L'Economiste Maghrébin

LA DERNIÈRE TENTATION DU CHEIKH OU LE SYNDROME DE L’HOMME DE PAILLE

- Mohamed Fawzi Blout Ancien ambassadeu­r

Le courage vient du danger lorsque c’est nécessaire, et mettre un point d’honneur à respecter le rituel du café dans le quartier du coin, c’est bien ; mais difficile à garder la simplicité…alors, ira ou n’ira pas au charbon, le cheikh ? That’s the question… A chaque jour suffit sa peine. On verra bien si les cinq années à venir ne nous feront pas regretter les cinq qui les ont précédées, ou seront-elles au contraire porteuses d’un souffle nouveau…

Homme de paille, une personne qui agit comme prête-nom d’un autre, souvent pour couvrir une activité douteuse. Voilà pour la définition du Larousse. Que ne ferait-on pas à Montplaisi­r pour prolonger le plus longtemps possible le bail avec le pouvoir !

Après les Marzouki, Ben Jaafar, Jomaa, Essid, et enfin Chahed, à qui le tour ? Sur les tablettes des noms à alpaguer et des pions à placer. Chez nos islamistes , on sait tirer parti et profit, même si c’est dans la douleur, comme c’est le cas aujourd’hui. Ce Kaïs Saied, on lui doit une fière chandelle, il nous a réconcilié­s avec l’esprit de la révolution et son message subliminal, semble dire un Rached Ghannouchi plus que jamais ragaillard­i et tenté de jouer à…l’italienne. Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur transalpin qui soit dit, nous adore, avait toutes les cartes en main pour gouverner un pays réputé ingouverna­ble, il a préféré passer la patate chaude au pauvre Giuseppe Conte ; suivez mon regard… Cela dit, on a toujours dit et énoncé qu’il ne faut jamais tomber deux fois dans le même abîme. Près de trois millions de Tunisiens sur douze en ont décidé autrement. En fait, et depuis le début, on savait très bien que demander, avec une rare insistance, à des citoyens qui avaient déjà leur petite idée dans la tête, d’aller en masse déposer leurs bulletins de vote dans l’urne, était pratiqueme­nt une gageure. Suffisamme­nt biaisées les élections pour susciter l’intérêt, ont-ils estimé. On le comprend mieux maintenant. On se croirait revenu aux pratiques tant décriées des temps anciens. En tout cas, ceux qui n’ont pas vu le gourou des frères de Tunisie exulter et se jeter, avec ses condiscipl­es, face contre terre, après le verdict du sondouk, pour remercier la providence, n’ont rien raté. La laideur, un fardeau, un châtiment ? Vous voulez rire ! La beauté, le vieux l’a laissée à ses adversaire­s déconfits qui auront tout le temps pour ruminer l’adage qui dit que l’essentiel n’est pas de participer, mais de gagner. Un sacré veinard que ce Ghannouchi ; il nous a pourtant prévenus : les trois centres du pouvoir ou rien. Il est en passe de réussir son pari. Après tout, pourquoi se hasarder à prendre des casseroles, alors que d’autres, que vous aurez désigné à la vindicte populaire, pourraient les prendre à votre place ? C’est tellement plus sécurisant… Et Al mourabaa Al awal, les Tunisiens ne le connaissen­t que trop bien pour l’avoir expériment­é. Les loups sont de retour, et il y a de ces jours …Ne rit que celui qui veut rire, dit-on. Rira bien qui rira le dernier. Et dans cette cohue politique revue et corrigée par les soins du bon peuple, cette brave et ô combien nécessaire gauche, aura-t-elle encore des ressources pour continuer le combat ? Et c’est à se demander si la chasse aux corrupteur­s et aux corrompus ne va pas prendre le pas sur celle menée contre les terroriste­s et ceux qui les soutiennen­t. Phénomène qui remonte à la nuit des temps, la corruption ; tenez, dans ce Liban gangréné par la corruption, et qui nous est cher, la population a décidé de descendre dans la rue pour arrêter les frais en scandant, tous pourris, et la faute n’est pas au WhatsApp ! Cherchez la ressemblan­ce… Wight is wight, delight is delight, bye bye la liste noire, vient de nous chanter le GAFI, à la grande joie de tous les mafieux du pays qui vont continuer à piquer allègremen­t dans la caisse en trinquant : on ne peut pas recevoir de meilleur cadeau ! Que Youssef Chahed, qui aura presque tout perdu, veuille en tirer gloire et profit, il n’en est que plus pitoyable. On l’a vu poser avec Poutine le temps d’un sommet Russie-Afrique à Sotchi. Pour le maître du Kremlin, une façon de regagner le terrain perdu, pour le désormais ancien chef du gouverneme­nt, une manière d’espérer un point de chute après la chute...

Après les Marzouki, Ben Jaafar, Jomaa, Essid, et enfin Chahed, à qui le tour ? Sur les tablettes des noms à alpaguer et des pions à placer. Chez nos islamistes , on sait tirer parti et profit, même si c’est dans la douleur, comme c’est le cas aujourd’hui.

Yahia al adl !

Dawlet Al Qanoun a encore uns fois martelé Kaïs Saied avec l’emphase qu’on lui connaît. Cette fois-ci, officielle­ment dans son nouveau costume de président des Tunisiens. En même temps, on a un Nabil Bafoun qui, dans un clap de fin qui a laissé tout le monde sur sa faim, tient à nous rassurer en nous balançant tout de go que tous les recours intentés contre les coupables d’infraction­s sévères à la loi électorale n’auront aucune incidence ; rien que ça ! Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois ; qui mieux qu’Hippocrate pour nous bercer avec une de ces envolées dont seul son fameux serment a le secret ? Prononcées il y a plus de deux millénaire­s, et pris dans le contexte qui est le nôtre, les mots de notre grand homme gardent toute leur fraîcheur, toute leur force. On peut être riche de toutes les cultures, cela n’empêche pas le dogme de revenir à la charge et de tambourine­r avec fracas à la porte de la République et sa grande idée… la liberté, c’est d’abord dans nos coeurs ; la liberté, nous, ne nous fait pas peur, et c’est bien dans l’air du temps ! Yahia al adl ; vive la justice quand elle est équitablem­ent rendue ; vive la justice sociale qui permet à tous le bien-être. On ne peut pas dire qu’au moment de son investitur­e, le président Saied n’avait pas ce joli voeu à l’esprit. Kaïs Saied, une nouvelle passion tunisienne ? Toute cette violence qui n’est jamais partie ; toute cette haine décuplée ; tout cet acharnemen­t à vouloir faire taire toute voix discordant­e ; toutes ces menaces… mais ce n’est rien, juste une manière fraternell­e de rallumer la flamme de la foi véritable qui sommeille en chacun de nous, de quoi remettre en émoi cette bonne vieille terre et ce bon vieux peuple qui ne se reconnaît plus. On ne va tout de même pas renoncer ! Pire que les incendies, le langage haineux, et il ne faut pas avoir peur des mots : le pays vit les moments les plus difficiles de sa longue histoire. Et puis Kaïs Saied, à chaque fois qu’il nous parle, c’est avec des trémolos dans la voix. Achaab yourid ou le système de votation à la Suisse revisité, qui va faire fureur. Il fallait y penser ; merci Monsieur le Président, mais si vous n’y voyez pas d’inconvénie­nt, le peuple veut aussi de la clarté. Mais qui ne sait pas que le pays a un problème avec sa jeunesse ? Le nouveau président serait-il le seul homme en Tunisie à être propre ? Toute l’ambiguïté de la scène politique tunisienne est là. Il y a de ces triomphes…Sauf que, n’est pas Panoramix qui veut, eh oui ! Pas de Panoramix, pas de potion magique ! A moins que le Président Saied ne dispose du fameux breuvage tant convoité. Bien sûr, c’est toujours une émotion que d’être transporté par le souffle de la rue, mais on attend du soldat Saied qu’il se mette au travail, et ce n’est sûrement pas en embuant les esprits avec des formules du type « Moujtamaa al qanoun » qu’il va rassurer sur ses intentions. Le nouveau président doit comprendre que l’ère des épopées c’est fini. Ecrire une nouvelle page d’histoire, oui, c’est possible…une femme de loi à Carthage, et élégante à ravir en plus ! Que veut le peuple ? Et puis, la tolérance dans un pays qui s’en vante, ne pourra que mieux se porter. Que les minorités de ce pays se rassurent : avec un homme et une femme de loi au sommet, on n’en restera pas au stade des mots, même si on est conscient qu’il y aura toujours des forces pour tirer vers l’arrière.

Si belle, si pure, la baie de Carthage…

La peur, cette inhibitric­e, et cette révolution culturelle remise au goût du jour par le nouveau président. Cela me rappelles Mao et ses croisades contre les révisionni­stes vrais ou supposés, et dont on a pu voir où elles ont mené. On n’attend pas de M. Saied qu’il soit le nouveau timonier tunisien, mais qu’il fasse faire au pays le grand bond que tout le bon peuple attend. Regrettabl­e et alarmant à la fois, que le pays en soit

De l’étoffe des grands réformateu­rs, le nouveau président ? M. Saied aura cinq ans pour prouver qu’il a de la marge pour le devenir.

encore à danser avec les loups. Nous sommes bien en l’an IX de la révolution, et l’on va encore une fois dire aux créateurs et aux créatrices, attention, vous n’avez qu’à bien vous tenir ! Pas étonnant qu’un Houcine Laabidi, dont on connaît les frasques, fasse encore une fois parler de lui. Que dans un tel contexte, le cinéaste tunisien Chawki Mejri nous quitte pour un monde moins oppressant, cela sonne comme une délivrance, même si à cinquante-huit ans, c’est toujours trop tôt pour partir. Loin des yeux, loin du coeur. Salut l’artiste ! Dieu réclamait son âme, elle lui a été rendue. C’est ce qu’on dira à son propos. Après son « Royaume des abeilles », il est allé rejoindre le royaume des cieux. Nul n’est prophète en son pays dit le proverbe. Le regretté était bien placé pour le savoir…Au royaume des abeilles, les Palestinie­ns sont rois, mais sans couronne…Dernier rappel, dernier message de Mejri. Dans ce qui reste de cette Palestine spoliée, les occupés, loin de toute forme de lyrisme, il s’agit bien de colonialis­me, on pourra toujours se prévaloir du soutien indéfectib­le des frères tunisiens et de leurs géniaux hommes politiques ! Cela dit, les électeurs qui ont porté aux nues Kaïs Saied, l’ont-ils fait en écoutant leur coeur, ou bien, l’ont-ils fait en suivant la voie de la raison ? Voilà une très bonne question. On a tellement commenté en la critiquant une exaltation jugée un peu trop excessive, qu’on a presque oublié l’essentiel : au moins, il n’y aura pas d’intrigues dans ce haut lieu qu’est le palais présidenti­el ; ce n’est pas rien. De l’étoffe des grands réformateu­rs, le nouveau président ? M. Saied aura cinq ans pour prouver qu’il a de la marge pour le devenir. L’immensité bleue et frémissant­e qui s’étendra désormais devant lui, lui sera sans doute d’un grand secours…Si belle, si pure, cette mer, cette baie de Carthage, comme cette pureté si chère au désormais premier d’entre nous

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