La Tunisie est plus écoutée et plus sollicitée
Khemais Jhinaoui, Ministre des Affaires Etrangères
Rencontré en pleins préparatifs du 30e Sommet de la Ligue des Etats arabes, le ministre des Affaires Etrangères, Khemaies Jhinaoui, a livré à l’Economiste Maghrébin sa vision des différentes crises qui secouent le monde arabe, formulant l’espoir de voir mûrir les positions des pays de la région dans le sens d’une meilleure coordination sur les questions communes. Ce qui unit les Arabes étant, selon lui, beaucoup plus important que ce qui les divise. Dans cette interview, le ministre des Affaires étrangères n’élude aucune de nos questions. Il répond à sa manière, le ton calme, serein, assuré avec beaucoup d’humilité sans se départir de sa franchise habituelle. Avec un sens prononcé de la mesure et de la modération, il confirme ce que l’on dit de lui et de ses grandes qualités humaines et professionnelles. Nul doute qu’il descend de cette grande lignée de diplomates qui ont largement contribué au rayonnement de la diplomatie nationale. Interview.
Monsieur le ministre, par-delà les belles paroles et les beaux principes, un sommet arabe à Tunis dans un contexte arabe miné par des divisions aiguës, et à un moment où la souveraineté des Etats n’a jamais été autant menacée, que faut-il en espérer ?
Le choix qui s’est porté sur la Tunisie pour abriter un sommet arabe, un peu moins de cinq ans après les élections, avec en plus une participation au plus haut niveau des Etats membres, illustre le chemin accompli par notre pays sur la voie du réchauffement et du raffermissement de ses relations avec son entourage. Il s’agit d’un véritable exploit diplomatique.
C’est une reconnaissance de la place et du rôle joué par la Tunisie sur la scène arabe et du crédit dont elle jouit auprès de ses pairs arabes.
Notre pays est aujourd’hui plus écouté et plus sollicité par ses partenaires arabes. Ce n’est pas fortuit mais c’est plutôt le fruit des grands efforts déployés par notre diplomatie. Le Président Béji Caïd Essebsi a opté dès sa prise de fonction pour le retour aux principes fondamentaux de la diplomatie tunisienne.
Des principes conçus et mis en oeuvre par le leader Habib Bourguiba, prônant le dialogue entre les nations, favorisant le règlement pacifique des conflits et appelant à la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays. Ce sont ces principes cardinaux de notre diplomatie qui donnent aujourd’hui autant de crédibilité et d’audience à la Tunisie.
Réunir aujourd’hui sous un même toit, pratiquement tous les pays arabes, nonobstant leurs divergences et leurs dissensions n’est pas une chose aisée quand on sait que les chefs d’Etat arabes ne se sont pas rencontrés depuis 2017 à une aussi grande échelle.
Encore une fois cela témoigne du capital confiance dont jouit la Tunisie. Une confiance que notre pays va mettre en oeuvre pour donner à ses hôtes arabes l’occasion de discuter des nombreux problèmes qui agitent la région.
Quels sont les grands sujets sur lesquels se pencheront les chefs d’Etat arabes ?
Les chefs d’Etat arabes débattront essentiellement des différentes crises que connaît le monde arabe, en particulier en Syrie, en Libye, au Yémen et en Palestine.
Ces crises vont faire l’objet d’une réflexion approfondie des ministres des Affaires étrangères, pour soumettre les recommandations issues de cette réflexion aux chefs d’Etat. Nous espérons que ce sommet pourra déboucher sur des propositions concrètes de solution de ces crises, afin qu’il y ait une vraie plus-value et une réelle avancée par rapport aux sommets précédents.
Ce sommet va également porter sur la situation sécuritaire dans le monde arabe, la question de la sécurité arabe commune, ainsi que sur les moyens à même de renforcer la coordination entre les services compétents des pays arabes pour lutter contre la menace terroriste.
Les chefs d’Etat, réunis dans le cadre de ce sommet, débattront également des différentes évolutions et mutations que connaissent les autres régions du monde, en l’occurrence l’Europe, l’Afrique et l’Asie et exploreront les voies et moyens de renforcer notre capacité commune d’adaptation à ces différentes évolutions.
La Tunisie, pays hôte de ce sommet, va s’employer afin que cette rencontre de haut niveau soit l’occasion de discuter non seulement des questions relatives aux conflits mais également les dossiers d’ordre économique et social, notamment le rôle de la jeunesse et de la femme dans le développement du monde arabe. Ce sont des sujets où la Tunisie dispose d’une expérience et d’un crédit qu’elle est prête à partager avec ses frères arabes.
Le sommet de Tunis sera aussi l’occasion de discuter des relations du monde arabe avec les groupements voisins, à l’instar de l’Union européenne ou l’Union africaine. Le sommet euro-arabe de Charm El-Cheikh, qui a réuni pour la première fois au plus haut niveau les partenaires arabes et européens, a été un véritable succès et une occasion pour se concerter sur les questions relatives à la complémentarité, à la coopération sur les plans sécuritaire et économique. Et notre espoir est de voir le monde arabe réussir, à travers de tels sommets, à créer des ponts solides avec le reste du monde.
Et qu’en est-il de la Route de la soie ? Les Arabes sont-ils concernés par cette énorme initiative ?
La Tunisie y est déjà, d’autres pays arabes aussi, et le forum d’affaires sino-arabe, qui se tiendra le 2 avril à Tunis, sera l’occasion d’approfondir la réflexion et les concertations autour de cette initiative.
Vous avez bon espoir, malgré les lignes de fracture que traverse un certain nombre de pays arabes, que cette démarche consensuelle soutenue par la Tunisie à l’occasion de ce sommet aboutisse ?
Il n’y a pas que le monde arabe qui soit traversé par des fractures. Certes, des fractures existent dans le monde arabe, mais je pense que ce qui nous unit et nous rapproche est beaucoup plus important et solide que ce qui nous divise. L’objectif que la Tunisie s’est assignée à travers ce sommet, c’est celui de consolider davantage nos points de convergence et d’atténuer, autant que faire se peut, ce qui nous sépare.
La Tunisie est dans son rôle historique ! Absolument. La Tunisie s’est toujours inscrite dans une logique de consensus. Lors de chaque sommet, il y a la réunion formelle sur laquelle se focalisent tous les regards, mais il y a également les réunions en coulisses qui servent à faire mûrir certaines positions et à favoriser les concertations, et c’est à ce niveau là que notre rôle de facilitateur et de médiateur va se jouer.
N’y a-t-il pas là une petite déception du fait que la question du retour de la Syrie à la Ligue des Etats arabes ne figure pas à l’ordre du jour du sommet ?
Le retour de la Syrie à la Ligue arabe est, en fait, un problème complexe. En 2011, les ministres des Affaires étrangères des pays arabes se sont rencontrés, quelques semaines après le début des événements en Syrie, et ont décidé sa suspension de la Ligue des Etats arabes et de toutes les institutions panarabes en réaction au refus catégorique du régime syrien de réagir à l’initiative arabe lancée à l’époque pour résoudre le conflit qui s’y déroulait.
Actuellement, les mécanismes de prise de décision au sein de la Ligue arabe exigent le consensus autour de cette question. En d’autres termes, une majorité qualifiée ne suffit pas pour décider du retour ou non de la Syrie à la Ligue.
Plusieurs voix estiment aujourd’hui que le sort et l’avenir de la Syrie est discuté en dehors de l’espace arabe, et je pense qu’il est du devoir des Arabes de s’intéresser davantage à ce pays, en lui offrant la possibilité d’être en interaction avec son espace naturel.
La Syrie est un pays important du monde arabe. C’est l’un des sept pays fondateurs de la Ligue des Etats arabes, et je pense que la position arabe doit arriver à une certaine maturation qui permette aux Etats arabes d’évaluer la nouvelle situation en Syrie et de s’accorder sur une attitude commune qui reconnaisse au peuple syrien le droit de choisir ses représentants.
Mais une chose est sûre, la Syrie va tôt ou tard réintégrer la Ligue arabe et reprendre sa place naturelle.
Pensez-vous que le sommet de Tunis pourrait constituer une étape vers cette maturité ?
Absolument, mais en dehors du sommet il y a aussi des initiatives qui tendent vers cette maturité. Il y a des pays arabes qui ont rouvert leurs ambassades à Damas. Il ne faut pas négliger non plus l’évolution de la situation sur le terrain, où Daech a été plus ou moins vaincu et il va falloir coopérer pour qu’il n’y ait pas de reprise des hostilités ou un retour des violences.
Les développements politiques et sécuritaires dans la région, notamment en Irak, en Syrie, au Yémen et en Palestine risquent d’accentuer les divisions déjà grandes entre les pays arabes. La Ligue arabe est-elle encore le cadre approprié de règlement des différends interarabes ?
La Ligue Arabe est en fait l’illustration et le reflet des diverses volontés politiques des pays arabes. Le problème ne se pose pas au niveau de l’institution mais plutôt au niveau du système politique arabe global qui souffre d’un manque de coordination.
Il faut que les pays arabes arrivent à une meilleure coordination de leurs politiques et qu’ils aient cette volonté de doter la Ligue de tous les moyens qui lui permettent d’accomplir sa mission avec davantage d’efficacité, d’efficience et de souplesse.
Comment la Ligue arabe juge-t-elle les dernières déclarations de l’actuel président américain au pouvoir concernant le plateau du Golan ?
Les déclarations du président américain n’engagent que les Etats-Unis. A cet égard, je voudrais rappeler qu’en juin 1967, tout juste après la guerre des 6 jours, le plateau du Golan avait été déclaré par le Conseil de sécurité territoire occupé par Israël.
En 1981, le Conseil de sécurité s’est de nouveau réuni et a déclaré que toutes les mesures prises unilatéralement par Israël sont nulles et non avenues.
Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’immédiatement après les déclarations du président américain, les Nations unies, l’Union européenne, le Japon et bien sûr la Ligue des Etats Arabes ont tous réaffirmé que le plateau du Golan est un territoire occupé et qu’il faut revenir à la légalité internationale.
Monsieur le ministre, il devient de plus en plus évident qu’une solution négociée de la crise libyenne est en passe d’être dépassée, réalité du terrain oblige. Toutes les tentatives de médiation ont échoué, y compris l’initiative du président Essebsi. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne partage absolument pas ce constat d’échec. L’initiative onusienne pilotée par l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Ghassan Salamé, est toujours en cours. Ce dernier a élaboré une feuille de route qui prévoit, notamment, la révision de l’accord de Skhirat, signé par certains acteurs politiques libyens en l’absence d’autres protagonistes, et la préparation institutionnelle pour l’organisation d’élections libres en Libye.
Dans le cadre de cette initiative onusienne, une conférence nationale libyenne prévue normalement du 14 au 16 avril 2019 à Ghadamès au sud de la libye, avec la participation de l’ensemble des protagonistes libyens, devra débattre d’un plan de sortie de crise et notamment du fondement constitutionnel sur lequel seront organisées les élections libyennes.
J’ajouterais que dans le cadre de cette initiative, il y a eu la création d’une instance indépendante pour les élections qui a déjà commencé l’inscription des électeurs libyens.
La conférence nationale libyenne va aussi porter sur la question sécuritaire en Libye afin de réunir les conditions nécessaires à la tenue d’élections libres et démocratiques. La solution sécuritaire devrait, bien évidemment, impliquer l’armée en tant qu’élément fondamental de la sécurité libyenne, mais cette armée doit accepter de se soumettre à une autorité civile qui dirigera le pays.
Le sommet organisé par les Nations unies à Abu Dhabi, entre Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar semble aboutir à un accord sur l’organisation d’élections sous l’égide des Nations unies, avant la fin de cette année. Nous espérons que cet accord pourra être consolidé sur le terrain.
Pour nous Tunisiens, la question libyenne est d’une importance primordiale, car au-delà du devoir que nous édictent les liens de fraternité et de voisinage avec le peuple libyen pour l’aider à sortir de cette situation difficile, il se trouve que cette situation exerce une influence directe sur notre propre sécurité voire sur l’évolution de notre processus démocratique ainsi que sur notre transition économique.
Et c’est dans cette perspective que le Président de la République, Béji Caïd
La Tunisie est parmi les rares pays du monde et le seul pays arabe à avoir un consulat général en Libye. Cela démontre l’importance que nous accordons à ce pays, malgré les difficultés que connaît notre mission là-bas. La Libye a aussi gardé sa mission ouverte à Tunis.
Essebsi, a lancé en 2017 une initiative visant à unifier les positions des trois pays voisins de la Libye, à savoir la Tunisie, l’Algérie et l’Égypte, dans l’objectif de favoriser une solution pacifique et politique du conflit libyen. Cette solution devrait, selon l’initiative du président, écarter toute option militaire et favoriser un règlement libyco-libyen sans ingérence aucune, dans le cadre du respect de l’unité de la Libye et son intégrité territoriale et sous les auspices des Nations unies.
Comme vous le savez sans doute, la situation en Libye figure à l’ordre du jour du sommet. A la veille du sommet une réunion du Quartet (Union Européenne, Nations unies, Ligue Arabe et Union africaine) devrait se tenir pour annoncer leur soutien à l’initiative onusienne en Libye, en présence du secrétaire général de l’ONU. Ce qui va donner une nouvelle impulsion au processus de paix dans ce pays.
Comment la Tunisie est-elle représentée aujourd’hui en Libye ?
La Tunisie est parmi les rares pays du monde et le seul pays arabe à avoir un consulat général en Libye. Cela démontre l’importance que nous accordons à ce pays, malgré les difficultés que connaît notre mission là-bas. La Libye a aussi gardé sa mission ouverte à Tunis.
Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le ministre, que rien ne peut être tenu pour définitivement acquis. Dans le dossier libyen, la diplomatie tunisienne ne peut ne pas être consciente de cette maxime. Où en sommes-nous dans la course à la reconstruction de la Libye ? Peut-on parler d’échec ?
Parallèlement aux efforts déployés pour favoriser le règlement de la situation en Libye, la diplomatie tunisienne s’active également à relancer les relations bilatérales avec ce pays. Pour rappel, la Libye était le deuxième partenaire de la Tunisie après l’Union européenne avant 2011, avec un volume d’échange de plus de 2 milliards de dinars.
En juillet dernier, la Commission mixte tuniso-libyenne a tenu une réunion importante au niveau des ministres des Affaires étrangères, durant laquelle nous avons examiné les différents dossiers se rapportant à nos relations bilatérales et les moyens susceptibles de les relancer. Nous avons aussi discuté des dettes libyennes auprès des cliniques tunisiennes et d’autres entreprises tunisiennes telles que Tunisair. Nous nous sommes accordés à rétablir le mécanisme de compensation d’échanges qui existait entre les deux pays et qui consistait en l’importation de pétrole brut libyen en échange de l’exportation de produits tunisiens.
La tenue du sommet arabe va nous offrir l’occasion de rencontrer le président du Conseil libyen pour arrêter une date à la réunion prévue entre notre Chef du gouvernement, M. Youssef Chahed et le Chef du gouvernement libyen d’union nationale, M. Fayez al-Sarraj. Une réunion qui portera entre autres sur la consolidation des relations bilatérales et la relance des projets en suspens entre les deux pays notamment en matière d’infrastructures (autoroute maghrébine …).
La Libye c’est notre profondeur stratégique et cela vaut dans les deux sens. Nous allons tout mettre en oeuvre pour hausser le niveau de coopération et augmenter le volume des échanges avec ce pays frère et voisin.
M. le ministre, la réouverture de notre ambassade à Damas a été une promesse électorale du candidat Béji Caïd Essebsi qui n’a pas été jusque-là tenue. Que dites-vous à ceux qui dénoncent une ingérence étrangère dans une décision qui aurait dû être souveraine ?
La Tunisie n’accepte aucune ingérence dans ses affaires intérieures. Elle est souveraine et prend librement ses décisions.
C’est vrai que la mission tunisienne à Damas a été fermée en 2012. Mais les relations ont repris en 2014, sous le gouvernement de M. Mehdi Jomaâ qui a décidé l’ouverture d’un bureau administratif pour servir les intérêts de la communauté tunisienne dans ce pays.
En 2015, le Président Béji Caïd Essebsi a décidé d’élever le niveau de représentation dans ce pays à celui de consulat, qui exerce également ce qu’on appelle dans le langage diplomatique la fonction de Chargé d’affaires ad intérim. En tant que tel, il est en contact quotidien avec les autorités syriennes.
Nous sommes actuellement en phase d’évaluation de l’évolution de la situation dans ce pays frère pour envisager de relever le niveau de notre représentation.
Nous avons essayé, durant les trois dernières années, de faire passer la diplomatie économique du stade de slogan à celui de l’action concrète pour transformer la diplomatie en outil de développement des relations économiques de la Tunisie avec l’extérieur.
Quelle évaluation faites-vous de la situation en Algérie ? Ni indifférence, ni ingérence ? Ya-t-il une autre explication ?
L’Algérie est un pays important, frère, avec lequel nous entretenons des relations historiques et stratégiques. N’oublions pas que le Front de libération nationale (FLN) avait son siège à Tunis et que les deux peuples ont lutté ensemble contre le colonisateur.
Les Algériens ont toujours été aux côtés de la Tunisie durant les moments difficiles de notre histoire, et nous sommes totalement confiants en l’expérience, en la sagesse et en la capacité de nos frères algériens à trouver les solutions adéquates.
Y a-t-il un risque que les événements en cours se répercutent négativement sur la coopération sécuritaire entre Alger et Tunis ?
La coopération est très étroite entre Tunis et Alger en la matière. Cette coopération est une pièce maîtresse de la stratégie tunisienne de lutte contre le terrorisme et nous tenons fermement à la développer dans l’intérêt des deux pays.
Et où en est le Maroc dans tout cela ?
Le Maroc est aussi un pays frère. Malheureusement, les frontières entre l’Algérie et le Maroc demeurent fermées depuis 1994 malgré les multiples initiatives de médiation dans ce sens.
J’ai personnellement appelé à une retraite (réunion informelle) entre les ministres des Affaires étrangères des pays de l’UMA, début avril 2019. Même si elle ne se tiendra pas à la date proposée, surtout après le récent changement à la tête de la diplomatie algérienne, je demeure convaincu de l’utilité de cette rencontre et de l’opportunité qu’elle va offrir pour assouplir les positions des uns et des autres.
Que fait le ministère des AE pour aider l’économie du pays à renouer avec une croissance forte et durable ? Avez-vous mis en place une diplomatie économique pour attirer les investisseurs étrangers et faire la promotion du made in Tunisia, par exemple ? Y a-t-il coordination avec les ministères et les centres d’appui concernés ?
Nous avons essayé, durant les trois dernières années, de faire passer la diplomatie économique du stade de slogan à celui de l’action concrète pour transformer la diplomatie en outil de développement des relations économiques de la Tunisie avec l’extérieur.
Dans ce contexte, je voudrais vous informer que le nouvel organigramme du Ministère des Affaires Etrangères a institué une nouvelle Direction Générale dédiée exclusivement à la diplomatie économique et puis n’oubliez pas que le Ministre des Affaires Etrangères est assisté par un Secrétaire d’Etat en charge de la Diplomatie économique
Le rôle du ministère des Affaires étrangères c’est d’ouvrir les portes, de créer les opportunités et d’établir les premiers contacts entre les opérateurs tunisiens et leurs homologues étrangers. Et c’est ce que nous avons essayé d’entreprendre en enrichissant le cadre légal de coopération et en multipliant les visites et les missions d’hommes d’affaires avec les différents pays, notamment africains.
Et je puis vous assurer que nous n’avons jamais eu autant de visites officielles de responsables africains ni autant de commissions mixtes avec des pays africains que pendant les deux dernières années.
En effet, nous avons reçu les présidents de la Guinée Equatoriale, de Djibouti, du Sénégal. Nous avons également reçu le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, de Burkina Faso et récemment la ministre ghanéenne des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale, Shirley Ayorkor Botchwey.
Nous avons tenu des commissions mixtes avec l’Ethiopie, le Cameroun, le Sénégal, le Nigeria et la Côte d’Ivoire dont le président sera bientôt en visite en Tunisie. Et je vais pour ma part me rendre au Kenya.
La Tunisie est devenue observateur à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui constitue un marché de 350 millions de consommateurs. Elle a par ailleurs adhéré au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) qui regroupe 500 millions de consommateurs.
La Tunisie a, en outre, signé la convention fondatrice de la zone de libreéchange africaine en marge du Sommet africain extraordinaire qui s’est tenu dans la capitale rwandaise du 17 au 21 mars 2018.
Des efforts restent encore à déployer auprès de la Communauté de développement de l’Afrique australe qui regroupe 16 pays membres dont l’Afrique du Sud, l’Angola, le Botswana, la Tanzanie, la Zambie, le Mozambique et le Zimbabwe. Nous avançons au rythme de nos ambitions mais aussi de nos moyens.
Grâce aux efforts déployés, jusque-là, nos exportations vers l’Afrique ont atteint 520 millions de dinars en 2018. Reste que pour réussir ce redéploiement vers l’Afrique, dans le cadre de notre diplomatie économique, l’effort du ministère des Affaires étrangères ne suffit pas. Il faut que les milieux d’affaires y adhèrent en prenant davantage d’initiatives et en produisant plus et mieux pour répondre aux besoins de ces marchés du reste très exigeants. Il faut intégrer à l’instar de la plupart des pays diplomatie et coopération internationale.
Il faut aussi songer à développer les infrastructures, la logistique et le transport, aussi bien aérien que maritime, vers le continent africain. Il faut donc toute une stratégie nationale à mettre en place et une politique africaine à parfaire.
Y a-t-il des concertations avec les autres ministères concernés dans le cadre de cette diplomatie économique ?
Nous faisons de notre mieux pour qu’il y ait une coordination, même si l’architecture organisationnelle de notre coopération nécessite une profonde refonte pour pouvoir favoriser une telle coordination.
Pensez-vous qu’il y a aujourd’hui en Tunisie les prémices d’une politique africaine ?
Une politique africaine commence bien à prendre forme en Tunisie. Nous avons mis en place une méthodologie, une approche et une vision dont nous avons initié la mise en oeuvre. Il faut maintenant consolider cette démarche pour qu’elle débouche sur des résultats probants en matière de coopération et d’échanges avec les pays africains.
Bien évidemment, on pourrait capitaliser sur l’image et la perception dont jouit la Tunisie auprès de nos frères africains. N’oubliez pas que la Tunisie a accueilli un Sommet Africain en 1994 et a abrité le siège de la BAD pendant plus d’une décennie. Dans le passé, notre armée a participé à plusieurs opérations de maintien de la paix dans le continent en particulier au Congo, au Rwanda, en Somalie et actuellement au Mali.
Avec l’Afrique, nous ne voulons pas seulement du commerce, mais un partenariat gagnant-gagnant qui serve à la fois les intérêts de notre pays et ceux de nos partenaires africains et qui englobe tous les secteurs d’activité (services, éducation, santé…).
Nous accueillons, actuellement, 6000 étudiants africains et notre objectif est de porter ce nombre à 20 mille à l’horizon 2020, en rompant avec la bureaucratie, en augmentant le nombre des bourses mais aussi en améliorant l’accueil de ces étudiants.
La Tunisie est un pays africain et l’Afrique est notre profondeur naturelle. Avec le nouveau regain d’intérêt envers le continent et une politique africaine qui commence à se dessiner je demeure optimiste quant à l’aboutissement de nos efforts.
Votre ministère est-il partie prenante dans les négociations au sujet de l’Aleca, notamment en ce qui concerne le volet coopération financière et octroi de visas d’accès dans l’espace européen ?
Nous suivons de près les relations tunisoeuropéennes. Lesquelles ont fait l’objet de la quatorzième session du Conseil d’Association entre l’Union européenne et la Tunisie qui s’est tenue à Bruxelles le 15 mai 2018 et qui a permis de faire le point sur nos objectifs communs en matière de coopération. Ces objectifs seront réévalués lors de la prochaine session du Conseil d’Association prévue en mai 2019 ; qui se penchera également sur l’avenir de la coopération européenne au-delà de 2020.
Notre partenariat avec l’UE date de 1995 avec la conclusion de l’Accord d’association qui devait mener vers la création d’une zone de libre-échange. Sauf qu’en 2005, avec la vague d’élargissement vers les pays de l’Est, l’UE a mis en oeuvre sa politique de voisinage et nous sommes ainsi passés du statut d’associé à celui de voisin. En 2011, la Tunisie a accédé au statut de partenaire privilégié de l’UE en vertu duquel l’UE a augmenté son assistance financière à la Tunisie et a permis à notre pays d’accéder à quelques projets européens de coopération culturelle.
Bien sûr tout cela reste en deçà des attentes des Tunisiens qui aspirent à un partenariat à la hauteur de l’exemplarité de leur expérience démocratique dans la région.
La mobilité des jeunes Tunisiens est l’un des axes fondamentaux de ce partenariat auquel nous aspirons et à ce titre, nous avons proposé à nos partenaires européens d’adopter conjointement la formule de la migration circulaire (des emplois temporaires en Europe pour les Tunisiens qualifiés). Autant nous sommes déterminés à lutter contre l’immigration clandestine et mieux contrôler nos frontières autant nous souhaitons établir une coopération gagnant– gagnant à travers une migration régulière négociée, répondant aux besoins des deux parties.
Ce n’est pas facile certes, mais cela ne nous empêche pas de poursuivre nos discussions et nos efforts pour convaincre nos amis européens de la justesse et de l’intérêt de notre point de vue à cet égard.
Permettre à nos universités d’avoir des liens directs et des accords de coopération avec les établissements européens similaires est un autre créneau que nous souhaitons discuter et approfondir avec les instances européennes concernées.
Ainsi avons-nous réussi à adhérer au programme Horizon 2020, le plus grand programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne qui va permettre à nos universités et centres de recherche de nouer des contacts et de mettre en place des projets communs avec les établissements européens.
Nous avons aussi adhéré au programme « l’Europe Créative », un programme-cadre de soutien aux secteurs de la culture et de la création élaboré par la Commission européenne qui permet aux artistes, écrivains, créateurs, cinéastes… tunisiens d’accéder aux programmes européens de soutien à la culture.
Le bruit court que vous vous apprêtez à mettre en place, au sein du ministère, un groupe de réflexion composé d’anciens ambassadeurs et de hauts cadres actifs ou partis à la retraite, et qui aura pour tâche d’être une force de propositions pour l’action
Les Algériens ont toujours été aux côtés de la Tunisie durant les moments difficiles de notre histoire, et nous sommes totalement confiants en l’expérience, en la sagesse et en la capacité de nos frères algériens à trouver les solutions adéquates.
diplomatique de notre pays, qu’en est-il au juste ?
Nous sommes partis du constat que plusieurs compétences tunisiennes qui se sont dévouées au service de la diplomatie tunisienne se trouvent à l’âge de 60 ans en dehors de la sphère diplomatique, bien que le pays ait encore besoin de leurs expériences et leurs compétences qu’ils ont pu développer au fil des années.
La diplomatie ne doit pas être l’apanage exclusif du département des Affaires étrangères. Ce département devrait être soutenu par un certain nombre d’institutions et de think-tank dont la tâche serait d’encourager la réflexion, de comparer les idées et d’aider le pays à développer une politique étrangère cohérente et solide.
L’idée est de créer un Conseil Supérieur de la Politique Etrangère où anciens diplomates experts, universitaires et journalistes bénéficieront d’un espace de réflexion et d’échange, pour en faire une force de propositions à notre politique étrangère.
Nous sommes dans un processus d’élaboration des textes juridiques de ce Conseil parallèlement à la mise en place de l’Académie diplomatique qui servira de plateforme de formation pour la diplomatie tunisienne mais aussi pour celle des pays de la région et abritera le siège de ce Conseil. Le lancement des travaux de cette Académie est prévu le 3 mai prochain à l’occasion de la commémoration du 63ème anniversaire de la création du ministère des Affaires Etrangères.
On laisse entendre que nos anciens chefs de missions diplomatiques seraient mécontents de leur situation matérielle qui n’est pas du tout conforme avec leur statut ; ils parlent même de perte de prestige et de paupérisation par rapport à d’autres corps de métiers. Que leur répondez-vous ?
Je comprends parfaitement ce mécontentement émanant de diplomates qui ont passé toute leur vie à servir le pays mais qui se trouvent, dès leur départ à la retraite, dans une rupture totale avec leur statut social.
Malheureusement, cette question est régie par le code de la fonction publique qui ne fait aucune distinction entre le statut d’ancien diplomate et celui de n’importe quel autre haut cadre de la fonction publique.
Nous sommes en train de réfléchir sur cette question dans le cadre de l’élaboration du nouveau statut du corps diplomatique. Seulement celle-ci qui doit être examinée au niveau national et gouvernemental.
Et pour finir, quand sortira la première promotion de l’Institut diplomatique que vous avez créé ?
Nous venons de recruter 50 diplomates qui sont déjà opérationnels et qui ont réintégré le ministère. Lesquels ont été choisi parmi 13000 candidats, sur concours externe. Et nous avons obtenu l’accord du Chef du gouvernement et du ministère des Finances pour recruter 50 autres diplomates d’ici la fin de l’année, ce qui fera au total 100 nouveaux jeunes diplomates. Et il faut dire qu’on n’a jamais recruté autant de diplomates en l’espace de deux ans. Cela a été motivé par le constat que plusieurs cadres du département sont partis à la retraite sans être remplacés.
Avez-vous un dernier message ?
Pour conclure, je dirais que nous avons fait de notre mieux pour introduire les réformes adéquates afin d’asseoir une diplomatie tunisienne moderne répondant aux besoins de la Tunisie démocratique et aux impératifs du repositionnement du pays sur un échiquier international mouvant où la concurrence est des plus en plus rude.
Le rôle de la diplomatie tunisienne est aujourd’hui plus que jamais important pour faire entendre et valoir la voix de la Tunisie. servir ses plans de développement, attirer les investisseurs, promouvoir son commerce, aider ses régions, garantir les droits de ses concitoyens à l’étranger, mieux faire bénéficier nos forces sécuritaires des équipements adéquats pour faire face à la menace terroriste …En somme, servir les intérêts supérieurs de la nation tunisienne
La diplomatie ne doit pas être l’apanage exclusif du département des Affaires étrangères. Ce département devrait être soutenu par un certain nombre d’institutions et de think-tank dont la tâche serait d’encourager la réflexion, de comparer les idées et d’aider le pays à développer une politique étrangère cohérente et solide.
Nous avons fait de notre mieux pour introduire les réformes adéquates afin d’asseoir une diplomatie tunisienne moderne répondant aux besoins de la Tunisie démocratique et aux impératifs du repositionnement du pays sur un échiquier international mouvant où la concurrence est des plus en plus rude.