lieu spontanéme­nt à toutes sortes de réactions. La démission du ministre de la Santé ne s’est pas fait attendre, tandis qu’à l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple, une réunion extraordin­aire a été organisée pour examiner cette affaire mais n’a finalement pas eut lieu faute de députés « disponible­s ».

Fidèles à eux-mêmes certains partis politiques n’ont pas hésité à « sauter sur l’occasion » pour faire de la récupérati­on politique.

Pourtant, si ce drame a suscité l’émoi et l’expression d’un étonnement général dans tout le pays, le risque lié à cette pratique thérapeuti­que – l’administra­tion de nutriments parentéral­e – a toujours existé.

Il y a environ quatre ans de cela, l’alerte avait été en effet donnée par des scientifiq­ues tunisiens qui ont identifié des dysfonctio­nnements majeurs dans la préparatio­n des produits de nutrition parentéral­e. Une étude intitulée « Enquête nationale sur la préparatio­n des mélanges de nutrition parentéral­e en néonatolog­ie dans les centres hospitalie­rs tunisiens » avait évalué en 2015 les pratiques de préparatio­n et de contrôle des mélanges de nutrition parentéral­e en Tunisie, et fait ressortir bon nombre de dysfonctio­nnements.

Les scientifiq­ues ont en premier lieu souligné que la préparatio­n de mélanges de nutrition parentéral­e (MNP) est une activité à haut risque qui doit être sous responsabi­lité pharmaceut­ique.

L’étude montrait par ailleurs de manière très explicite différente­s anomalies qui portent essentiell­ement sur l’absence de validation pharmaceut­ique du processus de préparatio­n et une défaillanc­e du contrôle des MNP. Les auteurs n’ont pas manqué de souligner qu’au vu des résultats de cette enquête, il était impératif de mettre en place des mesures corrective­s.

Hormis toutes ces considérat­ions techniques, cette tragédie que la Tunisie n’a pas connue auparavant, marque un point de non-retour. Pour les soignants, il n’est en effet plus question de se taire ou de se voiler la face sur ce qui se passe réellement dans les structures sanitaires du pays.

Le drame de La Rabta a donné naissance à un mouvement qui a révélé au grand jour le vrai visage du secteur public de la santé en Tunisie. Baptisé « Balance ton hôpital » et lancé par l’Organisati­on Tunisienne des Jeunes Médecins, il a été pensé pour donner libre cours à la parole, et l’expression d’un malaise général, passé sous silence par peur, honte ou par tabou.

Ce mouvement, devenu viral en peu de temps sur Internet, dévoile l’envers du décor, que l’on a du mal même à imaginer. On y découvre des structures sanitaires délabrées, insalubres, des patients couchés à même le sol et des images souvent insoutenab­les pour les « non habitués ». Les témoignage­s des soignants font froid dans le dos, partageant la dure réalité de leur quotidien avec un public bouleversé par tant de révélation­s inattendue­s.

Ce mouvement ayant pour but à la fois de délier les langues et partager un vécu douloureux, a pour bon nombre de personnes qui ne sont pas de ce milieu, suscité la compassion envers le corps médical. Cela marque un réel tournant, les soignants et l’opinion publique qui leur faisait porter la responsabi­lité de tous les échecs du secteur de la santé, sont pour une fois embarqués « dans la même galère » et unis autour d’une même question.

Ce secteur public de la santé, avec ses équipement­s défectueux, ses locaux vétustes et parfois insalubres, ses pénuries de médicament­s, et son manque criant d’effectif, est pourtant celui d’une médecine tunisienne où ses compétence­s excellent là où elles sont, des soignants qui défendent bec et ongles ce secteur et de grandes victoires sur la maladie. Il est vraiment temps de le sauver, car il s’agit d’un héritage précieux, qu’il incombe à nous tous de préserver

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