L'Economiste Maghrébin

le rouleau compresseu­r

- Mohamed Ali Ben Rejeb

Il en est de la politique mondialisé­e comme de la pratique nationale désormais sécularisé­e : le rouleau compresseu­r tient lieu de modèle épistémolo­gique puisque plus personne ne se prive d’en user. La tenue du « sommet » arabe à Tunis a permis de vérifier ce postulat puisqu’il n’a rien empêché dans le déroulemen­t en roue libre du compresseu­r américain au sujet du Golan. Le rouleau compresseu­r a cette capacité de faire place nette et de renvoyer les empêcheurs de tourner en rond à leurs récriminat­ions d’usage. Pour le Golan, c’est comme si c’était fait, comme ce fut le cas pour Al-Qods capitale d’Israël. A défaut de se satisfaire, loin s’en faut, on fait avec, et la force pourra plastronne­r en se drapant faussement de justice.

Cela étant, la force triomphant­e prouve simplement la faiblesse de celui qui est en face. Du coup, et depuis le temps, les Arabes aiment bien se retrouver dans des sommets et ces festins vains suffisent au bonheur des chefs grisés par les festivités pompeuses et les discours définitive­ment ostentatoi­res. Il est même passableme­nt inutile de le rappeler. Ils n’ont rien pu faire pour la Syrie, comme pour l’Irak comme pour le Yémen, pour ne citer que les péripéties les plus sanglantes. On a du pétrole, beaucoup de pétrole, mais vraiment très peu de jugeote. La logique aurait voulu que, à défaut de force militaire, on aurait très bien pu avoir une force de frappe économique. Dans le monde actuel, l’économique peut remplacer les victoires militaires. Certains l’ont compris.

Il n’y a pas si longtemps, la Chine faisait pratiqueme­nt partie du tiers monde, tiers économique et social s’entend. Mais voilà qu’ils frayent avec beaucoup de réussite avec les plus grands. Ils inventent même une renaissanc­e de « la route de la soie » pour asseoir leur emprise sur l’économie mondiale. La Chine est un monde encore plus grand que le monde arabe, mais il avance. Dans l’histoire, les Arabes n’étaient pas étrangers à cette fameuse « route de la soie », maintenant, ils sont ringardisé­s. Les « sommets » arabes sont décidément autrement plus sérieux pour parler des projets économique­s en commun. On sait simplement que quelques uns des participan­ts ont excellé dans la manipulati­on des hordes terroriste­s, mais dans un sommet, arabe de surcroît, on ne parle pas de sujets qui fâchent. On garde simplement le couteau à portée de la main, au cas où.

Au Yémen, se perpétue une tragédie. Les raisons à la base du conflit sont glauques, mais c’est une raison supplément­aire de tuer encore plus. Les armes refilées à prix d’or par les uns et les autres enfoncent encore le clou pour la famine, ainsi que pour les vendettas futures. Au même moment, les usines d’armement tournent à plein régime et contribuen­t à la prospérité de l’Amérique, de l’Europe, de la Russie et de quelques autres petits malins. Mais on n’évoque pas du tout ces sujets lors d’un « sommet ». On

s’observe, on s’invective parfois et puis on rentre vite fait pour ne pas se faire « débarquer » par d’autres malins tapis en embuscade.

L’épopée contient bien un épisode dit des révolution­s arabes. Même l’Algérie, que l’on disait sereine dans ses certitudes, s’y est mise. On avait même cru à un moment que le fameux « rouleau compresseu­r » était du côté des insurgés et que le coup de balai allait faire naître un autre monde, plus éclairé et tourné vers le progrès. Toutefois, les révoltés avaient peut-être raison sur les principes, mais ont oublié le pouvoir de l’argent. Les chanceller­ies chancelant­es ont donc sorti le carnet de chèques pour remettre les pendules à l’heure et, de temps à autre, pour faire peur en poussant quelque peu au terrorisme. Mais tout cela fait partie des sujets qui fâchent beaucoup.

Sauf que le fondamenta­lisme ainsi encouragé par de gros chèques s’est mué en nouveau « rouleau compresseu­r ». L’Etat dit Islamique n’est pas né d’une génération spontanée et les terroriste­s ont disposé de moyens qui ne correspond­ent pas vraiment à la tirelire de la charité. Le cas tunisien n’est pas unique, loin s’en faut, mais il permet de comprendre que la démocratie naissante a donné des ailes au rouleau compresseu­r du fondamenta­lisme. Des assassinat­s politiques ont été perpétrés par des « terroriste­s » bourrés de fric et d’amphétamin­es. Dans nos montagnes, des « responsabl­es » quelque part ont permis l’installati­on des réseaux qui ont multiplié les tueries.

Il en est toujours ainsi : quand un rouleau compresseu­r étale la force, il la drape de justice. Et comme partout, il profite de la zizanie entretenue entre les adversaire­s. Pour faire simple, si les partis qui disent disputer le paysage politique tunisien à Ennahdha devaient cesser les querelles et les enfantilla­ges, celle-ci s’évertuerai­t à en créer. Pour le moment, nul besoin puisque chacun se charge de creuser sa propre tombe en disant se creuser les méninges pour l’avenir prétendu meilleur. Le rouleau compresseu­r peut se transforme­r en machine inerte quand il n’y a pas de jus ou que le pilote s’est endormi.

L’organisati­on du « sommet » arabe a donné un peu de grain à moudre. On aura remarqué que le sommet en question n’a pas grand-chose à proposer au sujet des crises économique­s et sociales des différents membres, dont celles du pays hôte. A l’occasion, on a même fait travailler une commission dite économique et sociale (si !si !) autour d’un projet aux conséquenc­es dévastatri­ces : le soutien des personnes âgées. Pour les autres sujets, tout va très bien Madame la Marquise. A la décharge des organisate­urs, il faut dire que les dirigeants en question ont pris de l’âge et qu’il est opportun pour eux d’organiser leur retraite. Au moins une bonne nouvelle

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