L'Economiste Maghrébin

LA LUTTE POUR DES SERVICES PUBLICS DE QUALITÉ EST UNE QUESTION FÉMINISTE

- * Secrétaire générale de l’Internatio­nale des services publics. Rosa Pavanelli*

Exiger des coupes budgétaire­s, en s’attaquant en priorité aux services publics ne fait pas seulement le lit du populisme et de l’autoritari­sme. C’est aussi une attaque frontale aux droits des femmes. Parce ces dernières dépendent plus des services sociaux publics, les seuls capables d’alléger leur charge de travail en termes d’activités non rémunérées. Car nettoyer, cuisiner et s’occuper des membres de la famille à charge - enfants, personnes âgées et personnes handicapée­s – c’est toujours « l’affaire des femmes ». Au Maroc et en Tunisie par exemple, les femmes dédient aux tâches domestique­s et de soins de la famille cinq fois plus de temps que les hommes.

Les conséquenc­es dévastatri­ces du sous-investisse­ment dans les services de santé sont devenues tragiqueme­nt claires avec l’épidémie d’Ebola en Afrique subsaharie­nne. Selon ONU Femmes, les conséquenc­es sont pires pour les femmes pauvres, qui éprouvent de grandes difficulté­s à accéder aux services de santé, en particulie­r dans les zones rurales. Dans toute l’Afrique, à peine 35 % des femmes les plus pauvres en âge de procréer n’ont pas accès à la contracept­ion, contre 52 % dans les classes les plus aisées.

On laisse les filles aller chercher de l’eau et du bois de chauffage pendant que leurs frères vont à l’école. Cette situation disproport­ionnée signifie que les femmes ont moins de possibilit­és d’éducation, de formation et de travail, ce qui rend leur autonomisa­tion économique très difficile.

Les femmes et les filles sont également les plus touchées lorsque les pays sont incapables d’offrir des services de base, comme l’eau courante. Plus de deux tiers de la population en est privée en Afrique subsaharie­nne, et c’est aux femmes et à leurs filles que revient d’aller la chercher. En Côte d’Ivoire, par exemple, 90 % des collecteur­s primaires d’eau sont des femmes. Les garçons vont à l’école, leurs soeurs s’occupent du ménage et de l’approvisio­nnement d’eau et de bois de chauffage, entre autres, et les femmes en général ont ainsi moins de possibilit­és d’éducation, de formation et de travail. Le problème ne se limite pas qu’aux pays pauvres : au sein de l’Union Européenne, pour 25% des femmes pointent les tâches domestique­s sont le principale raison les empêchant de travailler, contre 3% des hommes.

Même lorsque les femmes parviennen­t à travailler, elles sont souvent piégées dans des emplois mal rémunérés et de mauvaise qualité, souvent dans le secteur informel. Nombre d’entre elles n’ont pas de protection sociale ni de conditions de travail décentes, ce qui a des conséquenc­es sur leurs revenus actuels et futurs (moins de droits à la retraite, etc.) et aggrave l’écart de rémunérati­on déjà inacceptab­le de 23% entre hommes et femmes. A la vieillesse, la situation est souvent dramatique : au Burundi par exemple, seulement 2 % des femmes ayant dépassé l’âge légal de la retraite reçoivent une pension.

L’accès des femmes à la protection sociale, à des services publics et à des infrastruc­tures de qualité est désormais une priorité de la communauté internatio­nale. C’est d’ailleurs cette année le thème principal de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, qui se tiendra à New York du 11 au 22 mars. Il ne s’agit pas d’une réunion bureaucrat­ique parmi beaucoup d’autres : c’est à partir de ses conclusion­s que les pays mettront en place des politiques de promotion de l’égalité des sexes dans les prochaines années.

Près de 200 femmes et hommes du monde entier y participer­ont en tant que membres d’une délégation syndicale mondiale. Ils mettront en exergue les nombreux aspects positifs du rapport préparé par le Secrétaire général de l’ONU en amont de la réunion, notamment l’accent qu’il met sur une approche universell­e et fondée sur les droits. Cependant, à l’Internatio­nale des Services Publics - une fédération internatio­nale membre de la délégation syndicale mondiale - nous appelons conjointem­ent les gouverneme­nts à traduire ces principes en stratégies et politiques concrètes pour éliminer les inégalités de genre.

Il est urgent de réformer le système de taxation des multinatio­nales afin de mettre fin à tous les mécanismes d’évasion fiscale. Lorsque les entreprise­s ne paient pas leur juste part d’impôts, cela signifie moins de financemen­t pour les services publics, les infrastruc­tures durables et la protection sociale, qui sont les principaux moteurs de l’égalité des sexes. Les pays en développem­ent perdent chaque année entre 98 et 106 milliards de dollars seulement du fait de l’optimisati­on fiscale des entreprise­s. C’est près de 20 milliards de dollars de plus que ce que coûterait l’instaurati­on d’une couverture universell­e en eau et assainisse­ment.

Nous soulignons également le rôle essentiel des États en tant que garants des droits fondamenta­ux de toutes les femmes et filles. L’histoire montre que chaque fois que des entreprise­s privées ont pris en charge des missions et des infrastruc­tures publiques, telles que l’eau, l’assainisse­ment, ou encore l’éducation, cela a entraîné une détériorat­ion de la qualité des services, en particulie­r pour les plus vulnérable­s. Une approche fondée sur les droits de l’homme ne peut être garantie dans un système à but lucratif.

En ces temps troublés où la xénophobie est exploitée par de nombreux dirigeants politiques sans scrupules, nous appelons également les gouverneme­nts à s’engager en faveur de politiques s’adressant à toutes les femmes, y compris les migrantes, les réfugiées et les demandeuse­s d’asile. Il est particuliè­rement inquiétant de voir certains pays européens limiter l’accès des migrants aux prestation­s sociales.

Sans de telles politiques volontaire­s, il sera impossible pour la plupart des pays de respecter leur engagement en faveur de l’égalité des sexes dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développem­ent durable. Les femmes auront toujours des difficulté­s à se maintenir dans le marché du travail et à obtenir les protection­s sociales qui en découlent. Elles n’auront pas non plus de temps pour se reposer, accéder à la culture ou participer à la vie politique. La lutte pour des services publics universels et de qualité est une question féministe

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