De l’audace recherchée pour des réformes inachevées
La Tunisie a plus que jamais besoin d’un secteur bancaire efficace et innovant, pour renouer avec une croissance à la fois solide et inclusive. Les banques tunisiennes sont forcées d'adopter des technologies innovantes, au moins pour deux raisons. D'une part, ces innovations sont très recherchées par des clients guidés par des impératifs de rentabilité de leurs entreprises. Et d'autre part, elles sont incontournables pour pouvoir rattraper les standards internationaux de performance et de bonne gouvernance.
Aujourd'hui, les exigences de réformes ne manquent pas pour le secteur bancaire tunisien. De très lourds chantiers de transformation, dans le secteur, attendent le courage des banquiers et celui des décideurs politiques.
La nouvelle décennie s'annonce chargée par un cocktail de défis à relever.
Un défi de redéfinition du rôle de l’Etat dans le secteur
Plusieurs études de la Banque mondiale montrent que le contrôle des banques par l’Etat retarde le développement financier, accroît l'instabilité financière et ralentit la croissance économique (Global Financial Development Report 2017/2018 : Bankers Without Borders).
L’Etat devrait redéfinir son rôle dans un secteur concurrentiel, comme celui du secteur bancaire. Car seul un niveau de concurrence élevé, accompagné d'un dispositif de supervision de qualité peut garantir l'amélioration de la qualité du service bancaire sans pour autant menacer la stabilité financière.
Toutefois, il ne faut pas sous-estimer l'importance du soutien de l'Etat pour atteindre des objectifs de développement de l'agriculture, de développement régional, d'accompagnement des PME, d'inclusion financière … La réflexion pourrait porter sur la présence sur la place de Tunis d'une seule grande banque publique qui assumer ce type de rôle. Une grande banque publique qui apporte des garanties aux banques commerciales pour financer les entreprises PME /PMI, qui finance et accompagne les projets agricoles et de développement régional … comme c'est le cas aujourd'hui pour Bpifrance en France et KFW en Allemagne. La BNA ou
Rien ne justifie la lenteur des réformes dans le secteur. La forte présence des banques dans le financement de l’économie, la marginalisation de la finance de marché (surtout obligataire), le poids des banques publiques dans le produit net bancaire du secteur, potentiel inexploité des modes de financement alternatif, le retard dans la digitalisation … imposent l’urgence d’une dynamique de réforme.
la Banque des régions (moyennant quelques retouches dans le projet) pourront jouer ce rôle.
Un défi d’internationalisation
La présence des banques tunisiennes sur des marchés étrangers (africains par exemple) reste tributaire de leur capacité à réussir le pari de
consolidation à la fois sur leur marché domestique et sur leur coeur de métier.
Une dynamique de concentration est incontournable si nous voulons permettre aux banques tunisiennes de retrouver la «taille critique». La «taille critique» est déterminante, pour réaliser des économies d'échelle et du coup améliorer la performance, afin de bénéficier de meilleures conditions de financement, de favoriser la diversification sectorielle, et surtout de renforcer la présence des entreprises nationales sur les marchés étrangers. Toutefois, l'exercice de recapitalisation et d'assainissement des actifs devrait impérativement précéder la recherche de la «taille critique».
Un défi de modernisation de la gestion des risques
La modernisation de la gestion du risque (de taux de change et de dévalorisation du portefeuille boursier) dans les banques demeure conditionnée à une réforme en profondeur du marché des capitaux. Le projet de révision de la loi de 1994 est incontournable si nous voulons donner des couleurs aux activités de marché et booster l'industrie de la gestion de risque dans le secteur bancaire. Le projet de réforme de la loi de 1994, piloté par le ministère des Finances avec le soutien de la BERD et la BAD, associant plusieurs institutions (BCT, Tunisie clearing, CMF, BVMT, AIB), témoigne d'une véritable prise de conscience des opportunités qu'offre une telle réforme pour la place de Tunis.
La modernisation du marché de la dette publique et le développement de nouveaux instruments financiers ne peuvent se développer qu'avec un marché obligataire profond et dynamique. Or comment peut-on dynamiser un marché obligataire qui demeure marginalisé par les autorités et largement défiguré par les banquiers, surtout du côté de son compartiment secondaire ? Cela nécessite non seulement la modernisation de l’environnement réglementaire avec plus de souplesses dans les procédures d'émission et de souscription, mais aussi une application ferme des textes, une flexibilité dans la rémunération des professionnels de la gestion des produits obligataires ...
Un défi d’optimisation de la gestion des ressources humaines
La réussite de la modernisation du secteur dépend aussi d'une réforme des conventions collectives. Ces conventions, qui continuent de valoriser uniquement l’ancienneté et l’assiduité, méritent aujourd'hui d'être relookées pour booster la performance. Or, les métiers de la finance obéissent aux impératifs de l'ancrage aux standards internationaux de bonne gouvernance et d'efficience et de ce fait, ils font appel à des professionnels talentueux et biens rémunérés. L'attachement à un système de rémunération qui favorise l'ajustement vers le bas prive les banques tunisiennes de décrocher le label de la performance dans un univers hyperconcurrentiel. De même, la réforme de la rémunération devrait englober l'ensemble des entreprises publiques compte tenu des retombées négatives du déficit de gouvernance de ces entreprises sur la solidité du tissu bancaire tunisien. Bloquer les réformes sérieuses en érigeant les fameuses «lignes rouges» finira par faire sombrer davantage les fondamentaux de l'économie tunisienne dans le rouge.
Un défi de digitalisation
Pour contrecarrer l’effritement de leurs marges, réussir le pari de l’inclusion financière, et booster le financement alternatif, les banques tunisiennes devraient gagner la bataille de la digitalisation. Surtout, suite aux nouvelles habitudes de leurs clients. Des clients scotchés aux écrans de leurs ordinateurs et de leurs téléphones qui se laissent séduire par les offres de produits digitalisés. Or les banques tunisiennes ne peuvent pas accompagner la révolution digitale avec le rythme souhaitable lorsque l'environnement réglementaire demeure assez conservateur (cas de la réglementation des changes). A l'heure du développement des plateformes de paiement mobiles (Google Pay, Apple Pay, PayLib, …) qui envahissent le Net, il n'est pas permis de camper derrière une réglementation assez conservatrice, handicapante pour l'opérateur tunisien et peu attractive pour l'investisseur étranger.
Un défi de cybersécurité
La vigilance est de mise pour sécuriser les données des clients et le nombre croissant de leurs plateformes en ligne. A l'heure de la digitalisation des services bancaires et de la sophistication des techniques de blanchiment de fonds, la banque tunisienne est obligée de se doter d'un système d'information hyper sécurisé pour rassurer ses clients. D'ailleurs, la problématique de la cybersécurité s'est imposée comme un élément déterminant pour le choix de la banque. Notre capacité à relever ces défis conditionnera le degré de résilience du secteur bancaire et la solidité de la croissance économique.
Car rien ne justifie la lenteur des réformes dans le secteur. La forte présence des banques dans le financement de l’économie, la marginalisation de la finance de marché (surtout obligataire), le poids des banques publiques dans le produit net bancaire du secteur, potentiel inexploité des modes de financement alternatif, le retard dans la digitalisation … imposent l'urgence d'une dynamique de réforme.
En somme, la réforme du secteur financier demeure orpheline d'une vision et d'une audace politique. Il est encore temps de s'insérer dans une dynamique de réformes avant que notre économie ne se déforme