UN VOTE ÉLECTORAL AU LOOK PARADOXAL
Les sondages pronostiquent la victoire d’Ennahdha aux législatives après son franc succès aux municipales. A l’aune de ce trend électoral rien n’exclut l’égale performance aux présidentielles.
Toutefois, par tactique politique, un mot d’ordre émis par la Choura pourrait propulser un non Nahdhaoui à la présidence de la République. Pourtant, les adversaires de l’organisation islamiste ne cessent de porter à sa charge la panoplie des vices et sévices allant de « l’obscurantisme » au crime. Ainsi, par le profil progressiste, les destinataires des lettres empoisonnées orientent le soupçon vers les assassins de Chokri et de Brahmi. Parmi les personnes ciblées, Maya Ksouri, sitôt informée du projet crapuleux, réplique par le port d’une belle robe rouge, nuance heureuse où les téléspectateurs perçoivent la trempe et le panache de l’intrépide militante.
En outre, les analystes incriminent la base élective restreinte par l’entremise de laquelle ce parti des « frères musulmans » parvient à supplanter ses ennemis grâce à la démocratie. Ce genre d’argumentation colporte, au moins, deux ritournelles conditionnelles.
Si les abstentionnistes avaient voté, Ennahdha aurait été surpassé. Si l’effectif de la marée humaine qui avait déferlé pour accompagner Belaïd à sa tombe venait voter Ennahdha serait minorisée.
Mais avec des « si » nul n’a jamais rien construit. L’issue du vote, seule, convie ou congédie les postulants à Carthage, la Kasba et le Bardo. Par définition et depuis le siècle de Périclès, gloire de la Grèce, la démocratie signifie le peuple au pouvoir.
Autrement dit, le style de l’autorité a partie liée avec la structure objective et la configuration subjective de la société. Un peuple à religion dominante islamique tend à élire une organisation à éthos islamique. Les ténors nahdhaouis l’ont bien compris. A l’orée des élections, ils diffusent le même slogan dont l’efficacité symbolique informe le champ politique : « Voter contre Ennahdha c’est voter contre l’islam ».
Dès lors les innombrables effectifs des écoles coraniques et des mosquées savent pour qui voter. A ce propos, semblables aux ethnologues venus pour la première fois dans un pays inconnu, les modernistes se trompent de société lorsqu’ils substituent leur désir et leur devise au ton de l’analyse. Ainsi, l’un d’entre eux écrit : « Aujourd’hui, implantées dans les moindres coins et recoins du territoire, ces milliers d’associations tapies dans l’ombre agissent en toute impunité, échappant au contrôle. C’est bien là un des plus cinglant revers d’une démocratie naissante et balbutiante ». Ce genre d’élucubrations bute sur deux objections. Qui définit la démocratie ? Le vote, n’est-ce pas ! Or celui-ci favorise les Nahdhaouis et leur ethos diffère de la vision du monde chère à leurs adversaires. Mais surtout, les associations mal aimées par l’éditorialiste chevronné donnent à voir la projection, sur le sol, des représentations d’abord logées dans « les moindres coins et recoins » de la pensée. Comment contrôler l’incontrôlable dès l’instant où une formation à esprit sacerdotal parvient à rafler, à la fois, les trois piliers de l’autorité ?
Le 27 février Samir Dilou dialogue avec l’un de mes voisins à forte sympathie pour les Nahdhaouis. Youssef Hsoumi dit : « Avec tout ce battage médiatique organisé contre nous y aura-t-il une influence négative sur le vote ? »
-« Mais non, ne t’en fais pas. Dès l’instant où elle se trouve à ce point dite et redite, une organisation secrète n’est plus à ce point secrète. Ne t’en fais pas ; eux ils parlent ; nous, nous agissons. » Quelques jours auparavant, Alia Rihani, résidente à Hay Ettadhamen depuis sa naissance me disait : « A l’Aïd les gens d’Ennahdha offrent un mouton à chaque famille démunie. Pour les inciter à voter pour eux ».
Le 28 février, ma voisine Mme Samira Chékili, l’épouse du célèbre jazz man, ajoute son avis : « Avec leur division et leurs dissensions les adversaires d’Ennahdha ne sauraient l’évincer. »
Ces prises de positions, glanées ça et là, au gré de rencontres fortuites, brossent le tableau de la compétition perçue à l’horizon des prochaines élections. Au cas où le pronostic, saisi sur le vif, ne serait pas trop subjectif, la scène médiatique pourrait arborer l’art d’adapter l’écriture à ce que Simone de Beauvoir dénomme « la force des choses ». Certains quotidiens, au moins, seraient tentés de trouver un certain charme discret à nos amis nahdhaouis.
Un observatoire indiscret pourrait focaliser l’observation sur l’éventuelle transformation. La publicité a ses raisons que ne connaît pas la conviction. Un canard sans parti politique à servir encourt le risque de finir par choisir le délire. Nietzsche clôture sa « généalogie de la morale » par ce mot : « Telle est la loi. » … des médias.
Le jour où Mzali fut dégagé, un patron de presse court, de nuit, changer l’édito qui passe de la flatterie à la calomnie. Si Baudelaire m’autorisait à changer un mot, cela donnerait : « Maudit soit à jamais le rêveur inutile / qui voulut le premier, dans sa stupidité / S’éprenant d’un problème insoluble et stérile/ Aux choses de l’écriture médiatique mêler l’honnêteté »