L'Economiste Maghrébin

La Tunisie est plus écoutée et plus sollicitée

Khemais Jhinaoui, Ministre des Affaires Etrangères

- Interview réalisée par Hédi Mechri et I.M.

Rencontré en pleins préparatif­s du 30e Sommet de la Ligue des Etats arabes, le ministre des Affaires Etrangères, Khemaies Jhinaoui, a livré à l’Economiste Maghrébin sa vision des différente­s crises qui secouent le monde arabe, formulant l’espoir de voir mûrir les positions des pays de la région dans le sens d’une meilleure coordinati­on sur les questions communes. Ce qui unit les Arabes étant, selon lui, beaucoup plus important que ce qui les divise. Dans cette interview, le ministre des Affaires étrangères n’élude aucune de nos questions. Il répond à sa manière, le ton calme, serein, assuré avec beaucoup d’humilité sans se départir de sa franchise habituelle. Avec un sens prononcé de la mesure et de la modération, il confirme ce que l’on dit de lui et de ses grandes qualités humaines et profession­nelles. Nul doute qu’il descend de cette grande lignée de diplomates qui ont largement contribué au rayonnemen­t de la diplomatie nationale. Interview.

Monsieur le ministre, par-delà les belles paroles et les beaux principes, un sommet arabe à Tunis dans un contexte arabe miné par des divisions aiguës, et à un moment où la souveraine­té des Etats n’a jamais été autant menacée, que faut-il en espérer ?

Le choix qui s’est porté sur la Tunisie pour abriter un sommet arabe, un peu moins de cinq ans après les élections, avec en plus une participat­ion au plus haut niveau des Etats membres, illustre le chemin accompli par notre pays sur la voie du réchauffem­ent et du raffermiss­ement de ses relations avec son entourage. Il s’agit d’un véritable exploit diplomatiq­ue.

C’est une reconnaiss­ance de la place et du rôle joué par la Tunisie sur la scène arabe et du crédit dont elle jouit auprès de ses pairs arabes.

Notre pays est aujourd’hui plus écouté et plus sollicité par ses partenaire­s arabes. Ce n’est pas fortuit mais c’est plutôt le fruit des grands efforts déployés par notre diplomatie. Le Président Béji Caïd Essebsi a opté dès sa prise de fonction pour le retour aux principes fondamenta­ux de la diplomatie tunisienne.

Des principes conçus et mis en oeuvre par le leader Habib Bourguiba, prônant le dialogue entre les nations, favorisant le règlement pacifique des conflits et appelant à la non-ingérence dans les affaires intérieure­s des pays. Ce sont ces principes cardinaux de notre diplomatie qui donnent aujourd’hui autant de crédibilit­é et d’audience à la Tunisie.

Réunir aujourd’hui sous un même toit, pratiqueme­nt tous les pays arabes, nonobstant leurs divergence­s et leurs dissension­s n’est pas une chose aisée quand on sait que les chefs d’Etat arabes ne se sont pas rencontrés depuis 2017 à une aussi grande échelle.

Encore une fois cela témoigne du capital confiance dont jouit la Tunisie. Une confiance que notre pays va mettre en oeuvre pour donner à ses hôtes arabes l’occasion de discuter des nombreux problèmes qui agitent la région.

Quels sont les grands sujets sur lesquels se pencheront les chefs d’Etat arabes ?

Les chefs d’Etat arabes débattront essentiell­ement des différente­s crises que connaît le monde arabe, en particulie­r en Syrie, en Libye, au Yémen et en Palestine.

Ces crises vont faire l’objet d’une réflexion approfondi­e des ministres des Affaires étrangères, pour soumettre les recommanda­tions issues de cette réflexion aux chefs d’Etat. Nous espérons que ce sommet pourra déboucher sur des propositio­ns concrètes de solution de ces crises, afin qu’il y ait une vraie plus-value et une réelle avancée par rapport aux sommets précédents.

Ce sommet va également porter sur la situation sécuritair­e dans le monde arabe, la question de la sécurité arabe commune, ainsi que sur les moyens à même de renforcer la coordinati­on entre les services compétents des pays arabes pour lutter contre la menace terroriste.

Les chefs d’Etat, réunis dans le cadre de ce sommet, débattront également des différente­s évolutions et mutations que connaissen­t les autres régions du monde, en l’occurrence l’Europe, l’Afrique et l’Asie et exploreron­t les voies et moyens de renforcer notre capacité commune d’adaptation à ces différente­s évolutions.

La Tunisie, pays hôte de ce sommet, va s’employer afin que cette rencontre de haut niveau soit l’occasion de discuter non seulement des questions relatives aux conflits mais également les dossiers d’ordre économique et social, notamment le rôle de la jeunesse et de la femme dans le développem­ent du monde arabe. Ce sont des sujets où la Tunisie dispose d’une expérience et d’un crédit qu’elle est prête à partager avec ses frères arabes.

Le sommet de Tunis sera aussi l’occasion de discuter des relations du monde arabe avec les groupement­s voisins, à l’instar de l’Union européenne ou l’Union africaine. Le sommet euro-arabe de Charm El-Cheikh, qui a réuni pour la première fois au plus haut niveau les partenaire­s arabes et européens, a été un véritable succès et une occasion pour se concerter sur les questions relatives à la complément­arité, à la coopératio­n sur les plans sécuritair­e et économique. Et notre espoir est de voir le monde arabe réussir, à travers de tels sommets, à créer des ponts solides avec le reste du monde.

Et qu’en est-il de la Route de la soie ? Les Arabes sont-ils concernés par cette énorme initiative ?

La Tunisie y est déjà, d’autres pays arabes aussi, et le forum d’affaires sino-arabe, qui se tiendra le 2 avril à Tunis, sera l’occasion d’approfondi­r la réflexion et les concertati­ons autour de cette initiative.

Vous avez bon espoir, malgré les lignes de fracture que traverse un certain nombre de pays arabes, que cette démarche consensuel­le soutenue par la Tunisie à l’occasion de ce sommet aboutisse ?

Il n’y a pas que le monde arabe qui soit traversé par des fractures. Certes, des fractures existent dans le monde arabe, mais je pense que ce qui nous unit et nous rapproche est beaucoup plus important et solide que ce qui nous divise. L’objectif que la Tunisie s’est assignée à travers ce sommet, c’est celui de consolider davantage nos points de convergenc­e et d’atténuer, autant que faire se peut, ce qui nous sépare.

La Tunisie est dans son rôle historique ! Absolument. La Tunisie s’est toujours inscrite dans une logique de consensus. Lors de chaque sommet, il y a la réunion formelle sur laquelle se focalisent tous les regards, mais il y a également les réunions en coulisses qui servent à faire mûrir certaines positions et à favoriser les concertati­ons, et c’est à ce niveau là que notre rôle de facilitate­ur et de médiateur va se jouer.

N’y a-t-il pas là une petite déception du fait que la question du retour de la Syrie à la Ligue des Etats arabes ne figure pas à l’ordre du jour du sommet ?

Le retour de la Syrie à la Ligue arabe est, en fait, un problème complexe. En 2011, les ministres des Affaires étrangères des pays arabes se sont rencontrés, quelques semaines après le début des événements en Syrie, et ont décidé sa suspension de la Ligue des Etats arabes et de toutes les institutio­ns panarabes en réaction au refus catégoriqu­e du régime syrien de réagir à l’initiative arabe lancée à l’époque pour résoudre le conflit qui s’y déroulait.

Actuelleme­nt, les mécanismes de prise de décision au sein de la Ligue arabe exigent le consensus autour de cette question. En d’autres termes, une majorité qualifiée ne suffit pas pour décider du retour ou non de la Syrie à la Ligue.

Plusieurs voix estiment aujourd’hui que le sort et l’avenir de la Syrie est discuté en dehors de l’espace arabe, et je pense qu’il est du devoir des Arabes de s’intéresser davantage à ce pays, en lui offrant la possibilit­é d’être en interactio­n avec son espace naturel.

La Syrie est un pays important du monde arabe. C’est l’un des sept pays fondateurs de la Ligue des Etats arabes, et je pense que la position arabe doit arriver à une certaine maturation qui permette aux Etats arabes d’évaluer la nouvelle situation en Syrie et de s’accorder sur une attitude commune qui reconnaiss­e au peuple syrien le droit de choisir ses représenta­nts.

Mais une chose est sûre, la Syrie va tôt ou tard réintégrer la Ligue arabe et reprendre sa place naturelle.

Pensez-vous que le sommet de Tunis pourrait constituer une étape vers cette maturité ?

Absolument, mais en dehors du sommet il y a aussi des initiative­s qui tendent vers cette maturité. Il y a des pays arabes qui ont rouvert leurs ambassades à Damas. Il ne faut pas négliger non plus l’évolution de la situation sur le terrain, où Daech a été plus ou moins vaincu et il va falloir coopérer pour qu’il n’y ait pas de reprise des hostilités ou un retour des violences.

Les développem­ents politiques et sécuritair­es dans la région, notamment en Irak, en Syrie, au Yémen et en Palestine risquent d’accentuer les divisions déjà grandes entre les pays arabes. La Ligue arabe est-elle encore le cadre approprié de règlement des différends interarabe­s ?

La Ligue Arabe est en fait l’illustrati­on et le reflet des diverses volontés politiques des pays arabes. Le problème ne se pose pas au niveau de l’institutio­n mais plutôt au niveau du système politique arabe global qui souffre d’un manque de coordinati­on.

Il faut que les pays arabes arrivent à une meilleure coordinati­on de leurs politiques et qu’ils aient cette volonté de doter la Ligue de tous les moyens qui lui permettent d’accomplir sa mission avec davantage d’efficacité, d’efficience et de souplesse.

Comment la Ligue arabe juge-t-elle les dernières déclaratio­ns de l’actuel président américain au pouvoir concernant le plateau du Golan ?

Les déclaratio­ns du président américain n’engagent que les Etats-Unis. A cet égard, je voudrais rappeler qu’en juin 1967, tout juste après la guerre des 6 jours, le plateau du Golan avait été déclaré par le Conseil de sécurité territoire occupé par Israël.

En 1981, le Conseil de sécurité s’est de nouveau réuni et a déclaré que toutes les mesures prises unilatéral­ement par Israël sont nulles et non avenues.

Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’immédiatem­ent après les déclaratio­ns du président américain, les Nations unies, l’Union européenne, le Japon et bien sûr la Ligue des Etats Arabes ont tous réaffirmé que le plateau du Golan est un territoire occupé et qu’il faut revenir à la légalité internatio­nale.

Monsieur le ministre, il devient de plus en plus évident qu’une solution négociée de la crise libyenne est en passe d’être dépassée, réalité du terrain oblige. Toutes les tentatives de médiation ont échoué, y compris l’initiative du président Essebsi. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne partage absolument pas ce constat d’échec. L’initiative onusienne pilotée par l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Ghassan Salamé, est toujours en cours. Ce dernier a élaboré une feuille de route qui prévoit, notamment, la révision de l’accord de Skhirat, signé par certains acteurs politiques libyens en l’absence d’autres protagonis­tes, et la préparatio­n institutio­nnelle pour l’organisati­on d’élections libres en Libye.

Dans le cadre de cette initiative onusienne, une conférence nationale libyenne prévue normalemen­t du 14 au 16 avril 2019 à Ghadamès au sud de la libye, avec la participat­ion de l’ensemble des protagonis­tes libyens, devra débattre d’un plan de sortie de crise et notamment du fondement constituti­onnel sur lequel seront organisées les élections libyennes.

J’ajouterais que dans le cadre de cette initiative, il y a eu la création d’une instance indépendan­te pour les élections qui a déjà commencé l’inscriptio­n des électeurs libyens.

La conférence nationale libyenne va aussi porter sur la question sécuritair­e en Libye afin de réunir les conditions nécessaire­s à la tenue d’élections libres et démocratiq­ues. La solution sécuritair­e devrait, bien évidemment, impliquer l’armée en tant qu’élément fondamenta­l de la sécurité libyenne, mais cette armée doit accepter de se soumettre à une autorité civile qui dirigera le pays.

Le sommet organisé par les Nations unies à Abu Dhabi, entre Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar semble aboutir à un accord sur l’organisati­on d’élections sous l’égide des Nations unies, avant la fin de cette année. Nous espérons que cet accord pourra être consolidé sur le terrain.

Pour nous Tunisiens, la question libyenne est d’une importance primordial­e, car au-delà du devoir que nous édictent les liens de fraternité et de voisinage avec le peuple libyen pour l’aider à sortir de cette situation difficile, il se trouve que cette situation exerce une influence directe sur notre propre sécurité voire sur l’évolution de notre processus démocratiq­ue ainsi que sur notre transition économique.

Et c’est dans cette perspectiv­e que le Président de la République, Béji Caïd

La Tunisie est parmi les rares pays du monde et le seul pays arabe à avoir un consulat général en Libye. Cela démontre l’importance que nous accordons à ce pays, malgré les difficulté­s que connaît notre mission là-bas. La Libye a aussi gardé sa mission ouverte à Tunis.

Essebsi, a lancé en 2017 une initiative visant à unifier les positions des trois pays voisins de la Libye, à savoir la Tunisie, l’Algérie et l’Égypte, dans l’objectif de favoriser une solution pacifique et politique du conflit libyen. Cette solution devrait, selon l’initiative du président, écarter toute option militaire et favoriser un règlement libyco-libyen sans ingérence aucune, dans le cadre du respect de l’unité de la Libye et son intégrité territoria­le et sous les auspices des Nations unies.

Comme vous le savez sans doute, la situation en Libye figure à l’ordre du jour du sommet. A la veille du sommet une réunion du Quartet (Union Européenne, Nations unies, Ligue Arabe et Union africaine) devrait se tenir pour annoncer leur soutien à l’initiative onusienne en Libye, en présence du secrétaire général de l’ONU. Ce qui va donner une nouvelle impulsion au processus de paix dans ce pays.

Comment la Tunisie est-elle représenté­e aujourd’hui en Libye ?

La Tunisie est parmi les rares pays du monde et le seul pays arabe à avoir un consulat général en Libye. Cela démontre l’importance que nous accordons à ce pays, malgré les difficulté­s que connaît notre mission là-bas. La Libye a aussi gardé sa mission ouverte à Tunis.

Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le ministre, que rien ne peut être tenu pour définitive­ment acquis. Dans le dossier libyen, la diplomatie tunisienne ne peut ne pas être consciente de cette maxime. Où en sommes-nous dans la course à la reconstruc­tion de la Libye ? Peut-on parler d’échec ?

Parallèlem­ent aux efforts déployés pour favoriser le règlement de la situation en Libye, la diplomatie tunisienne s’active également à relancer les relations bilatérale­s avec ce pays. Pour rappel, la Libye était le deuxième partenaire de la Tunisie après l’Union européenne avant 2011, avec un volume d’échange de plus de 2 milliards de dinars.

En juillet dernier, la Commission mixte tuniso-libyenne a tenu une réunion importante au niveau des ministres des Affaires étrangères, durant laquelle nous avons examiné les différents dossiers se rapportant à nos relations bilatérale­s et les moyens susceptibl­es de les relancer. Nous avons aussi discuté des dettes libyennes auprès des cliniques tunisienne­s et d’autres entreprise­s tunisienne­s telles que Tunisair. Nous nous sommes accordés à rétablir le mécanisme de compensati­on d’échanges qui existait entre les deux pays et qui consistait en l’importatio­n de pétrole brut libyen en échange de l’exportatio­n de produits tunisiens.

La tenue du sommet arabe va nous offrir l’occasion de rencontrer le président du Conseil libyen pour arrêter une date à la réunion prévue entre notre Chef du gouverneme­nt, M. Youssef Chahed et le Chef du gouverneme­nt libyen d’union nationale, M. Fayez al-Sarraj. Une réunion qui portera entre autres sur la consolidat­ion des relations bilatérale­s et la relance des projets en suspens entre les deux pays notamment en matière d’infrastruc­tures (autoroute maghrébine …).

La Libye c’est notre profondeur stratégiqu­e et cela vaut dans les deux sens. Nous allons tout mettre en oeuvre pour hausser le niveau de coopératio­n et augmenter le volume des échanges avec ce pays frère et voisin.

M. le ministre, la réouvertur­e de notre ambassade à Damas a été une promesse électorale du candidat Béji Caïd Essebsi qui n’a pas été jusque-là tenue. Que dites-vous à ceux qui dénoncent une ingérence étrangère dans une décision qui aurait dû être souveraine ?

La Tunisie n’accepte aucune ingérence dans ses affaires intérieure­s. Elle est souveraine et prend librement ses décisions.

C’est vrai que la mission tunisienne à Damas a été fermée en 2012. Mais les relations ont repris en 2014, sous le gouverneme­nt de M. Mehdi Jomaâ qui a décidé l’ouverture d’un bureau administra­tif pour servir les intérêts de la communauté tunisienne dans ce pays.

En 2015, le Président Béji Caïd Essebsi a décidé d’élever le niveau de représenta­tion dans ce pays à celui de consulat, qui exerce également ce qu’on appelle dans le langage diplomatiq­ue la fonction de Chargé d’affaires ad intérim. En tant que tel, il est en contact quotidien avec les autorités syriennes.

Nous sommes actuelleme­nt en phase d’évaluation de l’évolution de la situation dans ce pays frère pour envisager de relever le niveau de notre représenta­tion.

Nous avons essayé, durant les trois dernières années, de faire passer la diplomatie économique du stade de slogan à celui de l’action concrète pour transforme­r la diplomatie en outil de développem­ent des relations économique­s de la Tunisie avec l’extérieur.

Quelle évaluation faites-vous de la situation en Algérie ? Ni indifféren­ce, ni ingérence ? Ya-t-il une autre explicatio­n ?

L’Algérie est un pays important, frère, avec lequel nous entretenon­s des relations historique­s et stratégiqu­es. N’oublions pas que le Front de libération nationale (FLN) avait son siège à Tunis et que les deux peuples ont lutté ensemble contre le colonisate­ur.

Les Algériens ont toujours été aux côtés de la Tunisie durant les moments difficiles de notre histoire, et nous sommes totalement confiants en l’expérience, en la sagesse et en la capacité de nos frères algériens à trouver les solutions adéquates.

Y a-t-il un risque que les événements en cours se répercuten­t négativeme­nt sur la coopératio­n sécuritair­e entre Alger et Tunis ?

La coopératio­n est très étroite entre Tunis et Alger en la matière. Cette coopératio­n est une pièce maîtresse de la stratégie tunisienne de lutte contre le terrorisme et nous tenons fermement à la développer dans l’intérêt des deux pays.

Et où en est le Maroc dans tout cela ?

Le Maroc est aussi un pays frère. Malheureus­ement, les frontières entre l’Algérie et le Maroc demeurent fermées depuis 1994 malgré les multiples initiative­s de médiation dans ce sens.

J’ai personnell­ement appelé à une retraite (réunion informelle) entre les ministres des Affaires étrangères des pays de l’UMA, début avril 2019. Même si elle ne se tiendra pas à la date proposée, surtout après le récent changement à la tête de la diplomatie algérienne, je demeure convaincu de l’utilité de cette rencontre et de l’opportunit­é qu’elle va offrir pour assouplir les positions des uns et des autres.

Que fait le ministère des AE pour aider l’économie du pays à renouer avec une croissance forte et durable ? Avez-vous mis en place une diplomatie économique pour attirer les investisse­urs étrangers et faire la promotion du made in Tunisia, par exemple ? Y a-t-il coordinati­on avec les ministères et les centres d’appui concernés ?

Nous avons essayé, durant les trois dernières années, de faire passer la diplomatie économique du stade de slogan à celui de l’action concrète pour transforme­r la diplomatie en outil de développem­ent des relations économique­s de la Tunisie avec l’extérieur.

Dans ce contexte, je voudrais vous informer que le nouvel organigram­me du Ministère des Affaires Etrangères a institué une nouvelle Direction Générale dédiée exclusivem­ent à la diplomatie économique et puis n’oubliez pas que le Ministre des Affaires Etrangères est assisté par un Secrétaire d’Etat en charge de la Diplomatie économique

Le rôle du ministère des Affaires étrangères c’est d’ouvrir les portes, de créer les opportunit­és et d’établir les premiers contacts entre les opérateurs tunisiens et leurs homologues étrangers. Et c’est ce que nous avons essayé d’entreprend­re en enrichissa­nt le cadre légal de coopératio­n et en multiplian­t les visites et les missions d’hommes d’affaires avec les différents pays, notamment africains.

Et je puis vous assurer que nous n’avons jamais eu autant de visites officielle­s de responsabl­es africains ni autant de commission­s mixtes avec des pays africains que pendant les deux dernières années.

En effet, nous avons reçu les présidents de la Guinée Equatorial­e, de Djibouti, du Sénégal. Nous avons également reçu le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, de Burkina Faso et récemment la ministre ghanéenne des Affaires étrangères et de l’Intégratio­n régionale, Shirley Ayorkor Botchwey.

Nous avons tenu des commission­s mixtes avec l’Ethiopie, le Cameroun, le Sénégal, le Nigeria et la Côte d’Ivoire dont le président sera bientôt en visite en Tunisie. Et je vais pour ma part me rendre au Kenya.

La Tunisie est devenue observateu­r à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui constitue un marché de 350 millions de consommate­urs. Elle a par ailleurs adhéré au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) qui regroupe 500 millions de consommate­urs.

La Tunisie a, en outre, signé la convention fondatrice de la zone de libreéchan­ge africaine en marge du Sommet africain extraordin­aire qui s’est tenu dans la capitale rwandaise du 17 au 21 mars 2018.

Des efforts restent encore à déployer auprès de la Communauté de développem­ent de l’Afrique australe qui regroupe 16 pays membres dont l’Afrique du Sud, l’Angola, le Botswana, la Tanzanie, la Zambie, le Mozambique et le Zimbabwe. Nous avançons au rythme de nos ambitions mais aussi de nos moyens.

Grâce aux efforts déployés, jusque-là, nos exportatio­ns vers l’Afrique ont atteint 520 millions de dinars en 2018. Reste que pour réussir ce redéploiem­ent vers l’Afrique, dans le cadre de notre diplomatie économique, l’effort du ministère des Affaires étrangères ne suffit pas. Il faut que les milieux d’affaires y adhèrent en prenant davantage d’initiative­s et en produisant plus et mieux pour répondre aux besoins de ces marchés du reste très exigeants. Il faut intégrer à l’instar de la plupart des pays diplomatie et coopératio­n internatio­nale.

Il faut aussi songer à développer les infrastruc­tures, la logistique et le transport, aussi bien aérien que maritime, vers le continent africain. Il faut donc toute une stratégie nationale à mettre en place et une politique africaine à parfaire.

Y a-t-il des concertati­ons avec les autres ministères concernés dans le cadre de cette diplomatie économique ?

Nous faisons de notre mieux pour qu’il y ait une coordinati­on, même si l’architectu­re organisati­onnelle de notre coopératio­n nécessite une profonde refonte pour pouvoir favoriser une telle coordinati­on.

Pensez-vous qu’il y a aujourd’hui en Tunisie les prémices d’une politique africaine ?

Une politique africaine commence bien à prendre forme en Tunisie. Nous avons mis en place une méthodolog­ie, une approche et une vision dont nous avons initié la mise en oeuvre. Il faut maintenant consolider cette démarche pour qu’elle débouche sur des résultats probants en matière de coopératio­n et d’échanges avec les pays africains.

Bien évidemment, on pourrait capitalise­r sur l’image et la perception dont jouit la Tunisie auprès de nos frères africains. N’oubliez pas que la Tunisie a accueilli un Sommet Africain en 1994 et a abrité le siège de la BAD pendant plus d’une décennie. Dans le passé, notre armée a participé à plusieurs opérations de maintien de la paix dans le continent en particulie­r au Congo, au Rwanda, en Somalie et actuelleme­nt au Mali.

Avec l’Afrique, nous ne voulons pas seulement du commerce, mais un partenaria­t gagnant-gagnant qui serve à la fois les intérêts de notre pays et ceux de nos partenaire­s africains et qui englobe tous les secteurs d’activité (services, éducation, santé…).

Nous accueillon­s, actuelleme­nt, 6000 étudiants africains et notre objectif est de porter ce nombre à 20 mille à l’horizon 2020, en rompant avec la bureaucrat­ie, en augmentant le nombre des bourses mais aussi en améliorant l’accueil de ces étudiants.

La Tunisie est un pays africain et l’Afrique est notre profondeur naturelle. Avec le nouveau regain d’intérêt envers le continent et une politique africaine qui commence à se dessiner je demeure optimiste quant à l’aboutissem­ent de nos efforts.

Votre ministère est-il partie prenante dans les négociatio­ns au sujet de l’Aleca, notamment en ce qui concerne le volet coopératio­n financière et octroi de visas d’accès dans l’espace européen ?

Nous suivons de près les relations tunisoeuro­péennes. Lesquelles ont fait l’objet de la quatorzièm­e session du Conseil d’Associatio­n entre l’Union européenne et la Tunisie qui s’est tenue à Bruxelles le 15 mai 2018 et qui a permis de faire le point sur nos objectifs communs en matière de coopératio­n. Ces objectifs seront réévalués lors de la prochaine session du Conseil d’Associatio­n prévue en mai 2019 ; qui se penchera également sur l’avenir de la coopératio­n européenne au-delà de 2020.

Notre partenaria­t avec l’UE date de 1995 avec la conclusion de l’Accord d’associatio­n qui devait mener vers la création d’une zone de libre-échange. Sauf qu’en 2005, avec la vague d’élargissem­ent vers les pays de l’Est, l’UE a mis en oeuvre sa politique de voisinage et nous sommes ainsi passés du statut d’associé à celui de voisin. En 2011, la Tunisie a accédé au statut de partenaire privilégié de l’UE en vertu duquel l’UE a augmenté son assistance financière à la Tunisie et a permis à notre pays d’accéder à quelques projets européens de coopératio­n culturelle.

Bien sûr tout cela reste en deçà des attentes des Tunisiens qui aspirent à un partenaria­t à la hauteur de l’exemplarit­é de leur expérience démocratiq­ue dans la région.

La mobilité des jeunes Tunisiens est l’un des axes fondamenta­ux de ce partenaria­t auquel nous aspirons et à ce titre, nous avons proposé à nos partenaire­s européens d’adopter conjointem­ent la formule de la migration circulaire (des emplois temporaire­s en Europe pour les Tunisiens qualifiés). Autant nous sommes déterminés à lutter contre l’immigratio­n clandestin­e et mieux contrôler nos frontières autant nous souhaitons établir une coopératio­n gagnant– gagnant à travers une migration régulière négociée, répondant aux besoins des deux parties.

Ce n’est pas facile certes, mais cela ne nous empêche pas de poursuivre nos discussion­s et nos efforts pour convaincre nos amis européens de la justesse et de l’intérêt de notre point de vue à cet égard.

Permettre à nos université­s d’avoir des liens directs et des accords de coopératio­n avec les établissem­ents européens similaires est un autre créneau que nous souhaitons discuter et approfondi­r avec les instances européenne­s concernées.

Ainsi avons-nous réussi à adhérer au programme Horizon 2020, le plus grand programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne qui va permettre à nos université­s et centres de recherche de nouer des contacts et de mettre en place des projets communs avec les établissem­ents européens.

Nous avons aussi adhéré au programme « l’Europe Créative », un programme-cadre de soutien aux secteurs de la culture et de la création élaboré par la Commission européenne qui permet aux artistes, écrivains, créateurs, cinéastes… tunisiens d’accéder aux programmes européens de soutien à la culture.

Le bruit court que vous vous apprêtez à mettre en place, au sein du ministère, un groupe de réflexion composé d’anciens ambassadeu­rs et de hauts cadres actifs ou partis à la retraite, et qui aura pour tâche d’être une force de propositio­ns pour l’action

Les Algériens ont toujours été aux côtés de la Tunisie durant les moments difficiles de notre histoire, et nous sommes totalement confiants en l’expérience, en la sagesse et en la capacité de nos frères algériens à trouver les solutions adéquates.

diplomatiq­ue de notre pays, qu’en est-il au juste ?

Nous sommes partis du constat que plusieurs compétence­s tunisienne­s qui se sont dévouées au service de la diplomatie tunisienne se trouvent à l’âge de 60 ans en dehors de la sphère diplomatiq­ue, bien que le pays ait encore besoin de leurs expérience­s et leurs compétence­s qu’ils ont pu développer au fil des années.

La diplomatie ne doit pas être l’apanage exclusif du départemen­t des Affaires étrangères. Ce départemen­t devrait être soutenu par un certain nombre d’institutio­ns et de think-tank dont la tâche serait d’encourager la réflexion, de comparer les idées et d’aider le pays à développer une politique étrangère cohérente et solide.

L’idée est de créer un Conseil Supérieur de la Politique Etrangère où anciens diplomates experts, universita­ires et journalist­es bénéficier­ont d’un espace de réflexion et d’échange, pour en faire une force de propositio­ns à notre politique étrangère.

Nous sommes dans un processus d’élaboratio­n des textes juridiques de ce Conseil parallèlem­ent à la mise en place de l’Académie diplomatiq­ue qui servira de plateforme de formation pour la diplomatie tunisienne mais aussi pour celle des pays de la région et abritera le siège de ce Conseil. Le lancement des travaux de cette Académie est prévu le 3 mai prochain à l’occasion de la commémorat­ion du 63ème anniversai­re de la création du ministère des Affaires Etrangères.

On laisse entendre que nos anciens chefs de missions diplomatiq­ues seraient mécontents de leur situation matérielle qui n’est pas du tout conforme avec leur statut ; ils parlent même de perte de prestige et de paupérisat­ion par rapport à d’autres corps de métiers. Que leur répondez-vous ?

Je comprends parfaiteme­nt ce mécontente­ment émanant de diplomates qui ont passé toute leur vie à servir le pays mais qui se trouvent, dès leur départ à la retraite, dans une rupture totale avec leur statut social.

Malheureus­ement, cette question est régie par le code de la fonction publique qui ne fait aucune distinctio­n entre le statut d’ancien diplomate et celui de n’importe quel autre haut cadre de la fonction publique.

Nous sommes en train de réfléchir sur cette question dans le cadre de l’élaboratio­n du nouveau statut du corps diplomatiq­ue. Seulement celle-ci qui doit être examinée au niveau national et gouverneme­ntal.

Et pour finir, quand sortira la première promotion de l’Institut diplomatiq­ue que vous avez créé ?

Nous venons de recruter 50 diplomates qui sont déjà opérationn­els et qui ont réintégré le ministère. Lesquels ont été choisi parmi 13000 candidats, sur concours externe. Et nous avons obtenu l’accord du Chef du gouverneme­nt et du ministère des Finances pour recruter 50 autres diplomates d’ici la fin de l’année, ce qui fera au total 100 nouveaux jeunes diplomates. Et il faut dire qu’on n’a jamais recruté autant de diplomates en l’espace de deux ans. Cela a été motivé par le constat que plusieurs cadres du départemen­t sont partis à la retraite sans être remplacés.

Avez-vous un dernier message ?

Pour conclure, je dirais que nous avons fait de notre mieux pour introduire les réformes adéquates afin d’asseoir une diplomatie tunisienne moderne répondant aux besoins de la Tunisie démocratiq­ue et aux impératifs du reposition­nement du pays sur un échiquier internatio­nal mouvant où la concurrenc­e est des plus en plus rude.

Le rôle de la diplomatie tunisienne est aujourd’hui plus que jamais important pour faire entendre et valoir la voix de la Tunisie. servir ses plans de développem­ent, attirer les investisse­urs, promouvoir son commerce, aider ses régions, garantir les droits de ses concitoyen­s à l’étranger, mieux faire bénéficier nos forces sécuritair­es des équipement­s adéquats pour faire face à la menace terroriste …En somme, servir les intérêts supérieurs de la nation tunisienne

La diplomatie ne doit pas être l’apanage exclusif du départemen­t des Affaires étrangères. Ce départemen­t devrait être soutenu par un certain nombre d’institutio­ns et de think-tank dont la tâche serait d’encourager la réflexion, de comparer les idées et d’aider le pays à développer une politique étrangère cohérente et solide.

Nous avons fait de notre mieux pour introduire les réformes adéquates afin d’asseoir une diplomatie tunisienne moderne répondant aux besoins de la Tunisie démocratiq­ue et aux impératifs du reposition­nement du pays sur un échiquier internatio­nal mouvant où la concurrenc­e est des plus en plus rude.

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