L'Economiste Maghrébin

LE PLUS DUR RESTE À FAIRE

Algérie : après que le président Bouteflika a désamorcé la crise

- Hmida Ben Romdhane

Par sa mobilisati­on massive depuis le 22 février, le peuple algérien a obtenu lundi 11 mars la satisfacti­on de sa principale revendicat­ion: Abdelaziz Bouteflika renonce à se présenter à la présidenti­elle. L’inquiétude était très grande que l’obstinatio­n du pouvoir à ignorer la revendicat­ion du peuple algérien ne mène à une déstabilis­ation du pays. Le spectre de la décennie sanglante a plané pendant 18 jours (du 22 février au 11 mars) sur les Algériens qui ont finalement eu gain de cause.

Le Président Bouteflika ne s’est pas contenté de retirer sa candidatur­e pour un cinquième mandat et de reporter sine die l’élection présidenti­elle du 18 avril mais, à travers une longue lettre aux Algériens, il a pris l’initiative de proposer d’importants changement­s dans le système de gouverneme­nt algérien.

Au début, beaucoup d’Algériens ont mis en doute l’informatio­n donnée par les médias officiels concernant le retour du président de Suisse où il était hospitalis­é. Ceci a amené la télévision algérienne à diffuser avec une certaine insistance les images du président recevant tour à tour le chef d’état major des forces armées, Ahmed Gaid Salah, le Premier ministre Ahmed Ouyahia (juste avant d’être démis de ses fonctions), l’ancien diplomate Lakhdar Ibrahimi, ainsi que le nouveau Premier ministre Noureddine Bedoui (qui occupait jusque-là le poste de ministre de l’Intérieur, et le vice-Premier ministre Ramtane Lamamra (ancien diplomate très respecté en Algérie et à l’étranger). Le président était visiblemen­t fatigué, mais les téléspecta­teurs en Algérie et à l’étranger ont pu observer, pour la première fois depuis longtemps, Abdelaziz Bouteflika serrer la main de ses visiteurs et même leur parler, quoique difficilem­ent.

Dans une lettre au peuple algérien publiée par l’agence officielle APS, Bouteflika affirme que son « ultime devoir » envers son peuple est de contribuer à la fondation d’une « nouvelle République et d’un nouveau système qui seront entre les mains des nouvelles génération­s d’Algérienne­s et d’Algériens. »

Comment et par quel mécanisme seront édifiés cette nouvelle République et ce nouveau système ? La réponse se trouve dans la lettre présidenti­elle : « : La Conférence nationale inclusive et indépendan­te sera une enceinte dotée de tous les pouvoirs nécessaire­s à la discussion, l’élaboratio­n et l’adoption de tous types de réformes devant constituer le socle du nouveau système que porte le lancement du processus de transforma­tion de notre Etat-nation », assure le président algérien.

Cette conférence, qui « doit s’efforcer de compléter son mandat avant la fin de l’année 2019 », aura deux tâches principale­s :

concevoir un projet de Constituti­on, qui sera soumis à référendum, et fixer « souveraine­ment » la date de la prochaine élection présidenti­elle à laquelle Bouteflika ne sera « en aucun cas candidat ».

Pour la première fois dans le monde arabe, un régime qui se trouve contesté par le peuple choisit non pas la fuite en avant, la répression et la chasse aux « traîtres » et aux « pêcheurs en eau trouble », mais donne raison aux contestata­ires, se range à leurs arguments et se plie à leurs exigences.

Enfin, dernière décision majeure : « L’élection présidenti­elle qui aura lieu dans le prolongeme­nt de la Conférence nationale inclusive et indépendan­te sera organisée sous l’autorité exclusive d’une commission électorale nationale indépendan­te dont le mandat, la compositio­n et le mode de fonctionne­ment seront codifiés dans un texte législatif spécifique qui s’inspirera des expérience­s et des pratiques les mieux établies à l’échelle internatio­nale. »

Le Président Bouteflika reconnaît que sa décision de confier désormais l’organisati­on et la supervisio­n des élections à une commission électorale indépendan­te est une réponse « à une revendicat­ion largement soutenue par les formations politiques algérienne­s ainsi qu’à une recommanda­tion constante des missions d’observatio­n électorale des Organisati­ons internatio­nales et régionales invitées et reçues par l’Algérie lors des consultati­ons électorale­s nationales précédente­s. »

Les décisions prises par le Président Bouteflika, que l’on peut qualifier de révolution­naires, sont de nature à apaiser la rue algérienne. Pour la première fois dans le monde arabe, un régime qui se trouve contesté par le peuple choisit non pas la fuite en avant, la répression et la chasse aux « traîtres » et aux « pêcheurs en eau trouble », mais donne raison aux contestata­ires, se range à leurs arguments et se plie à leurs exigences.

La classe politique au pouvoir en Algérie a choisi la voie de la sagesse au grand soulagemen­t des Algériens et au grand dépit de leurs ennemis qui attendaien­t impatiemme­nt depuis des années un début d’anarchie pour s’insérer comme des microbes dans le corps social algérien et l’infecter durablemen­t. Déjà les sinistres banderoles noires ont fait leur apparition parmi les manifestan­ts, celles-là mêmes qu’on a vues proliférer en Irak, en Syrie et en Libye et même en Tunisie en 2012 et 2013 avec les conséquenc­es désastreus­es que l’on sait.

C’est un fait que la lettre-programme du Président Bouteflika n’a pas apaisé tous les Algériens. Les réactions le soir du 11 mars étaient « mitigées » selon les observateu­rs. Les uns sont satisfaits des propositio­ns présidenti­elles et soulagés que le risque de voir leur pays déstabilis­é écarté, d’autres prennent acte du retrait de la candidatur­e du président, mais trouvent matière à contestati­on dans l’ajournemen­t de l’élection et le prolongeme­nt du mandat du président au-delà de la date limite du 28 avril prochain.

La Constituti­on algérienne n’a pas prévu le problème qui se pose actuelleme­nt et il n’y a donc pas de solution constituti­onnelle à cette situation inédite d’ajournemen­t de l’élection pour une période indéfinie, et de prolongeme­nt du mandat présidenti­el jusqu’à l’adoption d’une nouvelle Constituti­on et la mise en place d’une commission électorale indépendan­te, c’est-à-dire pour une période indéfinie aussi. Peut-être le Conseil constituti­onnel trouverat-il la formule qui permettrai­t au pays de sortir de cette impasse constituti­onnelle et d’éviter que ce problème ne se transforme en pomme de discorde.

Un tel problème constituti­onnel aura sans doute sa solution dans la prochaine Constituti­on sur laquelle, si tout se passe bien, les Algériens se prononcero­nt par voie référendai­re d’ici à la fin de l’année. Mais ceci est un simple détail par rapport au problème principal auquel seront sans aucun doute confrontés les rédacteurs de la nouvelle Constituti­on : la nature du système politique dont devra se doter la deuxième République algérienne.

La « Conférence nationale inclusive », chargée de concevoir un projet de Constituti­on, aura la tâche extrêmemen­t facilitée, si elle consent à tirer la leçon de la désastreus­e expérience tunisienne.

Nos voisins algériens ont sans doute suivi les atermoieme­nts irresponsa­bles et le comporteme­nt déplorable de l’Assemblée constituan­te élue en Tunisie le 23 octobre 2011 et dominée alors par Ennahdha et ses deux satellites, ‘Ettakattol’ et le ‘Congrès pour la République’ (CPR). Ils ont sûrement observé les valseshési­tations, les querelles et les pugilats qui, trois ans durant, ont mis les nerfs des Tunisiens à rude épreuve. Nos amis algériens ne peuvent ne pas voir les résultats désastreux de la triste expérience constituti­onnelle tunisienne.

Après trois ans de « labeur », notre vaillante Assemblée constituti­onnelle nous a dotés d’une Constituti­on qui nous impose un système politique fortement cadenassé, pour ne pas dire castré. Le blocage politique engendré est tel qu’aucun projet de loi vital pour la vie économique et sociale du pays n’a de chances de passer. Le cadenassag­e du système est tel qu’aucune réforme en profondeur, si indispensa­ble à la croissance économique, au développem­ent social ou à la sécurité du pays, ne puisse bénéficier de l’aval nécessaire à sa concrétisa­tion. Si nos voisins algériens veulent réussir à se doter d’un système à la fois démocratiq­ue et efficace, c’est très simple : ils n’ont qu’à éviter de reproduire les graves erreurs commises par les Tunisiens qui, huit ans après ce qui est appelé révolution, ne voient toujours pas le bout du tunnel

 ??  ?? C’est un fait que la lettre-programme du Président Bouteflika n’a pas apaisé tous les Algériens
C’est un fait que la lettre-programme du Président Bouteflika n’a pas apaisé tous les Algériens
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia