LES INÉGALITÉS SALARIALES, CHERCHEZ LE COUPABLE
Le G7, qui se tiendra à Biarritz du 24 au 26 août 2019, a mis au coeur de ses travaux la lutte contre les inégalités dans tous les domaines : celles qui frappent les femmes, qui résultent du climat, d’un commerce inéquitable mais aussi des risques (et des opportunités ) attachées au numérique et à l’intelligence artificielle.
Derrière les cinq priorités affichées se profilent les revendications du monde du travail avec ce malaise qui ronge le contrat social dans bon nombre de pays de l’OCDE, et au-delà. Les étrangers, les politiques, les élites, la mondialisation, l’Europe sont désignés du doigt comme coupables des maux subis, des désillusions.
Les remèdes sont simples. Il n’y a qu’à …baisser les barrières douanières, imposer des quotas à l’importation, lutter contre les atteintes à la sécurité nationale, tarir le flux des migrants . Il n’y a qu’à …imposer par la menace des conditions salariales minimales, des droits sociaux irréfragables aux pays incriminés.
Ce repli identitaire est entretenu par des torrents de fausses nouvelles, acceptées sans aucun examen critique par ceux qui n’entendent que ce qu’ils veulent entendre. Remarque vieille comme le monde, mais amplifiée par des réseaux sociaux qui donnent l’impression de puiser à de meilleures sources d’informations que les sources officielles peu fiables et d’être légitimisées par l’effet de masse des lecteurs et des « like ». Au Moyen âge, un ouï-dire valait un huitième de preuves et il suffisait d’en recueillir huit pour faire brûler en place publique une sorcière. Nous en sommes à des millions et les sorcières ne manquent pas !
La réalité est naturellement plus complexe que ces analyses séduisantes par leur simplicité et leur apparente évidence. L’histoire et la géographie attestent de cette complexité.
La question sociale mondiale, une affaire ancienne
Dans quelques semaines sera célébré le centième anniversaire de l’Organisation Internationale du Travail, fille du traité de Versailles. Cette création trouvait sa raison d’être dans la conviction que « l’injustice, la misère et les privations » provoquent un mécontentement qui met en danger la paix et l’harmonie du monde. Syndicats de salariés et du patronat, représentants des gouvernements doivent veiller à prévenir par un trilogue ce mécontentement en promouvant des salaires décents et des normes de travail acceptables.
Les tensions sociales propres à entraîner les Etats dans la guerre constituaient une explication courante alors dans certains milieux de la conflagration de 1914 l’interprétation marxiste voulait que la course au profit de capitalistes , face à des marchés intérieurs saturés en raison d’une consommation ouvrière réprimée par des salaires de subsistance, devaient rechercher à tout prix des débouchés extérieurs et, ce faisant , entraient en collision avec d’autres capitalistes animés du même esprit de lucre .
Cette interprétation a fait son temps et nul aujourd’hui n’y accorde de crédit. Une autre analyse domine aujourd’hui : celle de la rivalité d’Etats, jouant du nationalisme et de la xénophobie, qui luttent pour conserver leur rang ou accéder à la première place, en bousculant les puissances installées. La course à la suprématie ou en tout cas à la reconnaissance de son rang permet le rassemblement et le dépassement des classes sociales. Le commerce - ou plutôt le mercantilisme - est une arme de guerre. Prusse contre la France et le Royaume Uni hier, Etats-Unis aujourd’hui contre la Chine maintenant. « Vol des emplois et des salaires », gazouille Donald Trump.
Le libre-échange , origine du mal ?
Ces considérations paraissent une digression au regard des inégalités salariales. Pas vraiment. Dans le procès en sorcellerie instruit à charge contre la mondialisation, la paupérisation des salariés des pays industrialisés est appelée à la barre.
En mettant en lice des systèmes sociaux, des niveaux de salaires très disparates, la mondialisation provoquerait le creusement des inégalités ainsi que l’appauvrissement des salaires des moins bien lotis dans les pays industrialisés . A voir.
La convergence des revenus entre pays émergents et les pays avancés est un fait. Pour les premiers, elle s’explique par le développement des exportations, des investissements étrangers permis par les réformes intérieures, par un climat des affaires devenu plus favorable après des décennies de mirage étatique d’inspiration soviétique. Le rattrapage tant attendu s’est produit, notamment en Asie, pas encore en Afrique. Une corrélation se manifeste entre des salaires tirés à la baisse, des fermetures d’usines et des importations de substitution à bas coûts, comme le textile ou des investissements de production à l’étranger
Explication suffisante ?
Le lien entre libéralisation du commerce et inégalités de revenus est discuté par les meilleurs experts. Le commerce entre pays à forts écarts de revenus a véritablement décollé au début des années 1990 alors que la divergence des revenus dans les pays de l’OCDE remonte à 1970, comme le démontrent les travaux de Thomas Piketty. Les évolutions fortement contrastées des salaires à l’intérieur des pays touchent l’ensemble des secteurs, pas seulement ceux exposés le plus à la compétition internationale.
Le progrès technologique n’est pas innocent dans ce phénomène car il augmente la demande des cadres et techniciens qualifiés au détriment de ceux à basse qualification. Principe de rareté oblige, les salaires suivent dans un sens ou dans l’autre. L’absence de gardefous pour brider des exigences salariales déraisonnables de certains dirigeants et l’affaiblissement des syndicats et des négociations sociales dans certains pays renforcent ces inégalités.
Les salaires ont progressé moins vite que la productivité. En 2017, la hausse des salaires a été de 1,1% contre 1,8% dix ans plus tôt. Il n’en va pas de même dans des pays comme la Chine où le salaire nominal a doublé en dix ans.
Ce n’est pas seulement l’absence d’un emploi qui provoque la pauvreté car, en Europe, un travailleur sur dix est en deçà ou à la limite du seuil de pauvreté (60% du niveau standard de revenu). Ne pas disposer d’un emploi permanent ou être auto-employeur conduit dans un cas sur quatre à la pauvreté, un cas sur six pour les temporaires. Le phénomène s’est amplifié ces dix dernières années pour l’ensemble des salariés. Aucun pays n’est épargné. Le taux de pauvreté des travailleurs en Allemagne est de 9,1% en 2017, deux points de plus qu’en France, qui fait bonne figure. La précarité accompagne les mutations du marché du travail.
Le savetier et le financier
La financiarisation de l’économie est un facteur puissant d’explication, d’ailleurs non sans lien avec les avancées techniques qui exigent plus d’investissements.
La financiarisation de l’économie se traduit par une part importante des profits de l’entreprise qui va aux actionnaires, en position de force grâce à la mobilité des capitaux et la concurrence des placements. La situation n’est pas uniforme avec le cas extrême des Etats -Unis où les actionnaires de sociétés françaises reçoivent 91% des bénéfices contre 65 % en France .
Ce phénomène est aggravé par la décélération de la productivité. Cette stagnation séculière est certes discutée non sans raisons (ajustement temporaire, saisie statistique obsolète face à la révolution électronique …) mais la plus-value dégagée par les entreprises ces 35 dernières années se révèle être en réduction de 7 à 8 %, en Europe comme en Amérique. Moins de richesse à partager.
Une nouvelle génération d’accords commerciaux ?
La dimension sociale avait été longtemps absente des négociations commerciales car elle était soupçonnée d’être la face cachée d’un certain protectionnisme. Les conditions sociales et salariales sont fonction d’un état de la société, de son efficacité économique, de sa productivité et ne peuvent se réduire à des taux de douane ou à des normes universelles qui les aligneraient sur les plus avancés. La théorie des avantages comparatifs est là pour justifier ces écarts et les rendre positifs.
Les temps ont changé et des clauses sociales apparaissent de plus en plus dans les accords commerciaux comme l’USMCA (ex NAFTA) ou le TPP (sans les Etats-Unis). Droits sociaux et avantages commerciaux se côtoient dorénavant dans les traités régionaux qui se multiplient Les trois quarts des récents accords en contiennent.
Cette mixité permettra-t-elle de faire rebrousser ou, en tout cas, de stopper les mouvements historiques affectant inégalités et paupérisation, relative ou absolue ? Il est permis d’en douter tant les causes de ces inégalités sont complexes, souvent internes et la coopération internationale insuffisante. Mais, il n’est guère d’autre voie raisonnable que celle-là, par une collaboration entre tous les acteurs, au plan interne comme externe, pour faire émerger un monde moins inégalitaire donc moins inquiétant. Le G7 de Biarritz peut contribuer à une prise de conscience renforcée des différentes parties prenantes conviées à une série de rencontres dans des formats séparés mais avec la même ambition